La devise de l’Allemagne pour la présidence du Conseil de l’UE: Pour le militarisme et la guerre

L’Allemagne a pris la présidence tournante de l’Union européenne pour six mois à partir du 1er juillet. Cela s’accompagne d’une campagne agressive en faveur du militarisme et d’une politique germano-européenne de grande puissance plus indépendante. Il est important de noter que la devise officielle du gouvernement allemand pour la présidence du Conseil est «Gemeinsam. Europa wieder stark machen» («Ensemble. Rendre l’Europe forte à nouveau»), le pendant berlinois du «Make America Great Again» de Trump.

Les déclarations des principaux hommes politiques de tous les partis au Bundestag (parlement fédéral) et les commentaires de premier plan dans les médias bourgeois soulignent que l’impérialisme allemand n’est en rien inférieur à l’impérialisme américain en termes d’agressivité et de bellicisme. Au contraire, six ans après que le gouvernement allemand a annoncé la fin de la retenue militaire lors de la conférence de Munich sur la sécurité de 2014, les objectifs politiques et la rhétorique de la classe dirigeante rappellent de plus en plus la manie égocentrique de l’Allemagne de la première moitié du XXe siècle.

Dans une interview avec le DPA, le ministre des Affaires étrangères Heiko Maas (Parti social-démocrate, SPD) formule les préoccupations centrales de la présidence allemande du Conseil. Outre la résolution des «questions financières» – c’est-à-dire la montée de nouvelles attaques contre la classe ouvrière – et le traitement réussi du Brexit, il a déclaré que «l’Europe doit réussir à se positionner en tant qu’entité dans la compétition mondiale – qui devient de plus en plus imprévisible – des grandes puissances que sont les États-Unis, la Chine et la Russie». On n’aura «une chance de s’affirmer dans cet environnement que si nous le faisons ensemble en tant qu’Européens». Sinon, on deviendrait «le pantin des autres».

Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas (à droite), et son homologue croate, Gordan Grlic Radman (à gauche), devant la Porte de Brandebourg à Berlin, le 1er juillet 2020 (Source: AP Photo/Michael Sohn)

Cela est indéniable. «Le destin de l’Allemagne: Diriger l’Europe pour diriger le monde», tel était le titre d’un article paru en 2014 sur un site officiel du ministère fédéral des Affaires étrangères. Maintenant, ces plans doivent être concrétisés. «L’un des objectifs», poursuit Maas, est d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, dont Berlin assure également la présidence pendant un mois depuis le 1er juillet.

En raison de «l’incapacité générale à agir» dans «les crises actuelles telles que la Syrie et le coronavirus», a-t-il déclaré, «le besoin de réforme est plus urgent que jamais». Cependant, «les progrès ne peuvent pas être réalisés à petits pas», a-t-il ajouté.

En poursuivant ces intérêts, le ministre allemand des Affaires étrangères identifie surtout les États-Unis comme l’adversaire. Il a déclaré qu’ils s’efforçaient de faire en sorte que les relations transatlantiques «aient un avenir». Mais dans l’état actuel des choses, elles ne répondent plus aux exigences des deux parties». Cela ne changera pas après l’élection présidentielle américaine de novembre, quel qu’en soit le résultat. «Quiconque pense qu’avec un président du Parti démocrate, tout redeviendra comme avant dans le partenariat transatlantique sous-estime les changements structurels», a-t-il déclaré.

Dans une chronique du Tagesspiegel, le prédécesseur de Maas, Sigmar Gabriel, appelle également Bruxelles et Berlin à s’organiser de manière plus indépendante de Washington. «L’Europe – et l’Allemagne aussi – doit cesser de regarder les États-Unis tel qu’un lapin regarde un serpent», écrit Gabriel. «Nous devons définir nos propres intérêts et clarifier quels moyens politiques, économiques ou même militaires nous voulons utiliser pour maintenir et développer notre idée de vivre ensemble sur un continent uni». L’époque où «pour parler franchement, nos intérêts pouvaient être projetés sur les porte-avions américains est révolue».

Soixante-quinze ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, les relations transatlantiques sont sur le point de se transformer en hostilité ouverte. Dans la commission économique du Bundestag, l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder (SPD) a plaidé mercredi pour des contre-mesures en réponse à la menace de sanctions américaines contre l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2 entre l’Allemagne et la Russie. Il était soutenu par plusieurs membres du Bundestag. Auparavant, l’annonce par le gouvernement Trump du retrait de 9.500 soldats américains d’Allemagne avait déjà déclenché de vives critiques et une campagne militariste dans la politique et les médias.

Les projets du gouvernement allemand d’utiliser sa présidence du Conseil de l’Union européenne pour une offensive systématique en matière de politique étrangère sont partagés par tous les partis du Bundestag: surtout ceux qui sont officiellement de gauche. «L’UE doit devenir capable de faire de la politique mondiale», peut-on lire dans la nouvelle version du programme de base du parti des Verts. On doit avant tout «renforcer la politique étrangère et de sécurité commune de l’UE et ainsi devenir plus capable d’agir».

Le Parti de gauche rêve également d’une politique germano-européenne de puissance mondiale. «Les États-Unis devront alors s’habituer au fait que les petits et moyens États européens deviendront un facteur politique mondial par le biais de l’UE». C’est une menace proférée par son porte-parole en matière de politique étrangère, Gregor Gysi, lors d’une récente interview accordée à la Frankfurter Rundschau. Washington devrait alors «prendre l’Europe au sérieux» et «ne peut donc pas nous dicter comment nous devons nous comporter envers la Chine». Ce serait «alors aussi la nouveauté du futur ordre mondial». L’Europe agirait de manière plus indépendante, et Washington devrait l’accepter».

Par exemple, les médias exigent que les plans de grande puissance et de militarisation de grande envergure soient enfin mis en œuvre. Dans un éditorial de Von Klaus-Dieter Frankenberger intitulé «L’Allemagne doit vouloir diriger», le Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) avertit que l’Allemagne ne doit plus être seulement «le moteur, le modérateur et le constructeur de ponts» en Europe. Elle doit enfin faire preuve de «leadership». Le «coup de semonce» de la chancelière Angela Merkel, qui a déclaré que «les Européens doivent prendre leur destin en main», a maintenant «déjà trois ans». Et l’Europe n’a pas encore beaucoup progressé dans «l’acquisition du langage du pouvoir».

Cette campagne agressive souligne pourquoi tous les partis du Bundestag promeuvent l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) d’extrême droite. Cela explique aussi pourquoi, ils ont défendu ces dernières années, contre toute critique, des professeurs d’extrême droite et militaristes. Notamment, le professeur Jörg Baberowski («Hitler n’était pas cruel») et le professeur Herfried Münkler (l’Allemagne doit jouer le «rôle de “disciplinaire” en Europe»). Comme l’ont déclaré le Sozialistische Gleichheitspartei (Parti de l’égalité socialiste, SPG) et son organisation de jeunes et d’étudiants, l’International Youth and Students for Social Equality (IYSSE), la banalisation des crimes nazis et les appels à une Europe allemande sont directement liés au retour du militarisme allemand.

Le commentaire de Frankenberger dans le FAZ donne une impression des développements auxquels les élites allemandes réagissent avec leurs appels de plus en plus agressifs et nerveux à la direction de l’Allemagne en Europe et dans le monde. Ce ne sont «pas seulement les conséquences de la pandémie de coronavirus» qui donnent «un nouvel élan à l’unification européenne en général», écrit-il. Les «fondations politiques et sociales désormais poreuses», des États-Unis, «mineraient la prétention de l’Amérique à l’ordre mondial». L’Allemagne doit maintenant «faire tout ce qui est en son pouvoir pour que l’UE retrouve sa force économique, et de manière à ce que les forces centrifuges ne deviennent pas plus fortes». La «cohésion» est «l’un des biens les plus importants que l’UE peut utiliser dans la lutte des grandes puissances».

La classe dirigeante allemande sait qu’elle est assise sur une poudrière sociale et politique. La pandémie de coronavirus n’a pas seulement exacerbé les conflits croissants entre les puissances impérialistes, mais elle a surtout révélé la faillite économique, sociale, politique, culturelle et morale de tout le système capitaliste.

Les gouvernements du monde entier utilisent la crise comme une opportunité pour imposer des licenciements massifs et des attaques sociales planifiées de longue date. Ils ont l’intention de transférer à nouveau des milliers de milliards dans les poches des banques, des grandes entreprises et des super-riches. La politique prématurée de «retour au travail», qui vise à soutirer une fois de plus des sommes gigantesques à la classe ouvrière, met en danger la santé et la vie de millions d’autres personnes. Le COVID-19 a déjà infecté plus de 10,8 millions de personnes dans le monde et en a tué plus de 520.000.

Une résistance se développe parmi les travailleurs et les jeunes du monde entier contre cette catastrophe et la réponse criminelle de la classe dirigeante. Aux États-Unis, les travailleurs s’organisent en comités d’action indépendants pour lutter contre les conditions de travail dangereuses que les directions et les syndicats leur imposent.

En Allemagne, les travailleurs d’Amazon se sont mis en grève au début de cette semaine. On observe également un ferment dans l’industrie automobile, l’aviation et la distribution, où des licenciements massifs sont en cours partout. Le mois dernier, des centaines de milliers de personnes ont manifesté en Allemagne lors des manifestations de masse mondiales qui ont suivi le meurtre de George Floyd. Ces manifestations ont montré non seulement la haine généralisée contre la police, mais aussi l’opposition à toute politique officielle.

Le SGP rejette la politique du militarisme, de l’accroissement des pouvoirs de l’État et des coupes sociales et lutte pour armer l’opposition croissante des travailleurs et des jeunes d’un programme socialiste. Avec nos partis frères du Comité international de la Quatrième Internationale, nous luttons pour une mobilisation internationale de la classe ouvrière contre la pandémie de COVID-19. Nous luttons pour la construction d’un mouvement international de la classe ouvrière et de la jeunesse contre le capitalisme, l’impérialisme et la guerre.

(Article paru en anglais le 4 juillet 2020)

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