Le gouvernement libanais démissionne alors que la colère monte suite à l'explosion au port de Beyrouth

Le Premier ministre libanais Hassan Diab a annoncé la démission de son gouvernement lors d’un discours télévisé à la nation lundi soir.

Cette décision a été prise dans un contexte de fureur croissante à la suite d’explosions catastrophiques mardi dernier dans un des entrepôts du port de Beyrouth où étaient stockés 2.750 tonnes de nitrate d’ammonium.

Le président libanais Michel Aoun, à gauche, reçoit une lettre de démission du Premier ministre libanais Hassan Diab, au palais présidentiel de Baabda, à l’est de Beyrouth, le lundi 10 août 2020. (Dalati Nohra via AP)

Des manifestations de colère ont eu lieu durant le week-end, entraînant de violents affrontements lorsque les forces de sécurité ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc sur les manifestants, blessant plus de 700 personnes.

En annonçant la démission du gouvernement, Diab a déclaré qu’il était arrivé à la conclusion que la corruption au Liban était «plus grande que l’État». Il a ajouté que «ce crime» était le résultat d’une corruption endémique et a demandé que les responsables de l’explosion meurtrière soient jugés. Il prenait «un peu de recul» afin de pouvoir se tenir aux côtés du peuple «et mener à ses côtés la bataille pour le changement».

Diab a rejeté la responsabilité du «tremblement de terre» qui a frappé le Liban sur les prédécesseurs corrompus de son gouvernement, en disant: «Ils [la classe politique] auraient dû avoir honte d’eux-mêmes parce que leur corruption est ce qui a conduit à ce désastre qui avait été caché pendant sept ans».

On rapporte que Diab continuera de jouer le rôle de premier ministre intérimaire. Samedi, il avait annoncé des élections parlementaires anticipées, disant qu’il resterait deux mois.

La démission du gouvernement fait suite à celle de plusieurs ministres. Parmi eux, le plus proche allié de Diab, le ministre de l’Environnement et du Développement administratif, Damianos Kattar, qui a cité l’incapacité du gouvernement à réaliser des réformes.

Bien que la cause immédiate de l’explosion n’ait pas été confirmée, le désastre est le résultat de la négligence criminelle et de la totale indifférence dont ont fait preuve les gouvernements successifs et l’élite au pouvoir. Pendant des années, ils ont ignoré les avertissements répétés sur les dangers du stockage d’un produit chimique aussi puissant, sans contrôles de sécurité appropriés si près de zones d’habitation.

Selon le gouverneur de Beyrouth, Marwan Abboud, le bilan de l’explosion est passé à 220 morts ; 110 personnes sont toujours portées disparues, dont beaucoup seraient des travailleurs étrangers et des chauffeurs de camion, ce qui rend leur identification plus difficile. Plus de 6.000 personnes ont été blessées. L’armée a interrompu l’opération de secours dans le port, car on n’a trouvé aucun survivant.

Douze pour cent de la population de la ville – 300.000 personnes – ont vu leurs maisons détruites ou endommagées par une explosion qui a fait sauter des bâtiments, brisé des fenêtres et mis le feu à des quartiers. Selon les autorités les pertes atteignent de 10 à 15 milliards de dollars.

N’ayant plus d’autre abri, les gens sont obligés de dormir dans des maisons gravement endommagées, souvent sans portes ni fenêtres. Rona Halabi, porte-parole du Comité international de la Croix-Rouge, a déclaré à la BBC: «Ces gens ont besoin d’un abri, ils ont besoin de nourriture… ils ont aussi besoin de produits de nettoyage, ils ont besoin d’aide pour récupérer ce qui reste de leurs foyers».

Elle a souligné que l’explosion avait causé de lourds dommages à deux stations d’eau et d’électricité, et ce, alors que de longues coupures de courant se produisaient déjà tous les jours.

La semaine dernière, le Président Michel Aoun a annoncé une enquête sur les causes de l’explosion, notamment pour savoir si, outre la négligence, des «interférences extérieures» avaient joué un rôle. Le rapport doit être rendu public dans les quatre jours. Une vingtaine de hauts fonctionnaires seraient assignés à résidence, tandis que d’autres ont vu leurs comptes bancaires gelés.

Un juge a commencé à interroger le major général Tony Saliba, qui dirige la Sûreté de l’État. Apparemment, celle-ci a rédigé un rapport sur les dangers du stockage du matériel dans le port et en a envoyé une copie aux bureaux du président et du premier ministre, le 20 juillet.

Diab, professeur d’ingénierie, a été installé comme «technocrate» à la tête du gouvernement en janvier après que des protestations sociales de masse contre les difficultés économiques, la corruption du gouvernement et la configuration politique sectaire du pays aient forcé la démission du premier ministre Saad Hariri, l’homme de Washington, de Paris et de Riyad au Liban.

Le cabinet de Diab, dont beaucoup de membres étaient des professionnels non alignés sur les principaux partis politiques, avait le soutien du groupe Hezbollah, soutenu à son tour par l'Iran, et qui avec ses alliés constitue le plus grand bloc politique au Parlement.

Cela a valu à son gouvernement la haine éternelle des ploutocrates chrétiens et sunnites alliés au «Mouvement du futur» de Harari. Celui-ci a refusé de coopérer avec le gouvernement, ce qui a conduit à l’éruption de petits, mais violents affrontements entre les deux blocs rivaux au cours des derniers mois. En juin dernier, le président Aoun a averti que cela pourrait déclencher une nouvelle guerre civile dans un pays qui a connu de 1975 à 1990 un âpre conflit armé entre des alliances changeantes, soutenues par des forces extérieures.

L’explosion du port survient au milieu d’une crise économique et financière sans précédent, exacerbée par une pandémie de coronavirus qui a fait chuter les revenus du tourisme et les transferts de fonds en provenance du Golfe et de la diaspora libanaise. Le confinement a causé d’extrêmes souffrances aux travailleurs, aux réfugiés et aux migrants. Des partis à base sectaire assurent le seul filet de sécurité sociale, et les soins de santé dépendent de la capacité à payer des prix exorbitants.

En mars, le gouvernement a manqué à son obligation de remboursement d’un montant de 1,2 milliard de dollars, il a ensuite étendu ce défaut de paiement à l’ensemble de sa dette extérieure. L’effondrement de la lire a anéanti les réserves de devises étrangères du Liban qui est lourdement endetté, alimentant l’inflation et la pauvreté généralisée.

Quelques jours plus tard, après avoir déclaré l’état d’urgence, le gouvernement a annoncé que la banque centrale injecterait des dollars sur le marché pour soutenir la monnaie. Il a annoncé aussi qu’il préparait un appel au Fonds monétaire international (FMI), dominé par les États-Unis, pour un prêt. Tout prêt de ce type serait lié à la demande habituelle de «réformes de libre marché» qui plongerait des millions de gens dans la misère et contrecarrerait les intérêts clés et conflictuels de l’élite au pouvoir.

Mais surtout, un prêt du FMI dépendrait d’un alignement politique sur les États pétroliers sunnites, avec lesquels les relations se sont refroidies ces six dernières années. Un tel alignement serait dirigé contre l’Iran et, par extension, la Syrie, des conditions qui sont un anathème pour le Hezbollah. Sans adhésion aux conditions du FMI, les prêts promis lors d’une conférence d’aide par les puissances européennes et régionales en 2018 ne seraient pas accordés.

En outre, l’année dernière, les États-Unis ont élargi leurs sanctions contre un Hezbollah qu’ils avaient désigné comme une organisation terroriste, ciblant ses législateurs, mais aussi une banque locale, qu’ils ont forcé à fermer. Cela a encore ajouté à la crise financière et économique déjà grave du Liban.

En juin dernier, la Loi Caesar américaine est entrée en vigueur, imposant des sanctions au gouvernement syrien et ceux qui traitaient avec lui. Cela a sapé plus encore les finances du Hezbollah et empêché le Liban d’acheter du pétrole syrien.

Washington, Riyad et Paris ont cherché à exercer une «pression économique maximale» sur Beyrouth ; ils ont mis en œuvre ce qui équivaut à un blocus du pays dans le but d’éliminer le Hezbollah en tant que force politique et militaire au Liban et en Syrie. Cela fait partie de leur campagne plus large contre l’Iran. Leur objectif est de provoquer un retour au pouvoir de leurs agents locaux, le «Mouvement du futur » sunnite de Hariri et ses alliés.

Dimanche, le président français Macron a maintenu la pression. Il a co-organisé une conférence virtuelle avec l’ONU qui a promis près de 300 millions de dollars d’aide humanitaire d’urgence à Beyrouth, principalement pour les soins de santé, l’éducation, la nourriture et le logement. Mais il a averti que «cela serait strictement contrôlé». Il a ajouté qu’aucun argent pour la reconstruction de la ville ne serait mis à disposition tant que le Liban ne se serait pas engagé à mettre en œuvre des réformes politiques et économiques.

Les forces qui organisent les manifestations de ces derniers jours comprennent les partis chrétiens et sunnites et les anciens généraux du «Mouvement du futur» de Hariri, aligné sur les États-Unis. Elles appellent à la formation d’un gouvernement intérimaire de «salut», «potentiellement dirigé par les militaires» et comprenant des banquiers et d’autres personnalités du monde des affaires. Son objectif sera de «résoudre la crise humanitaire et économique» et de préparer la voie à des élections sur la base d’une nouvelle loi électorale – dans trois ans au plus. Leur objectif est de rétablir le pouvoir direct de la ploutocratie, au service de l’impérialisme, et de limiter ou d’éradiquer l’influence des «mafieux» au Liban et en Syrie – un euphémisme pour définir le Hezbollah.

Cela montre le danger très réel que la colère légitime des travailleurs, de la jeunesse et des couches moyennes, submergés par une crise qui s’aggrave sans cesse, ne soit canalisée de nouveau derrière une autre bande de kleptocrates, cette fois-ci peut-être dirigée par des généraux et tournée contre les partisans appauvris du Hezbollah et de ses alliés.

Ce qui est absolument décisif dans la situation actuelle, c’est la construction d’une nouvelle direction révolutionnaire. Une telle direction avancera une perspective d’unification de la classe ouvrière au-delà de toutes les divisions religieuses, sectaires, nationales et ethniques, non seulement au Liban, mais dans toute la région, dans une lutte pour le renversement du capitalisme et la construction des États socialistes unis du Moyen-Orient en tant que partie d’une fédération mondiale d’États socialistes. Cela nécessite la création de sections du Comité international de la Quatrième Internationale dans toute la région.

(Article paru d’abord en anglais le 11 août 2020)

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