«Lettre ouverte» du Soir: l’élite dirigeante belge appelle à propager la Covid-19

Le jeudi 27 août, les journaux belges La Libre Belgique et Le Soir ont publié une Lettre ouverte signée par des médecins, juristes, économistes, enseignants et journalistes. Intitulée «Lettre ouverte à nos responsables politiques: Il est urgent de revoir totalement la gestion de la crise Covid-19», elle nie carrément la gravité de l'épidémie tout comme l’utilité des mesures sanitaires pour l’enrayer.

Avec près de 10.000 morts pour moins de 12 millions d'habitants, la Belgique a subi 853 morts par million d’habitants, un taux dépassé par un seul pays: le Pérou. Malgré les «conditions parfois effroyables» dans lesquelles sont décédés nombre de Belges âgés selon Médecins Sans Frontières, la Lettre ouverte n’a aucun mot de compassion pour évoquer les victimes et les familles endeuillées par la pandémie (Lire : Le sort effroyable des personnes âgées en Belgique face à la Covid-19). Cette indifférence est glaçante au vu du nombre élevé de médecins signataires.

La Lettre ouverte, dont les analyses et arguments sont incroyablement indigents malgré la qualité supposée de ses signataires, s’emploie à minimiser la catastrophe. Elle traite le coronavirus de «virus dont la dangerosité ne dépasse pas celle de la grippe saisonnière que nous vivons chaque année dans la "quasi" indifférence générale.»

La Lettre ouverte évite soigneusement de chiffrer les pertes en vies humaines de la Covid-19, mais il s'agit là d'un mensonge pur et simple. La grippe annuelle fait en moyenne dix fois moins morts que n'en a déjà fait la Covid-19 en Belgique. Selon l'infectiologue Yves Van Laethem, la grippe tue environ 1.000 personnes par an en Belgique, avec des variations relativement limitées. Il faudrait remonter à l' épidémie de grippe de Hong Kong de 1968, la plus terrible après celle de la grippe espagnole de 1918-9, pour retrouver un nombre de décès comparable.

Contrairement à la grippe, la population n’a pas d’anticorps contre la Covid-19 qui est très contagieuse et qui sans mesures de confinement pour la contenir aurait touché au moins 60 pour cent de la population. Le taux d’hospitalisation pour Covid-19 est très supérieur à celui de la grippe, tout comme le taux de mortalité. D’où le nombre élevé de malades sévères et de morts, malgré que le confinement ait réussi à limiter la contamination à une fraction relativement limitée de la population. Il y a déjà eu plus de 200.000 morts en Europe.

La Lettre nie toutefois les bénéfices avérés du confinement: «Confiner les personnes saines n’a aucun fondement scientifique».

En fait, dans le contexte d’impréparation du printemps 2020, avec le manque de masques et de dispositifs de protection et l'impossibilité de séparer les bien-portants des malades, l’épidémie flambait en Belgique, en France, et à travers l’Europe. Chaque contaminé transmettait sa maladie à environ 3 autres personnes; le nombre de morts par jour doublait tous les 2 jours en moyenne.

Si le confinement avait été décidé une semaine plus tard, le pic de mortalité d’avril aurait donc été beaucoup plus élevé, ainsi que la mortalité totale. En France les hôpitaux de Paris (APHP) débordés par l'afflux des malades ont reconnu que tout s'était joué à un jour près.

Mais la Lettre ouverte ne s'intéresse pas aux résultats scientifiques ni ne cherche à reconstituer honnêtement ce qui a fonctionné ou échoué dans les mesures mises en œuvre. Elle est avant tout une attaque partisane dirigée contre la politique de confinement. Aucun argument douteux n’est épargné au lecteur pour la discréditer: les pays qui n’ont pas confiné s’en seraient tout aussi bien voire mieux sortis, le confinement encouragerait les violences familiales, et il augmenterait fatalement la pauvreté et ainsi la mortalité.

Ces arguments ne sont qu’une couverture mensongère pour les intérêts de l’aristocratie financière. L’objection décisive – à savoir, que l’on dépense bien trop d’argent pour sauver des vies qui sont en majorité de vies de travailleurs ou de pauvres – fait aussi surface dans la «Lettre ouverte». Elle s’écrie: «Sur le plan économique, 50 milliards se sont évaporés. Jamais autant d’argent n’aura été investi pour ‘sauver’ si peu de vies, même dans les estimations les plus folles du nombre de décès soi-disant évités (chiffre qui reste inconnu à ce jour).»

En réalité tout est faux dans ces phrases; on connaît assez précisément le nombre de décès et leur accélération avec la montée de l'épidémie. Quant aux sommes d’argent «évaporées», ce ne sont pas 50 milliards mais plus de 2.000 milliards d’euros qui sont partis en subventions européennes aux banques et aux grandes sociétés. Le chômage explose et les petites et moyennes entreprises font faillite non pas parce que les systèmes de santé ont essayé de traiter la maladie, mais parce que les banques et les ultra-riches monopolisent les ressources de la société.

La «Lettre ouverte» n’épargne au lecteur aucun argument fallacieux selon lequel rien ne peut ni ne doit être fait pour enrayer la propagation de cette maladie mortelle.

Déclarant carrément que «le port du masque n’a strictement aucun intérêt» sauf éventuellement si «la distanciation physique ne peut être respectée», la «Lettre ouverte» ajoute: «Le vaccin nous a été présenté d’emblée comme l’unique solution à la fin de cette épidémie, alors que son innocuité, son efficacité et la durée de son éventuelle protection dans le temps sont incertaines. D’autres solutions à moyen ou long terme doivent être envisagées, comme l’immunité collective.»

Or l’immunité collective consiste à laisser infecter le maximum de personnes, en espérant que les survivants conserveront une immunité qui ralentira la propagation du virus. C’est la stratégie mise en place par Donald Trump aux États-Unis, en prétendant qu’il ne faudrait pas perturber l’économie et l’extraction des profits: il suffit donc d’attendre que tous soient contaminés, quelle que soit l’hécatombe qui résulterait. Le résultat, c’est que le pays le plus riche du monde a aussi le plus grand nombre de morts: 191.481 à ce jour.

C'est une politique qui, afin de préserver les richesses et les privilèges d’une classe dirigeante parasitaire et condamnée, refuse de s'appuyer sur le savoir scientifique accumulé et sur la capacité de la société à s'organiser pour affronter le virus. Malgré les progrès extraordinaires de la science depuis 1918-1919, on devrait laisser la Covid-19 infecter et tuer des millions d'êtres humains comme l'a fait la grippe espagnole.

La Lettre ouverte souligne à quel point les milieux médicaux et académiques sont perméables aux pressions des intérêts de classe qui poussent à la réouverture sans restriction de l'économie. Ses signataires exigent le départ des experts qui conseillent le gouvernement pour se débarrasser de tout ce qui ressemble de près ou de loin à une politique de confinement: «La légitimité des experts actuellement aux commandes doit être remise en question».

Déclarant que «Le climat actuel de covidophobie est tout à fait injustifié et génère une anxiété néfaste», la Lettre exige la mise en place de politiques qui propageraient le virus: «Les risques à long terme liés à l’excès d’hygiène doivent être pris en compte. … Les enfants doivent pouvoir reprendre l’école maternelle, primaire et secondaire dans des conditions normales, moyennant des mesures d’hygiène de base comme le lavage des mains. … Les étudiants du supérieur doivent retrouver le chemin des auditoires et de la vie sociale en général.»

Ces arguments nauséabonds soulignent l’indifférence de l’élite dirigeante au nombre de morts que provoquerait sa défense de ses richesses. Les travailleurs ont droit à une information et à des perspectives scientifiquement fondées afin de protéger leurs vies et leurs intérêts de classe. Nous invitons nos lecteurs à diffuser largement les analyses du WSWS sur la Covid-19, et à former leurs propres comités de sécurité, indépendants de l’État et des syndicats, pour veiller à leur santé et à leur sécurité sur leurs lieux de travail et dans les quartiers populaires.

Loading