Fauci met en garde contre l’immunité collective: «le nombre de morts serait énorme»

Anthony Fauci, le directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses (NIAID), a été interviewé vendredi par l’acteur Matthew McConaughey (Free State of Jones) sur l’état de la pandémie de coronavirus aux États-Unis.

Au cours de l’interview, McConaughey a posé la question suivante: «Si l’ensemble des personnes dans le monde contracte la maladie, que lui arrivera-t-il? Est-ce qu’elle disparaîtra d’elle-même? Fauci a définitivement mis en garde: «Si tout le monde la contracte… beaucoup de gens vont mourir.»

La veille, le directeur des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), Robert Redfield, avait également lancé un avertissement à l’égard du COVID dans une interview avec WebMD: «Nous allons avoir le COVID à l’automne. Aussi, nous allons avoir la grippe à l’automne.» Le pays pourrait être frappé par «le pire automne, du point de vue de la santé publique, que nous n’ayons jamais eu». Il est presque certain que cette combinaison va «mettre plus de pression sur certains systèmes hospitaliers» que ce qu’ils sont capables de gérer.

Le Dr Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, témoigne lors d’une audition de la sous-commission parlementaire sur la crise du coronavirus, le vendredi 31 juillet 2020 au Capitole à Washington. (Kevin Dietsch/Pool via AP)

Avec son recours habituel aux euphémismes, Fauci a expliqué le danger imminent de toute politique d’«immunité collective» qui serait obtenue en laissant le pays ou la population mondiale être infectée par le virus. Selon les estimations actuelles de l’Organisation mondiale de la santé, le taux de mortalité de COVID-19 est de 0,6 pour cent et au moins la moitié de la population doit être immunisée pour stopper la propagation de la maladie de cette manière. Au total, cela se traduirait par un minimum de 23 millions de morts dans le monde du fait de la pandémie, dont plus de 993.000 rien qu’aux États-Unis.

Comme l’a dit Fauci, «le nombre de morts serait énorme et totalement inacceptable». Le bilan actuel aux États-Unis est de plus de 171.000 morts, auxquels s’ajoutent 5,4 millions de cas, un chiffre déjà stupéfiant. Pour atteindre l’estimation minimale de l’immunité collective, on doit avoir une échelle de mortalité six fois supérieure au décompte déjà effectué.

L'entretien entre Fauci et McConaughey a eu lieu le jour même où le CDC a publié de nouvelles estimations du nombre de morts aux États-Unis, prévoyant qu'il y aura 200.000 décès déclarés d'ici la première semaine de septembre si les taux de mortalité quotidiens dans chaque État se maintiennent ou diminuent légèrement. Si les taux de mortalité recommencent à augmenter, il pourrait y avoir jusqu'à 225.000 décès d'ici le 5 septembre. L'estimation du CDC intègre celle de l'Institut de mesure et d'évaluation de la santé (IHME), qui a prédit la semaine dernière que 295.000 personnes mourront d'ici le 1er décembre.

[image]C'est le nombre minimum de décès aux États-Unis nécessaire pour atteindre le seuil d'immunité collective contre les coronavirus. (Source: wsws.org)[/image]

Fauci a également passé un certain temps à discuter de la différence entre la réponse à la pandémie en Asie et aux États-Unis. «Lorsque les pays asiatiques ont cessé leurs activités», a-t-il expliqué, «le nombre de cas quotidiens de coronavirus est tombé à un niveau très, très bas». Les États-Unis, en revanche, «ont augmenté et au lieu de diminuer, nous avons plafonné à 20.000 cas par jour, ce qui est totalement inacceptable». Et puis, quand nous avons commencé à «rouvrir l’Amérique… nous n’avons pas fait cela de manière uniforme». Fauci a poursuivi en disant: «Donc, quand nous avons commencé à ouvrir, le nombre de cas est passé à trente, quarante, cinquante, soixante, et nous avons atteint un sommet de soixante-dix mille [nouveaux cas] par jour. Nous en sommes maintenant à cinquante, mais nous aurions dû descendre jusqu’à pratiquement rien, et nous ne l’avons pas fait.»

Ce que Fauci ne précise pas, cependant, c’est que «nous», l’ensemble de la population, n’avons pas pris la décision de rouvrir les usines, les bureaux et les entreprises et ainsi provoquer des millions d’infections et des dizaines de milliers de décès. Ignorant les avertissements explicites des experts sur la pandémie, l’oligarchie financière qui dirige ce pays, et qui vit le coronavirus d’une manière profondément différente de ce que la classe ouvrière subit, a pris cette décision.

Dès le début, la principale préoccupation de l’élite des entreprises et de ses larbins politiques des partis démocrate et républicain a été de protéger leur richesse et le système de profit capitaliste sur lequel elle repose. Le nombre de morts n’était pas une préoccupation lorsque la pandémie a commencé à se répandre aux États-Unis en mars, mais la chute précipitée de la bourse l’était.

En réaction, cette couche a exigé du gouvernement américain un chèque en blanc pour soutenir les marchés financiers et remplir les coffres des entreprises. Alors que Trump et sa coterie chantaient le refrain qu’il n’y avait «pas d’argent» pour établir un système de tests de masse et de dépistage aux États-Unis pour contenir et éradiquer la contagion mortelle, le président a travaillé avec diligence avec le Congrès pour promulguer un renflouement de six mille milliards de dollars.

Même les estimations les plus généreuses des économistes, y compris celle de Politico, montrent qu’au plus huit pour cent du renflouement ont été consacrés à des mesures qui visaient à mettre fin au virus lui-même, notamment la fabrication d’un plus grand nombre d’équipements de protection individuelle, la mise au point de traitements, l’extension de la recherche des contacts, la mise en place de tests de masse et la mise au point d’un vaccin. Environ un vingtième a été consacré aux mesures de relance que les Américains sans emploi étaient censés conserver pendant des mois. Tout le reste a été versé dans les coffres déjà pleins des super-riches.

En même temps, il fallait payer ces sommes. Tout comme les milliers de milliards qui avaient été remis à Wall Street, des milliers de milliards doivent maintenant être extraits du travail de la classe ouvrière. Ainsi, Trump a commencé à prétendre faussement que «notre peuple veut retourner au travail». Le fait qu’on a prouvé que ces actions imprudentes ont propagé la pandémie et ont coûté des milliers de vies n’intéresse guère ni Trump ni les intérêts sociaux qu’il représente.

Au lieu de cela, les travailleurs sont contraints de retourner dans les usines contaminées et les places de travail infectées en vertu essentiellement d’une politique d’immunité collective. Afin de payer pour la crise, l’élite au pouvoir a renvoyé des millions de personnes au travail dans des conditions mortelles. C’est cela qui permet à la pandémie de se propager dans les communautés, tuant et mutilant des milliers de personnes. Si l’on permet à Trump de poursuivre ses actions, les avertissements de Fauci deviendront un cauchemar bien réel.

Cette politique meurtrière, voire génocidaire, est poursuivie avec encore plus de vigueur maintenant que l’automne est arrivé et, selon Trump, «les écoles doivent ouvrir !!!» Trump sait que la seule façon d’achever la réouverture économique est de ramener les enfants à l’école pour que leurs parents puissent être renvoyés au travail. L’excuse selon laquelle les enfants semblent moins sensibles aux conséquences plus meurtrières de la pandémie est utilisée pour justifier une réouverture massive des écoles. Cela a déjà provoqué une propagation massive de la COVID-19, à la fois chez les enfants et chez leurs parents et amis plus âgés, plus à risque.

Dans un monde rationnel, au lieu d’utiliser les enfants pour propager la maladie, l’élite dirigeante américaine aurait fait le point sur sa politique de réouverture et aurait écouté les experts médicaux. C’est le cas des gens qui ont rédigé une lettre intitulée «Arrêtez tout, recommencez, faites-le bien». Des centaines de médecins, d’infirmières et d’autres membres du personnel médical ont signé cette lettre qui note que si la réponse du gouvernement américain «avait été aussi efficace que celle de la Corée du Sud, de l’Australie ou de Singapour, moins de 2.000 Américains seraient morts». La lettre poursuit en disant que «99 pour cent de ces décès de COVID-19» auraient pu être évités.

L’Organisation mondiale de la santé a lancé un appel similaire jeudi, appelant à un vaste afflux de fonds pour combattre la pandémie. Le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros, s’est exprimé au nom de l’organisation: «Avant de dépenser 10 billions de dollars américains supplémentaires pour les conséquences de la prochaine vague, nous estimons que le monde devra dépenser au moins 100 milliards de dollars américains pour de nouveaux outils, en particulier tout nouveau vaccin qui sera mis au point».

Cela comprendrait un régime de tests massivement étendu aux États-Unis, au lieu d’un régime qui ne cesse d’être réduit et qui l’est depuis fin juillet, alors même que la pandémie continue de se propager. Brett Giroir, secrétaire d’État adjoint à la Santé et aux Services sociaux et responsable de la stratégie de test du gouvernement Trump, s’en est pris aux journalistes qui l’interrogeaient sur la baisse du nombre de tests. Giroir a affirmé que «nous faisons maintenant le nombre approprié de tests pour réduire la propagation, aplatir la courbe, sauver des vies». Il a ensuite rejeté les critiques en disant qu’il s’agissait de «personnes qui colportent des chiffres».

Que tant de personnes soient mortes et que tant d’argent ait été dirigé vers l’élite financière n’est cependant pas une question de politique correcte, mais c’est la logique du capitalisme lui-même qui l’exige. Il est finalement moins coûteux de laisser les travailleurs mourir et de les remplacer que de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour enrayer la pandémie dans ses tests de dépistage, la recherche des contacts, la quarantaine, la production d’EPI, etc. De telles mesures coûtent de l’argent et l’obtention de travailleurs supplémentaires est essentiellement gratuite, surtout avec les dizaines de millions de chômeurs actuels.

Mais la mise en œuvre de ces mesures vitales exige une nouvelle orientation politique, une politique qui rompt avec les politiques décrépites et meurtrières de la classe capitaliste et de ses partis politiques, et qui s’oriente vers la classe ouvrière. Seuls un transfert du pouvoir politique aux travailleurs eux-mêmes et un combat pour des politiques socialistes dans une lutte contre le capitalisme lui-même pourront contenir et finalement stopper la pandémie de coronavirus.

(Article paru en anglais le 15 août 2020)

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