Le gouvernement britannique prévoit d’envoyer l’armée dans la rue pour la «deuxième vague» du coronavirus et la crise du Brexit

«Une pandémie de grippe, de graves inondations, une deuxième vague de Covid et une sortie brutale de l’UE [Union européenne] après la période de transition pourraient provoquer une crise économique systémique ayant un impact majeur sur les revenus disponibles, le chômage, l’activité commerciale, le commerce international et la stabilité des marchés».

C’est ainsi que le bureau du Cabinet conservateur décrit la situation potentielle cet hiver au Royaume-Uni. Le texte est paru dans un document intitulé «Ensemble préliminaire d’hypothèses de planification du pire scénario raisonnable pour soutenir les plans d’urgence civiles pour la fin de la période de transition».

La présentation datée de juillet 2020 et répertoriée comme «Officiel sensible» a fait l’objet d’une fuite au tabloïd Sun, qui l’a rapportée dimanche, la décrivant comme un «Document apocalyptique».

Le Soleil note que le document révèle :

«Une mairie sur 20 pourrait faire faillite lors d’une deuxième vague de Covid, provoquant le chaos dans les services sociaux; l’impact économique du virus et de Brexit pourrait provoquer des désordres publics, des pénuries et des hausses de prix; il est possible que des troupes doivent être envoyées dans les rues pour aider la police dans le pire des cas — 1500 sont déjà en attente». «Les approvisionnements en nourriture et en carburant sont tous menacés à Noël si Douvres est bloqué».

Le «pire scénario raisonnable» qu’il décrit est un scénario où la Grande-Bretagne se retire de son accord transitoire avec l’UE à la fin de l’année sans avoir obtenu un accord commercial. À la suite du dernier cycle de négociations d’une semaine qui s’est achevé vendredi dernier, le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, a accusé la Grande-Bretagne de «perdre du temps», ajoutant qu’on n’avait fait «aucun progrès sur les questions qui comptent» et que les négociations «reculaient plus qu’elles n’avançaient».

Si le Royaume-Uni devait se retrouver sans accord commercial, le document du Cabinet prévoit «des contrôles obligatoires sur les marchandises britanniques dès le premier jour». Cela affecterait sérieusement les importations et les exportations. Tous les camions entrant et sortant du pays auraient besoin de documents de dédouanement et pourraient être soumis à des inspections aux frontières, ce qui entraînerait des retards massifs dans des ports tels que Douvres et Calais. En 2019, 2.397.270 véhicules de transport ont transité par ce port de la Manche, qui a traité jusqu’à 17 pour cent de l’ensemble des échanges de marchandises du Royaume-Uni. La valeur estimée était de 122 milliards de livres sterling en 2017.

Des retards à ce point d’étranglement sensible auraient un impact sur l’approvisionnement en denrées alimentaires, en médicaments et sur le mouvement des pièces pour la fabrication en flux tendu. Par exemple, Honda UK ne détient qu’une heure de pièces détachées dans son usine de Swindon et compte sur 350 camions par jour en provenance d’Europe pour assurer l’approvisionnement des lignes de production.

D’autres effets secondaires entraîneraient des pénuries importantes. Trente pour cent des denrées alimentaires britanniques sont importées depuis l’UE, ce qui augmente la probabilité que les rayons des supermarchés restent vides. Des retards dans l’arrivée des médicaments mettraient de nombreux patients en grave danger ; 75 pour cent des médicaments importés arrivent par Douvres et ont une durée de conservation limitée, ce qui signifie que pour les médicaments vitaux on ne peut constituer que des stocks très limités.

Le Sun déclare à propos du contenu du document: «Les perspectives sont également sombres pour Gibraltar et les îles anglo-normandes, qui dépendent tous deux des importations. Gibraltar pourrait être coupé de l’Espagne et économiquement paralysé, et les îles Anglo-Normandes pourraient avoir besoin de largages de médicaments et de nourriture».

Cette situation déjà dramatique pourrait alors devenir la «tempête parfaite», avertissent les auteurs du rapport si une flambée majeure de COVID-19 résulte de la réouverture de l’économie et notamment des écoles en septembre, si la saison de grippe hivernale s’avère plus dure que d’habitude et si le mauvais temps provoque des inondations majeures, ajoutant à la perturbation des transports.

Les interruptions de l’approvisionnement en énergie pour la production d’électricité et les transports augmenteraient la probabilité de pannes d’électricité à la période la plus froide de l’année. La purification de l’eau nécessitant des produits chimiques importés pourrait également être touchée, entraînant le rationnement.

Selon le document, le Service national de santé (NHS) pourrait faire face à «un scénario de pire grippe en 40 ans, voire à une poursuite des niveaux actuels de C19 [COVID-19] et être considérablement dépassé par n’importe quel deuxième pic».

Même aujourd’hui, la capacité des autorités locales à fournir des services indispensables est menacée, car une municipalité sur vingt en Angleterre «est déjà fortement menacée d’échec financier suite au COVID-19».

Une hausse des taux d’inflation historiquement bas, ainsi que l’augmentation du coût des biens de première nécessité, tels que la nourriture, le chauffage et l’éclairage, pourrait «avoir un impact significatif sur les prestataires de services sociaux en raison de l’augmentation des coûts de personnel et d’approvisionnement», selon le document.

Les politiques criminellement irresponsables du gouvernement Johnson rendent ce «pire scénario raisonnable» encore plus probable.

L’effort de réouverture de toute l’économie met la recherche des profits au-dessus de la menace qui pèse sur des millions de vies. Cette situation est aggravée par la réouverture des écoles dans tout le Royaume-Uni dans des conditions où il est pratiquement impossible d’arrêter la propagation du coronavirus chez les enfants dans des installations surpeuplées et délabrées. Cela est confirmé par les expériences faites dans chaque pays où des écoles ont été rouvertes.

La dernière étude du Cabinet fait suite aux plans précédents du gouvernement concernant l’imposition éventuelle de la loi martiale dans le contexte de l’aggravation de la crise liée à la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE.

Dans le cadre de l’opération «Yellowhammer», les mandarins de Whitehall pourraient utiliser les pouvoirs étendus prévus par la loi de 2004 sur les contingences civiles, introduites par le gouvernement travailliste de Tony Blair. Ces pouvoirs pourraient inclure des couvre-feux, des interdictions de voyager, la confiscation de biens et le déploiement des forces armées.

En vertu de cette loi, le gouvernement peut s’arroger des pouvoirs extraordinaires, lui permettant de déclarer l’état d’urgence sans vote parlementaire. Les «règlements d’urgence» qui sont pratiquement illimités peuvent être décrétés en utilisant la prérogative royale. Ces règlements permettent de donner des «directives ou ordres» interdisant les assemblées, fermant les communications électroniques et proscrivant «d’autres activités spécifiées».

En mars, le gouvernement a mis en œuvre des parties importantes de Yellowhammer dans son projet de loi d’urgence sur le coronavirus. Cette loi permet au gouvernement de restreindre ou d’interdire les événements et les rassemblements en Angleterre et au Pays de Galles pendant la pandémie dans tout lieu, véhicule, train, navire ou avion, toute structure mobile et toute installation offshore et, si nécessaire, de fermer des locaux. Elle prévoit un pouvoir temporaire de fermeture des établissements d’enseignement ou des garderies, étendu à l’Écosse et à l’Irlande du Nord, où il n’existe pas de législation équivalente.

Yellowhammer prédisait une «augmentation du désordre public et des tensions communautaires». Lors de l’adoption du projet de loi d’urgence sur le coronavirus, on a annoncé que 20.000 militaires étaient en attente — 10.000 militaires régulièrement affectés à des opérations parmi les civils, comme lors d’inondations, plus 10.000 soldats supplémentaires.

Toutes les sections de l’establishment politique ont soutenu le projet de loi, y compris le Parti travailliste sous la direction de Jeremy Corbyn, qu’on disait alors «de gauche». Présentées au Parlement le 19 mars, ces mesures draconiennes furent adoptées sans vote par la Chambre des Communes le 23 mars. On les a promulguées le 25 mars après avoir reçu la sanction royale. La loi d’urgence sur le coronavirus restera en vigueur pendant au moins deux ans et pourra être mise à jour tous les six mois.

Le document du Cabinet est une preuve supplémentaire de ce que les conservateurs se préparent à une éruption majeure de conflits de classes. Selon le Sun, le rapport parle d’une «action industrielle coordonnée» avec des troupes disponibles pour aider la police à maintenir «l’ordre public».

La gestion de la pandémie par le gouvernement Johnson a été catastrophique pour la population. Plus de 65.000 personnes ont perdu la vie inutilement. Cela a généré une colère croissante parmi les travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation, des transports, de l’industrie alimentaire et des entrepôts, qui ont protesté contre le fait que leur sécurité, leur vie et leur emploi étaient quotidiennement mis en danger.

Des millions de personnes, pour citer le document, font face à un «impact majeur sur les revenus disponibles» alors que le gouvernement a déjà réduit son programme de chômage technique, qui devrait être entièrement supprimé à la fin du mois d’octobre. Si le régime financé par l’État n’a payé que 80 pour cent des salaires au cours des derniers mois, il a été le mécanisme grâce auquel des millions de travailleurs ont pu conserver leur emploi.

Les entreprises ayant déjà supprimé des dizaines de milliers d’emplois durant la pandémie, le chômage devrait exploser dans les mois à venir et le taux de chômage pourrait presque tripler pour atteindre 15 pour cent.

(Article paru d’abord en anglais le 28 août 2020)

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