30 ans d'unité allemande

Ce texte est la traduction d’un article paru le 3 octobre, jour de l’Unité allemande.

Pour la grande majorité de la population allemande, il n'y a rien à célébrer en ce jour de l'Unité allemande. Cette fête nationale allemande officielle n'a jamais trouvé de résonance notable dans la population, car la réunification fut un événement réactionnaire fondé sur les mensonges. Et le Mur séparait deux de ces grands mensonges. À l'Est, les bureaucrates staliniens prétendaient avoir construit le socialisme, et à l'Ouest, les dirigeants capitalistes qui étaient en continuité personnelle avec les nazis, se célébraient comme libéraux et démocratiques.

Gardes-frontières est-allemands vus à travers une brèche dans le mur de Berlin après que des manifestants en aient abattu un segment à la porte de Brandebourg, Berlin [Source: AP Photo/Lionel Cironneau, archives] [AP Photo/Lionel Cironneau, File]

Le résultat de l'unification ne pouvait être qu'une énorme régression sociale. Toute confiance, aussi vague soit-elle, a disparu dès que la réalité capitaliste s'est installée en Allemagne de l'Est. Les droits sociaux des travailleurs ont été anéantis, des licenciements massifs ont été imposés et un énorme déclin culturel a eu lieu dans tout le pays. Dans le climat réactionnaire de la réunification, les forces les plus à droite ont été encouragées.

Alors que les dirigeants politiques allemands commémorent aujourd'hui la dissolution de la République démocratique allemande (RDA) il y a 30 ans, les promesses de liberté, de démocratie et de prospérité ne sont plus que des phrases creusent. Elles sont quotidiennement réfutées par la réalité. Au lieu de cela, l'inégalité sociale, le fascisme et la guerre sont en progression en Allemagne et dans le monde entier et menacent la survie de l'humanité.

Il y a trente ans, les porte-parole de la bourgeoisie avaient célébré triomphalement la fin de la RDA, des régimes staliniens en Europe de l'Est et la dissolution de l'Union soviétique comme la «fin de l'histoire». Le socialisme avait échoué, avaient-ils conclu avec joie. Le capitalisme était synonyme de démocratie et du plus haut niveau culturel que la société humaine puisse jamais atteindre.

Seul le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) s'est battu pour la perspective opposée à l'époque. Ce n'est pas le socialisme qui avait échoué, avons-nous expliqué, mais le stalinisme, le règne d'une caste bureaucratique contre-révolutionnaire qui a persécuté et assassiné les marxistes, opprimé la classe ouvrière et saboté ses luttes internationales. Aucune des contradictions qui avaient fait du XXe siècle le plus violent de l'histoire n'avait été résolue.

Au contraire, la restauration du capitalisme en Europe de l'Est, en Union soviétique et en Chine n'était que le prélude à une nouvelle offensive contre la classe ouvrière et à de nouvelles guerres impérialistes pour la redivision du monde. Des luttes de classe révolutionnaires étaient inévitables. La construction d'un parti socialiste pour unir la classe ouvrière internationale dans la lutte contre le capitalisme était donc d'autant plus urgente.

Trente ans plus tard, il ne fait aucun doute que le CIQI et sa section allemande, la Bund Sozialistischer Arbeiter (BSA, aujourd'hui Sozialistische Gleichheitspartei, SGP), avaient raison.

30 ans de guerre

Trois mois seulement après la réunification allemande en 1990, une coalition dirigée par les États-Unis, comprenant les principales puissances européennes, a envahi l'Irak. Depuis lors, Washington, soutenu par l'OTAN, mène la guerre sans interruption. Des millions de personnes ont été tuées, des dizaines de millions d’autres ont été contraintes de fuir et des sociétés entières ont été détruites en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie et au Yémen. En ce moment, les États-Unis préparent une guerre contre les puissances nucléaires que sont la Chine et la Russie, qui menace de détruire l'humanité tout entière.

En Allemagne, 30 ans après la réunification, les fascistes sont de retour au parlement et il ne se passe pas une semaine sans que de nouveaux réseaux d'extrême droite ne soient révélés au sein des agences de sécurité. L'Alternative pour l'Allemagne (AfD) est systématiquement courtisée par l'État et les partis de l'establishment car ils en ont besoin pour mettre en œuvre leurs politiques de droite. De nombreux membres dirigeants de l'AfD viennent de la police, de la Bundeswehr (forces armées) et des services secrets.

Après l'entrée de l'AfD au Parlement il y a trois ans, le président allemand Frank-Walter Steinmeier, lors du jour de l'Unité allemande, a appelé au «patriotisme allemand», a demandé que «les murs de l'irréconciliable» soient démantelés et a invité les dirigeants de l'AfD, Alice Weidel et Alexander Gauland, à des entretiens au château de Bellevue, sa résidence officielle. Enfin, la poursuite de la grande coalition entre les chrétiens-démocrates et les sociaux-démocrates a fait passer l'AfD – qui n'avait obtenu que 12,6% des voix – au rang de leader de l'opposition au parlement. Les membres de tous les partis ont élu des représentants de l'AfD à la tête d'importantes commissions parlementaires.

La grande coalition met en pratique le programme d'extrême droite de l'AfD. Cela s'applique au réarmement militaire ainsi qu'aux politiques inhumaines en matière de réfugiés, qui suivent la devise «dissuader et déporter», forçant les réfugiés dans des installations semblables à des camps de concentration et laissant des milliers d'entre eux se noyer en Méditerranée.

Comme l'avait prévenu la BSA, la classe dirigeante allemande est revenue à la politique de grande puissance et au militarisme après la réunification. Elle prétend (selon les termes du conseiller gouvernemental Herfried Münkler) être la «puissance hégémonique» et le «disciplinaire» de l'Europe; elle a doublé son budget de la défense; et elle déclare que le monde entier fait partie de sa sphère d'intérêt. Wolfgang Schäuble, qui a négocié l'accord d'unification, a dicté des programmes d'austérité brutaux à la Grèce et à d'autres pays européens.

Cela va de pair avec la banalisation des crimes de l'impérialisme allemand et des nazis. Lorsque l'historien Jörg Baberowski a défendu l'apologiste nazi Ernst Nolte en 2014 dans Der Spiegel et a déclaré: «Hitler n'était pas un psychopathe, il n'était pas brutal», ce à quoi le SGP s’est opposé, il a été défendu avec véhémence par les politiciens, les médias et la direction de l'université Humboldt.

La Bundeswehr est aujourd'hui déployée dans douze pays, de l'Afghanistan en Asie au Mali en Afrique. Le gouvernement fédéral veut étendre massivement ces missions de guerre internationales et ainsi poursuivre ses anciennes prétentions à la puissance mondiale. Dans les nouvelles «Directives pour l'Indo-Pacifique», le ministère des Affaires étrangères a récemment déclaré que le Pacifique était une zone d'influence allemande. L'Allemagne, en tant que «nation commerçante active sur le plan mondial», écrit-il, «ne devrait plus se contenter d'un rôle de spectateur» en termes militaires.

Contre-révolution sociale

Le bilan social de la réunification est dévastateur. Au lieu des «paysages florissants» promis, les travailleurs d'Allemagne de l'Est ont connu un déclin social sans précédent dans l'histoire. Les entreprises d'État ont été vendues pour une bouchée de pain, démantelées et l'Allemagne de l'Est transformée en un paradis des bas salaires pour les entreprises ouest-allemandes. La Treuhandanstalt a liquidé un total de 14.000 entreprises d'État, en vendant certaines et en fermant la plupart. En trois ans, 71% de tous les travailleurs avaient changé d'emploi ou l’avaient perdu. Tout comme la propriété d'État, les acquis sociaux qui en découlaient ont été anéantis: le droit au travail, aux soins médicaux, à l'éducation et aux services de garde pour les enfants.

Et comme l'avait prédit la BSA, les conditions dévastatrices à l'Est ont servi de levier pour broyer les droits sociaux à l'Ouest. L'Agenda 2010 du gouvernement Schröder-Fischer a fait en sorte qu'environ 40% de tous les travailleurs soient confrontés à des conditions de travail précaires et ne gagnent souvent même pas assez pour subvenir à leurs besoins fondamentaux.

Alors que les cadres sont payés des millions et qu'une petite minorité bénéficie de la hausse des marchés des actions et de l'immobilier, la pauvreté augmente de façon spectaculaire dans toute l'Allemagne. Dans l'un des pays les plus riches du monde, plus de 2,5 millions d'enfants vivent dans la pauvreté. Dans certaines villes de la région de la Ruhr, un enfant sur quatre est touché.

Avec la pandémie de coronavirus, la contre-révolution sociale prend désormais une nouvelle dimension. La classe dirigeante traite la vie des travailleurs avec le même mépris et aussi impitoyablement que celle des réfugiés. Pour que les profits puissent à nouveau affluer, les travailleurs sont contraints de retourner dans des usines, des bureaux et des entreprises dangereux. Les écoles et les garderies sont rouvertes sans aucune restriction. Pour justifier cette politique meurtrière, les politiciens et les journalistes utilisent la même idéologie biologique et inhumaine que les nazis.

Après que des centaines de milliards d'euros aient été jetés aux entreprises et aux marchés financiers, des centaines de milliers de travailleurs vont maintenant être jetés à la rue. Les grandes entreprises profitent de la crise pour faire adopter des plans de restructuration et de licenciements massifs qu’ils espéraient depuis longtemps. Le secteur déjà horrible des bas salaires se développe encore et les conditions de travail se détériorent de plus en plus.

Mais trente ans après la réunification allemande, ce n'est pas seulement le voile de la propagande bourgeoise qui s'est déchiré, montrant le capitalisme dans toute sa brutalité inhumaine. Les conditions pour le renverser prolifèrent également.

Des manifestations et des grèves de masse ont eu lieu l'année dernière dans de nombreux pays, ouvrant la voie à de futurs bouleversements sociaux: Mexique, Porto Rico, Équateur, Colombie, Chili, France, Espagne, Algérie, Royaume-Uni, Liban, Irak, Iran, Soudan, Kenya, Afrique du Sud, Inde et Hong Kong. Partout, les gens sont descendus dans la rue. Aux États-Unis, la première grève nationale des travailleurs de l'automobile depuis plus de quarante ans a eu lieu. La caractéristique la plus remarquable de ces luttes est leur caractère international. Elles sont principalement menées par la jeune génération et se développent en dehors des partis et des syndicats procapitalistes.

La pandémie de coronavirus accélère et intensifie ces conflits sociaux. En Allemagne aussi, la situation bout sous la surface. Les travailleurs des secteurs de la fonction publique, de l'éducation, de la santé et des transports, de l'industrie automobile, de la métallurgie et de la sidérurgie cherchent des moyens d'échapper à l'emprise des syndicats, qui répriment toute lutte. La jeune génération descend dans la rue pour protéger l'environnement, contre le néo-fascisme et en opposition à la guerre.

Pour unir ces luttes en un mouvement de masse contre le capitalisme, la question cruciale est une perspective socialiste internationale, basée sur les leçons du 20e siècle. Les travailleurs doivent comprendre pourquoi le capitalisme a pu être introduit il y a 30 ans sans rencontrer de résistance majeure et quelles étaient les forces politiques à l'œuvre.

La division de l'Allemagne

La division de l'Allemagne était basée sur les accords réactionnaires de Yalta et de Potsdam, dans lesquels la bureaucratie stalinienne de l'Union soviétique s'était entendue avec les puissances occidentales pour réprimer les soulèvements révolutionnaires qui se développaient dans toute l'Europe et pour diviser le continent en zones d'influence.

La bureaucratie du Kremlin et les dirigeants des puissances impérialistes craignaient autant l’une que les autres qu'après la Seconde Guerre mondiale, comme cela s'était produit à la fin de la Première, des soulèvements révolutionnaires contre le capitalisme n'éclatent. De nombreux travailleurs étaient armés en Italie, en France, en Yougoslavie et en Grèce. Ils avaient combattu dans la résistance contre le fascisme. En Allemagne aussi, des occupations d'usines et des expropriations spontanées ont eu lieu partout.

La bureaucratie du Kremlin s'est engagée à utiliser son influence sur les partis communistes d'Europe occidentale et de Grèce pour démobiliser les masses armées et assurer un développement capitaliste. En retour, elle a reçu l'assurance d'États tampons en Europe de l'Est pour se protéger contre une nouvelle invasion impérialiste.

À cette fin, tout mouvement révolutionnaire a été brutalement réprimé en Allemagne de l'Est, comme dans tous les pays d'Europe de l'Est. Le groupe Ulbricht, qui avait été amené en Allemagne de l'Est par avion depuis Moscou, s'est donné pour tâche principale d'étouffer toute initiative indépendante de la classe ouvrière et de dissoudre tous les comités socialistes et antifascistes indépendants pour les remplacer par les siens.

Sur cette base, il avait été initialement prévu de ne pas toucher aux structures de propriété capitaliste. Ce n'est que sous la pression de la classe ouvrière et de la politique de plus en plus agressive de Washington contre l'Union soviétique que les bureaucrates ont commencé, en 1948, à étendre les rapports de propriété socialistes de la révolution d'octobre 1917 aux États tampons. L'État bourgeois restait cependant en place, et même les anciens fonctionnaires nazis restaient en poste dans les rangs inférieurs et moyens.

Le caractère anti-classe ouvrière de l'État de la RDA est devenu évident lorsque, le 17 juin 1953, des centaines de milliers d'ouvriers sont descendus dans la rue pour protester contre l'augmentation de la charge de travail et ont ensuite été écrasés par les chars soviétiques. Au moins 200 travailleurs ont été abattus. La construction du mur de Berlin huit ans plus tard était motivée par la crainte que de tels soulèvements puissent se répéter et s'étendre à l'ensemble de Berlin. Le Mur était un instrument pour diviser la classe ouvrière et la garder sous contrôle.

Malgré cette déformation bureaucratique, le transfert des rapports de propriété socialistes, qui avait émergé de la révolution d'Octobre en Russie, représentait un progrès social. L'économie planifiée a créé la base d'un développement industriel substantiel et d'une prospérité accrue. La Quatrième Internationale a donc défini les pays d'Europe de l'Est comme des «États ouvriers déformés». En mettant l'accent sur «déformés», le CIQI affirmait que le rôle contre-révolutionnaire du stalinisme a historiquement pesé beaucoup plus lourd que le progrès social limité dans les États tampons.

Ce n'est que parce que la bureaucratie du Kremlin s'est efforcée de réprimer la révolution à l'Ouest comme à l'Est que la bourgeoisie allemande a pu stabiliser son pouvoir dans la partie occidentale du pays. Les anciennes élites fascistes des affaires, de la politique et de l'appareil d'État sont restées au pouvoir. Il ne devait pas y avoir de révolution pour chasser Hans Globke (chef d'état-major de la chancellerie allemande en Allemagne de l'Ouest du 28 octobre 1953 au 15 octobre 1963), la dynastie des industriels Krupp, dont les ateliers ont bénéficié du travail forcé à Auschwitz, et l'ancien général nazi Reinhard Gehlen, qui a ensuite fondé les services secrets ouest-allemands. Ces mêmes sociétés qui avaient torturé à mort des millions de travailleurs forcés, fabriqué des abat-jours en peau humaine et des oreillers en cheveux humains, exploitaient à nouveau la classe ouvrière ouest-allemande. Dans le sillage des États-Unis, elles ont rapidement reconstruit leur puissance économique.

Aucune des contradictions qui avaient conduit aux deux guerres mondiales et ultimement aux plus grands crimes de l'histoire de l'humanité n'avait été résolue par l'ordre de l'après-guerre. Les élites allemandes ont de nouveau fait pression pour une plus grande indépendance et une plus grande domination en Europe. La réunification de l'Allemagne et l'appropriation des territoires de l'Est ont été, dès le début, l'objectif revanchard de la bourgeoisie allemande.

À partir de 1970, la nouvelle Ostpolitik du leader social-démocrate Willy Brandt a ouvert les marchés et les travailleurs à l'exploitation à l'Est pour l'industrie ouest-allemande. Dans les années 1980, les élites discutaient déjà une fois de plus de la manière dont l'Allemagne, en tant que puissance moyenne, devait s'aligner sur le plan international, ce qui, dans la «dispute des historiens» de la fin des années 1980, s'accompagnait déjà d’une justification des crimes nazis.

Réunification

Avec la réunification, les souhaits impériaux de la classe dirigeante allemande ont été réalisés. Elle a annexé à elle-même les territoires de la RDA, qui lui avaient été refusés depuis la défaite lors de la guerre. La bourgeoisie allemande n'a pas eu besoin d'un seul des 4600 chars d'assaut que la Bundeswehr possédait au milieu des années 80; ils lui ont été présentés sur un plateau d'argent par la bureaucratie stalinienne.

Malgré les succès économiques basés sur l'économie planifiée dans les années 50 et 60, la doctrine stalinienne du «socialisme dans un seul pays» avait coupé la RDA du marché mondial et des développements technologiques rapides, tout comme les autres États du bloc de l'Est. Avec la mondialisation de la production, l'économie exportatrice de la RDA, en particulier, s'est finalement enfoncée de plus en plus dans la crise.

Dans ces circonstances, la bureaucratie stalinienne en Union soviétique a décidé de restaurer le capitalisme et de piller la propriété de l'État. En 1989, le secrétaire général du Parti de l'unité socialiste (SED), Erich Honecker, à Berlin-Est, a hésité à suivre les traces du dirigeant soviétique Gorbatchev. Mais la majorité de la direction du SED avait depuis longtemps décidé de prendre le chemin du capitalisme. Avant même la chute du mur de Berlin, le Comité central du SED a renversé Honecker et l'a remplacé d'abord par Egon Krenz, puis par Hans Modrow, qui a avoué plus tard dans ses mémoires: «À mon avis, le chemin de l'unité était inévitable et devait être emprunté avec détermination.»

La grande majorité de ceux qui étaient descendus dans la rue en novembre 1989 contre la dictature du SED ne voulait pas de la restauration du capitalisme. Mais il est apparu clairement que des décennies de répression du marxisme et de tous les mouvements indépendants de la classe ouvrière avaient laissé des traces profondes. Les manifestations ont pu être dominées par la faction de droite de la bureaucratie et les forces petites-bourgeoises de la «Table ronde» et ont été orientées vers la réunification.

Les événements de novembre n'ont pas été une révolution, mais le début d'une contre-révolution sociale qui a détruit toutes les réalisations sociales et a inauguré un déclin culturel sans précédent à l'Est comme à l'Ouest. Ils ont ouvert la voie à la résurgence du militarisme allemand et à la montée de l'extrême droite.

La bureaucratie stalinienne a joué un rôle central dans la mise en place de ce programme. En tant que parti au pouvoir, et plus tard sous le nom de Parti du socialisme démocratique (PDS), elle a fait tout son possible pour réprimer les grèves et les protestations contre les fermetures d'usines et les réductions de salaire. Elle a été soutenue en cela par les pablistes du Secrétariat unifié, qui avaient rompu avec le trotskysme dans les années 1950 et s’étaient transformés en fervents défenseurs du stalinisme.

En novembre 1989, le chef du Secrétariat unifié, Ernest Mandel, s'est rendu personnellement à Berlin-Est pour dénoncer les trotskystes de la BSA dans les pages de l'organe central de l'organisation de jeunesse stalinienne FDJ. Lors de la manifestation de masse du 4 novembre, la BSA avait appelé au renversement de la bureaucratie du SED et à la création de conseils ouvriers. Mandel a condamné cela comme étant une intervention externe inadmissible et a soutenu le SED. En janvier 1990, les partisans de Mandel dans la «Gauche unie» ont même rejoint le dernier gouvernement SED de Hans Modrow.

Les pablistes, comme les staliniens, ont utilisé le vieux mensonge de la bureaucratie selon lequel la dictature stalinienne était «le socialisme réel en existence.» Mais leur conclusion n’était plus l'idolâtrie de la bureaucratie du Kremlin, mais le prétendu échec du socialisme. Après l'unification allemande, les pablistes sont entrés dans le PDS, qui aujourd'hui, sous le nom de Die Linke, soutient les attaques sociales, les mesures d'État policier et les interventions impérialistes de la bourgeoisie allemande.

La perspective du CIQI

La BSA, en tant que section allemande du CIQI, était la seule tendance politique qui, en 1990, prônait une perspective progressiste contre la réunification capitaliste. Elle a pu le faire parce qu'elle se basait sur la perspective internationale de la Quatrième Internationale, qui avait été brutalement réprimée tant par les staliniens que par les nazis.

Après que d'innombrables trotskystes aient été assassinés dans les camps de travail et les chambres à gaz nazies pour avoir lutté pour le renversement révolutionnaire du régime hitlérien, ceux qui ont survécu à l'Est ont été emprisonnés par le régime du SED. Le trotskyste Oskar Hippe a été condamné à 50 ans de camp de travail par un tribunal militaire soviétique en 1949 et a passé huit ans emprisonné en RDA dans les pires conditions.

La bureaucratie stalinienne, qui s'était formée comme un cancer sur le premier État ouvrier, ne pouvait maintenir son pouvoir qu'en anéantissant physiquement les dirigeants de la révolution d'Octobre et toute une génération de marxistes révolutionnaires et en réprimant et falsifiant le marxisme. Bien plus que l'impérialisme, elle craignait Léon Trotsky et l'Opposition de gauche, qui déclaraient que les acquis de la révolution d'Octobre ne pouvaient être défendus contre la bureaucratie que dans le cadre d'une révolution politique.

Trotsky avait déjà prévu en 1938 qu’autrement les staliniens restaureraient le capitalisme. «Soit la bureaucratie, devenant de plus en plus l'organe de la bourgeoisie mondiale dans l'État ouvrier, renversera les nouvelles formes de propriété et replongera le pays dans le capitalisme; soit la classe ouvrière écrasera la bureaucratie et ouvrira la voie au socialisme», écrivait-il dans le programme fondateur de la Quatrième Internationale

Cette position a été défendue par le Comité international à partir des années 1950, contre les positions révisionnistes du pablisme, qui affirmait que l'émergence des États ouvriers déformés représentait la preuve du rôle progressiste du stalinisme.

Sur la base de cette compréhension historique du stalinisme, la BSA s'est également opposée à la bourgeoisie ouest-allemande, à la bureaucratie stalinienne et aux forces petites-bourgeoises de la Table ronde et à leurs organes de la pseudo-gauche, qui ont travaillé ensemble pour la restauration du capitalisme. Lorsque des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Berlin-Est avant la chute du mur de Berlin le 4 novembre 1989, les membres du parti ont fait passer clandestinement des masses de tracts à travers la frontière lourdement gardée.

Il y était déclaré que «la révolution politique, le renversement de la bureaucratie contre-révolutionnaire par la classe ouvrière en Union soviétique et dans les autres pays dominés par celle-ci» faisait «partie intégrante du programme de la révolution socialiste mondiale. C'est seulement par la révolution politique que les réalisations d'Octobre, en particulier l'économie planifiée, peuvent être défendues et purgées de toutes les dégénérescences bureaucratiques, que la classe ouvrière soviétique et d'Europe de l'Est peut être unie à ses frères de classe de l'Ouest capitaliste pour l'achèvement de la révolution socialiste mondiale et la construction du socialisme.»

La BSA a basé son intervention sur l'évaluation du mouvement trotskyste mondial. Le CIQI avait déjà averti dans les années 1980, lorsque l'enthousiasme pour Gorbatchev était à son apogée, qu'il se préparait à la restauration capitaliste. La mondialisation de la production avait accru la pression sur les économies isolées du bloc de l'Est et sapé les bases du programme stalinien de «construction du socialisme dans un seul pays.» Gorbatchev réagit en cherchant à intégrer l'Union soviétique dans l'économie mondiale sur une base capitaliste et en défendant les privilèges de la bureaucratie, comme Trotsky l'avait prédit, en la transformant en propriété privée capitaliste.

Le CIQI avait compris que la crise des régimes staliniens était l'expression d'une crise de l'ensemble du système impérialiste mondial. La mondialisation de la production avait accru la contradiction entre l'économie mondiale et l'État-nation sur lequel repose le capitalisme et exacerbé les conflits entre les puissances impérialistes.

«Loin d'entrer dans une nouvelle période triomphante d'ascension capitaliste, l'impérialisme est au bord d'une nouvelle époque sanglante de guerres et de révolutions», a déclaré David North, président du comité de rédaction international du World Socialist Web Site, le 6 janvier 1990, «Le nouvel équilibre qui sera nécessaire pour le capitalisme ne sera établi qu'après une période de luttes profondes et d'éruptions de toutes sortes, de guerres et de révolutions. En d'autres termes, des contradictions ont été mises en place qui ne peuvent être résolues de manière pacifique. C'est donc la question à laquelle est confrontée la classe ouvrière: elle doit résoudre cette crise sur une base progressiste ou elle sera résolue par le capitalisme sur une base extrêmement réactionnaire.»

North a également expliqué que l'effondrement des régimes staliniens était l'expression de la faillite de toutes les bureaucraties à orientation nationale. «Tout comme l'effondrement des régimes d'Europe de l'Est signifie l'effondrement du programme national des bureaucraties staliniennes, les défaites subies par la classe ouvrière dans les pays capitalistes au cours de la dernière décennie démontrent la faillite du programme national des bureaucraties sociales-démocrates et réformistes. Tout comme il n'y a pas de place pour un État "socialiste" isolé au niveau national, il n'y a pas de place pour les syndicats basés sur des politiques nationales réformistes.»

Ces deux analyses ont été pleinement confirmées au cours des 30 dernières années. Après 30 ans de guerres incessantes, les puissances impérialistes continuent à s'armer et à se préparer de plus en plus ouvertement à une troisième guerre mondiale. Ce renforcement du militarisme et la polarisation sociale sans précédent dans l'histoire sont la raison du retour du fascisme dans tous les pays impérialistes.

Les anciennes organisations de travailleurs à orientation nationale se sont transformées en organisations purement bourgeoises qui jouent un rôle clé dans la destruction des derniers droits sociaux des travailleurs et dans la préparation des guerres impérialistes.

Dans le même temps, la résistance à ces politiques s'accroît. La perspective du socialisme international, qui n'est défendue que par le Comité international, est la question clé dans ces conditions. Comme dans la première moitié du siècle dernier, l'humanité est confrontée à une alternative: le socialisme ou la barbarie. La construction du SPG et des sections du CIQI dans d'autres pays est la condition la plus importante pour renverser le capitalisme et empêcher une rechute dans la guerre et le fascisme.

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