Crimes de guerre, torture, surveillance et complots d’assassinat: l’audience d’Assange tire à sa fin

L’«Old Bailey» de Londres a entendu mercredi les témoignages d’actes criminels stupéfiants perpétrés par le gouvernement américain contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange. Il s’agit notamment d’une surveillance quasi totale, d’une violation flagrante de la vie privée et des conversations confidentielles d’Assange avec ses avocats, du vol de documents personnels et de plans qui visent à l’enlever ou à l’empoisonner.

Deux anciens employés d’«UC Global» – une société espagnole qui assurait la sécurité de l’ambassade équatorienne à Londres où Assange a demandé l’asile – ont donné leurs témoignages anonymement. Leurs témoignages avaient fait l’objet de reportages et maintenant ces témoignages ont été présentés officiellement comme preuves.

Une rencontre entre Assange et l'avocat Geoffrey Robertson, enregistrée illégalement par «UC Global»

Résumant leurs déclarations écrites, l’avocat de la défense Mark Summers QC a expliqué comment les témoins ont appris, selon leurs propres termes, qu’à partir de 2016, le patron de «UC Global», David Morales, «avait conclu des accords illégaux avec les autorités américaines pour leur fournir des informations sensibles sur Assange».

Morales a dit directement à l’un des témoins qu’ils travaillaient pour les «services de renseignements américains», qu’il appelait par ailleurs «le côté obscur» et «nos amis américains». Morales a vu «ses avoirs [financiers] augmenter sensiblement» après l’établissement de ces relations.

Alors qu’«UC Global» travaillait pour les services de renseignements américains, un témoin a reçu l’ordre de Morales d’installer de nouvelles caméras de surveillance dans l’ambassade qui pouvaient enregistrer secrètement le son, et on lui a dit de nier qu’elles pouvaient le faire lorsqu’il les installait. On leur a également dit que les caméras devaient avoir des capacités de streaming pour que les Américains puissent y avoir accès. Plus tard, on a dissimulé des microphones secrets dans un extincteur dans une salle de réunion de l’ambassade et dans une prise de courant dans les toilettes où Assange a essayé de tenir des réunions privées. On a placé des autocollants sur les fenêtres extérieures pour contrer les vibrations et permettre aux «amis américains» d’utiliser des microphones laser pointés vers les fenêtres depuis l’extérieur de l’ambassade.

Cette surveillance visait spécifiquement les communications d’Assange avec ses représentants juridiques, considérés comme des «cibles prioritaires». Morales, selon un témoin, a montré «une réelle obsession en ce qui concerne la surveillance et l’enregistrement des avocats… parce que “nos amis américains” le demandaient». Le secret professionnel de l’avocat est un principe de base de la justice et toute violation par l’accusation devrait entraîner le rejet de l’affaire.

Morales a également demandé à l’équipe de l’ambassade d’obtenir les empreintes digitales d’Assange. Aussi, il les a demandés de voler ses documents et de «voler la couche d’un bébé qui rendait régulièrement visite à Assange» pour établir si l’enfant était le sien. Morales «a déclaré expressément que ce sont les Américains qui voulaient établir la paternité». Il a par la suite raconté au témoin que ses responsables américains envisageaient des «mesures plus extrêmes», notamment son «kidnapping» ou son «empoisonnement».

D’autres déclarations de témoins ont confirmé et développé le caractère totalement illégal de la persécution d’Assange.

Robert Boyle, un avocat américain spécialisé dans les droits civils et criminels, a fait un témoignage d’expert sur les grands jurys, le mécanisme juridique par lequel on a inculpé Assange aux États-Unis. Il a expliqué que les grands jurys «fonctionnent sans respecter les règles techniques et probatoires des procès pénaux» et que «le gouvernement a usurpé leurs larges pouvoirs», ce qui permet aux procureurs d’obtenir ce qu’ils veulent sans discussion. Cette «appropriation de facto de ces pouvoirs par les forces de l’ordre a créé un terrain fertile pour les abus du ministère public», notamment la coercition de témoins.

Il a cité en exemple le cas de Chelsea Manning, que les procureurs américains ont tenté de forcer à témoigner contre WikiLeaks par le biais d’une citation à comparaître devant un grand jury. Le refus de principe de Manning a été puni par une peine d’emprisonnement et des amendes qui ont mené à sa faillite: ce qui lui a causé «un grave préjudice psychologique et a failli lui coûter la vie». En mars de cette année, elle a tenté de se suicider au centre de détention d’Alexandrie, où Assange serait détenu avant son procès.

Bridget Prince, directrice de One World Research, une organisation de recherche sur les enquêtes d’intérêt public et les droits de l’homme, a expliqué en détail comment un jury américain dans le procès d’Assange serait partial et opposé au fondateur de WikiLeaks.

Assange serait jugé à Alexandrie qui est dans le district est de la Virginie. Donc, son jury serait composé de membres des services militaires et de sécurité du gouvernement et de sociétés de sécurité privées qui sont parmi les «plus gros employeurs» de la région. Les agences gouvernementales ayant leur siège dans la région comprennent la CIA, le FBI, le Centre national d’intégration de la cybersécurité et des communications, le ministère américain de la Défense (le Pentagone) et le Commandement du renseignement et de la sécurité de l’armée américaine. Il y a également une «forte concentration d’entreprises qui sont des contractants du gouvernement travaillant dans les secteurs de l’armée et du renseignement».

Dans l’après-midi, le tribunal a entendu les preuves de la défense sur les publications Guantanamo Bay Files 2011 de WikiLeaks, que le journaliste d’investigation Andy Worthington a décrites comme «l’anatomie d’un crime aux proportions colossales perpétré par le gouvernement américain sur la majorité des 779 prisonniers détenus à Guantanamo».

Mark Summers QC pour la défense a cité des passages clés des deux déclarations de témoins de Worthington. Le journaliste s’était associé à WikiLeaks pour décrire le contexte essentiel pour la compréhension des dossiers. Ces derniers comprenaient des milliers de pages de «Detainee Assessment Briefs» de la «Joint Task Force» à Guantanamo Bay (JTF-GTMO), au US Southern Command à Miami, en Floride.

Worthington a publié de nombreux ouvrages sur Guantanamo et a été l’auteur principal d’un rapport des Nations unies sur la détention secrète en 2009.

Dans sa déclaration écrite au tribunal, Worthington a expliqué comment les dossiers de Guantanamo «contenaient des explications détaillées sur les supposés renseignements utilisés pour justifier la détention des prisonniers», avec des «preuves» extraites par la torture de la CIA, «soit à Guantanamo, soit dans des prisons secrètes gérées par la CIA».

Il a cité l’exemple de trois détenus, dont le faux témoignage, «qui prouvait l’usage criminel de la torture», dont on s’est servi pour condamner de nombreux codétenus. On a extrait le faux témoignage d’Abu Zubaydah, saisi au Pakistan en 2002. Il a passé quatre ans et demi dans les prisons de la CIA en Thaïlande et en Pologne et on l’a soumis à la «torture par l’eau» et à la «noyade contrôlée» à 83 reprises.

On a capturé Ibn al-Shaykh al-Libi en Afghanistan et la CIA l’a illégalement remis à l’Égypte. Là-bas, «il a faussement avoué sous la torture que des agents d’Al-Qaida avaient rencontré Saddam Hussein pour discuter de l’obtention d’armes chimiques et biologiques. Bien qu’al-Libi ait rétracté cette fausse confession, le gouvernement Bush a néanmoins utilisé cette confession pour justifier l’invasion de l’Irak en mars 2003».

Cette guerre monstrueuse, qui a fait un million de morts et détruit la société irakienne, a bénéficié de l’«implication consciente» de l’État britannique. Worthington a noté que des agents du MI6 «ont été témoins… [du] retrait d’al-Libi de la base aérienne de Bagram dans un cercueil», les agents du MI5 et du MI6 fournissant des questions aux agents de la CIA qui torturaient al-Libi.

Un autre prisonnier, Nashiri, qu’on a torturé dans un «site noir de la CIA» en Thaïlande aux côtés de Zubaydah, a porté avec succès une affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, «en utilisant, entre autres, les preuves de WikiLeaks Cablegate sur les restitutions de la CIA».

Le journal britannique Telegraph s’est associé à WikiLeaks sur les fichiers de Guantanamo – les «partenaires médiatiques» d’Assange au Guardian et au New York Times l’ayant déjà dénoncé pour avoir révélé «de manière irresponsable» des crimes de guerre. Worthington a rappelé que lui et Assange se rencontraient «régulièrement» dans les bureaux du Telegraph «pour des réunions et des discussions communes». Le journal n’a pas publié mercredi le témoignage de Worthington, même s’il avait déjà publié les révélations de Guantanamo en 2011 avant WikiLeaks.

(Article paru en anglais le 1er octobre 2020)

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