Le magazine américain Jacobin supplie Biden et les démocrates de combattre Trump

Dans un contexte de crise politique sans précédent aux États-Unis, le magazine Jacobin, qui est politiquement affilié au parti des Socialistes démocrates d’Amérique (Democratic Socialists of America – DSA), se positionne de plus en plus ouvertement comme un défenseur et un conseiller de la campagne Biden.

Dans l’un des derniers articles en date dans cette veine intitulé «To Fight Trump’s Rising Authoritarianism, Dems Must Drop Their Learned Helplessness» (Pour lutter contre la montée de l’autoritarisme de Trump, les démocrates doivent se défaire de leur impuissance acquise), David Sirota et Andrew Perez répondent à la déclaration de Trump de la semaine dernière selon laquelle il n’accepterait pas un transfert pacifique du pouvoir au cas où il perdrait la prochaine élection présidentielle. Les auteurs condamnent également la tentative de Trump de nommer à la hâte un candidat à la Cour suprême qui pourrait être un facteur majeur dans le choix du prochain président en cas d’élection contestée.

Caractérisant la signification de ces développements, Sirota et Perez écrivent: «Un crime est en cours, plus précisément un coup d’État qui sera orchestré à distance par Zoom, car les législateurs républicains prévoient maintenant quitter Washington sans adopter de loi pour lutter contre la pandémie et de revenir uniquement afin de voter pour installer un nouveau juge à la Cour suprême et organiser l’élection.»

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le sénateur Chuck Schumer au Capitole (Source: Flickr.com/AFGE)

Trump tente en effet de préparer un coup d’État électoral. Il utilise la campagne électorale à cette fin, en incitant notamment des éléments d’extrême droite et fascistes et en menaçant d’invoquer l’Insurrection Act (loi sur l’insurrection) pour déployer l’Armée dans l’ensemble des États-Unis.

La question urgente à laquelle sont confrontés les travailleurs et les jeunes est de savoir comment arrêter cette descente vers la dictature et le fascisme. La perspective offerte par le magazine Jacobin est de canaliser toute l’opposition derrière le Parti démocrate.

Sirota et Perez passent beaucoup de temps à examiner et à critiquer la réponse des démocrates aux complots de Trump. Ils critiquent le signal donné par Chuck Schumer à la fin de la semaine dernière, selon lequel les démocrates du Sénat ne s’opposeraient pas sérieusement à la nomination de Trump, ainsi que le recul de la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, quant à ses menaces vides de sens de fermer le gouvernement.

Perez et Sirota concluent que la prosternation impuissante du Parti démocrate est le produit d’une «impuissance acquise» des démocrates. Ils écrivent que le parti souffre d’«anti-opposition» et qu’il «embrasse toute capitulation – aussi amorale soit-elle – pour des raisons électoralistes, invoquant l’idée de poursuivre la lutte et les bonnes manières.»

Il est difficile d’arriver à une analyse plus inepte de la politique américaine que celle proposée par le magazine Jacobin. Selon Perez et Sirota, les démocrates sont comme le lion peureux qui ne cesse de se lamenter quant à son manque de courage dans le Magicien d’Oz. Oh si seulement les démocrates pouvaient avoir plus de courage! Dorothy retrouverait vite alors le chemin du Kansas et la démocratie américaine serait sauvée de la dictature!

Dans l’analyse de Jacobin, il n’y a aucune référence aux intérêts de classe que le Parti démocrate représente. Plus ancien parti capitaliste des États-Unis, le Parti démocrate représente une puissante faction de Wall Street, de l’appareil militaire et des agences de renseignement, en alliance avec des sections privilégiées de la classe moyenne supérieure.

Ce qui effraie le plus le Parti démocrate n’est pas tellement les intentions de Trump que la croissance d’une opposition sociale venant d’en bas, hors de son contrôle.

C’est ce qui a déterminé les actions des démocrates tout au long de la présidence de Trump. Tout en collaborant avec Trump sur des questions clés de politique intérieure, les démocrates cherchent à canaliser l’opposition populaire massive aux politiques de droite de l’administration derrière leur propre campagne pour une politique étrangère plus agressive contre la Russie.

Les démocrates confient à l’appareil militaire et aux agences de renseignement – les «adultes dans la pièce» – le rôle principal au sein de l’État pour s’opposer à Trump, avec en sous-texte pas si subtil que ce sont les forces sur lesquelles ils compteront pour chasser Trump du pouvoir par la force si jamais la classe dirigeante le juge nécessaire. Parmi les défenseurs de la démocratie et des «autorités morales» dont les démocrates font l’éloge, on trouve les généraux à la retraite James Mattis, John Kelly et H.R. McMaster: tous des architectes de longue date de l’impérialisme américain.

En ce qui concerne la pandémie, le Parti démocrate a soutenu, à la quasi-unanimité, le CARES Act, qui a sanctionné la distribution de milliers de milliards de dollars à Wall Street et aux entreprises américaines.

Depuis lors, les démocrates font tout ce qui est en leur pouvoir pour faciliter la mise en œuvre de la politique d’«immunité collective» de Trump, permettant au virus d’infecter sans entrave toute la population. C’est cette politique qui a conduit à la réouverture des écoles pour l’apprentissage en personne, qui a été poursuivie de la façon la plus impitoyable dans les districts contrôlés par les démocrates, notamment à New York, dans le plus grand district scolaire du pays.

La politique de la classe dirigeante entraine une explosion sociale, et les démocrates craignent que l’opposition à Trump ne défie les intérêts de Wall Street et de l’impérialisme américain. La perfidie de cette politique est ancrée dans les intérêts de classe qu’elle défend.

Le magazine Jacobin fonctionne comme une faction du Parti démocrate qui consacre tous ses efforts à détourner l’opposition montante vers une stratégie politique sans issue consistant à «exercer des pressions pour pousser les démocrates à gauche.»

Sirota et Perez résument cette position dans les derniers paragraphes de leur article: «Si les législateurs dans l’opposition ne cessent de rêver à un retour à la normale au lendemain d’un brunch de victoire, et si les millions d’électeurs démocrates n’exigent pas immédiatement que les dirigeants de leur parti commencent à s’opposer sérieusement au choix de Trump à la Cour suprême, alors il ne reste probablement plus grand-chose de la démocratie américaine.»

Jacobin ne peut imaginer ou – plus exactement – s’oppose à toute solution à la crise sans passer par le Parti démocrate. Selon Sirota et Perez, à moins que les travailleurs ne commencent immédiatement à exiger que les démocrates commencent à se battre, la démocratie américaine est finie. Si c’est là la seule solution pour eux, autant conclure tout de suite que la démocratie américaine est bel et bien finie.

Plus la crise sociale aux États-Unis s’intensifie, et plus Jacobin se déplace vers la droite. À preuve, la semaine dernière, le magazine publiait un article promouvant la politique de l’«immunité collective» dans lequel Martin Kulldorff, l’un des universitaires interrogés, soutient que les écoles et les universités doivent rouvrir parce que «les jeunes en santé contribuent à l’immunité collective, ce qui, en fin de compte, est bon pour tout le monde.»

Dans un passage retweeté avec l’approbation de l’éditeur de Jacobin Bhaskar Sunkara, Kulldorff déclare que «le confinement est la pire agression contre la classe ouvrière perpétrée depuis un demi-siècle», adoptant essentiellement du coup la ligne de Trump, promue pour la première fois par le New York Times, selon laquelle «le remède ne doit pas être pire que la maladie». Dans l’article, Kulldorff fait également l’éloge de Scott Atlas, se portant à la défense du principal promoteur de l’«immunité collective» dans l’entourage de Trump.

Jacobin représente les intérêts de classe de sections privilégiées de la classe moyenne supérieure hostiles à la classe ouvrière. Le magazine prépare actuellement les arguments qui, dans l’éventualité où Biden deviendra président après les élections, seront utilisés pour poursuivre essentiellement les mêmes politiques que l’administration Trump en ce qui a trait à la pandémie.

Sirota est un ancien porte-parole des démocrates au Comité des crédits de la Chambre des représentants (Democrats on the House Appropriations Committee). Il a aussi été attaché de presse de Bernie Sanders et il est un ancien membre du Center for American Progress (CAP), créé par John Podesta, ancien membre des administrations Clinton et Obama. Il est également le coprésident fondateur du Progressive States Network. Cet organisme a été créé en 2005 par l’Open Society Institute de George Soros, le CAP de Podesta, l’AFL-CIO, l’Union internationale des employés de service, l’AFSCME et les Métallurgistes unis d'Amérique pour faire pression sur les assemblées législatives des divers États pour faire avancer le programme de la bureaucratie syndicale.

Après la fin pathétique de la campagne de Sanders, Sirota a été engagé par le personnel de Jacobin pour l’aider à rallier les partisans de Sanders derrière Biden. Après avoir passé cinq ans à faire campagne pour Sanders, aucune analyse significative n’a été faite et aucune leçon n’a été tirée de cette expérience. Sirota poursuit le même travail en écrivant des dizaines d’articles promouvant la même perspective de base que celle contenue dans son dernier article: continuez de soutenir le Parti démocrate!

La situation politique actuelle aux États-Unis et dans le monde est désastreuse. La vie et les moyens de subsistance de millions de travailleurs sont en jeu. Les efforts de l’administration Trump pour transformer l’élection en un coup d’État sont l’expression politique de l’incompatibilité présente entre les niveaux massifs d’inégalité sociale et la politique meurtrière d’«immunité collective» d’un côté, et ce qui reste des formes démocratiques de gouvernement de l’autre.

La lutte contre l’autoritarisme et la dictature ne doit pas être subordonnée au Parti démocrate. Elle doit être développée comme un mouvement indépendant de la classe ouvrière contre le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 29 septembre 2020)

L’auteur recommande également :

Pourquoi les démocrates ne luttent pas contre Trump?
[26 septembre 2020]

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