Des unités militaires américaines et russes s'affrontent en Syrie

Dans un incident qui présente le danger manifeste d'un affrontement croissant entre les deux principales puissances nucléaires du monde, le Pentagone a rapporté que quatre soldats américains avaient été blessés dans une collision entre leur véhicule blindé et une patrouille russe en Syrie cette semaine.

Moscou et Washington ont échangé des accusations, chacun condamnant l'autre pour l'incident qui s'est déroulé mardi matin à l'extérieur de la ville syrienne d'Al-Malikiyah située près de la triple frontière nord-est de la Syrie avec la Turquie et l'Irak.

Des véhicules blindés américains et russes en Syrie [source: ministère de la défense russe]

Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale des États-Unis, John Ullyot, a publié jeudi un communiqué accusant un véhicule blindé russe d'avoir «percuté» un véhicule américain résistant aux mines et protégé contre les embuscades (MRAP). Accusant les forces russes d'avoir commis «des actes dangereux et non professionnels» en violation des «protocoles de désescalade» élaborés entre Washington et Moscou en décembre 2019, Ullyot a ajouté de manière menaçante que «les forces américaines conservent toujours l'obligation et le droit inhérent de se défendre contre les actes hostiles».

Le Pentagone a rapporté que quatre soldats américains avaient souffert de symptômes «légers de commotion cérébrale» à la suite de la collision.

Pour sa part, l'armée russe a tenu l’armée américaine responsable de l’incident, résultat d'une apparente provocation. Après une conversation téléphonique entre le chef d'état-major de l'armée russe, le général Valery Gerasimov, et son homologue américain, le général Mark Milley, le ministère russe de la Défense publié a fait savoir dans un communiqué que l'incident s’est produit suite à une «tentative de bloquer la patrouille russe». Il a ajouté que la patrouille et son itinéraire avaient été préalablement établis entre les deux parties.

Des vidéos de l'incident prises à partir d'un véhicule blindé russe semblent montrer les véhicules américains tentant d'intercepter la colonne alors qu'elle se déplaçait à travers un champ ouvert. Le convoi russe était accompagné d'un hélicoptère d'attaque MI-8, qui planait au-dessus des véhicules blindés américains.

L'incident n'est en aucun cas le premier à poser la menace d'une confrontation directe entre les troupes américaines et russes dans le nord-est de la Syrie. Le mois dernier, le général de l'armée de l'air Kenneth Ekman, commandant adjoint des forces américaines en Irak et en Syrie, a déclaré aux journalistes au Pentagone que les forces américaines et russes entraient en contact presque «tous les jours». Il a reconnu que Moscou et Washington poursuivent leurs propres intérêts dans le pays et que «ces intérêts ne sont pas tout à fait alignés».

En effet, Washington est impliqué dans des opérations militaires en Syrie depuis 2011, lorsque la CIA a armé et financé des milices islamistes en tant que force terrestre par procuration dans une guerre pour un changement de régime visant à renverser le gouvernement du président Bachar al-Assad et à installer une marionnette américaine à Damas. À partir de 2014, il a lancé une intervention militaire américaine directe en Syrie – en utilisant la milice kurde des YPG comme force terrestre par procuration – sous le prétexte de combattre l'État islamique (EI), une mutation des mêmes milices islamistes qu'il avait précédemment soutenues. Pour sa part, la Russie a commencé à fournir un soutien aérien stratégique pour défendre le gouvernement d'Assad contre l'EI et les milices liées à Al-Qaïda soutenues par les États-Unis en 2015.

Les tensions et la menace d’affrontement direct n'ont fait que s'intensifier depuis que le président américain Donald Trump a annoncé qu'il retirait les forces américaines de Syrie et a donné son feu vert à une invasion turque en octobre 2019 visant à chasser les anciens alliés kurdes de Washington de la frontière syro-kurde.

Confronté à une tempête d'opposition de l'intérieur de l'appareil militaire et de renseignement américain à un retrait total, Trump est passé à ce qu'il a proclamé être une politique pour «garder le pétrole», avec des troupes américaines redéployées dans les zones productrices de pétrole des gouvernorats du nord de la Syrie à Deir ez-Zor et Al-Hasakah.

Trump a réitéré cette politique dans une déclaration à peine cohérente à la Maison-Blanche la semaine dernière, quand il a déclaré: «Comme vous le savez, en Syrie, nous ne sommes presque plus à rien, sauf que nous avons gardé le pétrole [...] nous sommes partis, mais nous avons gardé le pétrole».

À la fin du mois dernier, il a été révélé que le gouvernement Trump avait soutenu un accord ostensiblement conclu entre une compagnie pétrolière américaine nouvellement créée, Delta Crescent Energy LLC, et les mandataires kurdes du Pentagone. La société, dirigée par un ancien ambassadeur républicain de droite et un ancien officier des forces spéciales Delta Force et contributeur de Fox News, est censée commencer à exploiter et à vendre le pétrole syrien en violation directe des Conventions de Genève, qui interdisent aux puissances occupantes d'exploiter les ressources des pays occupés pour leur propre compte.

Ce n'est que le dernier crime de guerre commis par l'impérialisme américain en Syrie depuis le lancement de son opération de changement de régime, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de personnes et transformé des millions de personnes en réfugiés. Il maintient un régime de sanctions unilatérales équivalant à un état de guerre, condamnant la grande majorité de la population syrienne à la pauvreté et sabotant la réponse à la propagation de la pandémie de coronavirus.

Avec la décision de commencer à exploiter directement le pétrole syrien, tout en refusant activement l'accès au gouvernement syrien, qui a désespérément besoin de ces ressources pour la reconstruction, le Pentagone semble avoir intensifié sa présence dans le pays déchiré par la guerre, envoyant des convois depuis la frontière irakienne avec armement et équipement lourd.

La Russie a également accusé Washington et ses alliés kurdes d'avoir reconstitué les reliquats de l'Etat islamique afin de les rediriger contre le gouvernement syrien et ses alliés, dont l'Iran et la Russie.

L'agence de presse russe Spoutnik a cité un porte-parole anonyme des forces russes en Syrie qui a déclaré qu'il y avait eu une récente flambée d'attaques terroristes, que Moscou attribue aux anciens combattants de l'Etat islamique capturés qui ont été libérés par des mandataires kurdes de Washington dans le cadre d'un «programme d'amnistie».

Les actions armées de ces éléments «profitent aux États-Unis», a déclaré le porte-parole, servant à la fois à «perturber le processus de reconstruction socio-économique de la Syrie» et à «justifier la présence [américaine] dans l'est du pays». Il faut ajouter que cette résurgence des attentats terroristes constitue un contrepoids à la croissance de l'opposition populaire parmi les tribus arabes du nord-est à la domination des forces américaines et de leurs mandataires kurdes.

Les unités militaires russes se concentrent apparemment sur ce lien entre le Pentagone et d'anciens combattants de l'Etat islamique dans leur enquête sur le meurtre, le 18 août, du général de division russe Vyacheslav Gladkikh, qui a perdu la vie à cause d'un engin explosif improvisé en passant près d'un champ pétrolifère syrien.

Sur fond de tensions croissantes et dangereuses entre les États-Unis et la Russie, la prétendue opposition politique à Trump au sein du Parti démocrate – y compris la phalange d'anciens membres de l'armée et du renseignement américains qui se sont ralliés derrière son candidat à la présidentielle Joe Biden – s’en prend à son gouvernement avec des arguments de droite, l'accusant de ne pas être assez agressif contre les forces russes en Syrie.

La sénatrice Tammy Duckworth, qui a utilisé son discours à la convention démocrate la semaine dernière pour qualifier Trump de «lâche en chef», a exigé que le président américain «dénonce Vladimir Poutine et demande des réponses sur les raisons pour lesquelles ses troupes harcèlent et blessent nos troupes en Syrie».

Le sénateur Steny Hoyer, leader de la majorité démocrate à la Chambre, a publié une déclaration disant que «Les nouvelles aujourd'hui d'un affrontement entre les forces américaines et russes en Syrie soulignent les dangers de l'absence de stratégie de ce gouvernement pour protéger nos troupes, soutenir nos alliés et promouvoir la fin du conflit de façon à garantir nos intérêts […] Nous ne devons pas permettre à la Russie d’assurer un contrôle effectif sur la Syrie et de menacer la stabilité de cette partie du monde».

Brett McGurk, ancien envoyé présidentiel spécial à la Coalition mondiale pour vaincre l'Etat islamique, devenu un substitut de Biden sur la politique étrangère, a tweeté mercredi: «Les forces militaires russes écrasent et blessent les troupes américaines en Syrie. Aucun [commandant en chef] compétent ne laisserait nos troupes dans cette situation.»

La menace d'une éruption du militarisme américain, non seulement en Syrie, mais en Europe de l'Est, en mer de Chine méridionale, dans le golfe Persique et ailleurs, ne cesse de croître. Elle n’est pas ralentie, mais attisée par la pandémie mondiale de coronavirus. N'importe laquelle de ces poudrières peut fournir l'étincelle d'un embrasement mondial.

La réponse hystérique des démocrates à la collision entre les véhicules blindés américains et russes dans le nord-est de la Syrie montre clairement que l'avènement d'un gouvernement Biden ne fera qu'intensifier cette menace.

La lutte contre une nouvelle guerre mondiale, ainsi que le combat contre la pandémie, pour la défense des emplois et des droits sociaux, et contre la menace de la dictature, ne peut pas progresser d'un pouce au moyen d'une stratégie électorale en faveur de Biden et des démocrates. Il faut plutôt une stratégie basée sur la lutte des classes et guidée par un programme révolutionnaire socialiste et international.

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