Nigéria : les manifestations contre la police se poursuivent et sont soutenues à l’international

Les manifestations se poursuivent dans les rues des principales villes du Nigéria et à travers la campagne #EndSARS sur les réseaux sociaux, exigeant la fin de la brutalité policière.

Les manifestations ont commencé il y a environ deux semaines, appelant à la dissolution immédiate de la brigade spéciale anti-vol (SARS), l'unité d'élite de la police fédérale qui est régulièrement impliquée dans les extorsions, les enlèvements, les abus grotesques et les meurtres.

La semaine dernière, le président Muhammadu Buhari a été contraint d'annoncer la dissolution de cette unité qui sera remplacée par une autre, l'Équipe des armes et tactiques spéciales (SWAT). Il s'est également engagé à mettre en place des comités chargés d'enquêter et de poursuivre les policiers « indisciplinés et non professionnels » et a promis des réformes policières plus larges.

L'inspecteur général de la police nigériane a annoncé dimanche que le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) aiderait à former la nouvelle force de police tactique nigériane. Le président du Sénat, Ahmad Lawan, a appelé les manifestants à annuler leurs rassemblements au vu des mesures prises par les dirigeants nigérians.

Un manifestant contre la brutalité policière à Lagos, Nigéria le 19 octobre 2020 (AP Photo/Sunday Alamba)

Loin de s’arrêter, les manifestants ont élargi leurs revendications, appelant à la fin de décennies de corruption et de mauvaise gestion. Les hashtags #EndBadGovernance, partagé par plus de 1,8 million d'utilisateurs de Twitter, et #BetterNigeria et #FixNigeriaNow sont largement utilisés. Des supporters ont lancé une station de radio en ligne pour renforcer le mouvement. Il y a également eu des appels à la démission de Buhari. Ce politicien de 77 ans est un ancien général et a été chef d'État militaire de 1983 à 1985 après avoir pris le pouvoir lors d'un coup d'État.

Mercredi dernier, l'armée nigériane, connue pour ses violations des droits humains, s'est déclarée prête à maintenir la loi et l'ordre et à faire face de manière décisive à toute situation créée par « des éléments subversifs et des fauteurs de troubles ».

Cette semaine, l’armée doit commencer un exercice d’entraînement de 10 semaines, « l’opération Crocodile Smile ». C’est la première fois que cet exercice annuel, généralement concentré dans la région pétrolifère du delta, se déroule à l’échelle nationale. Un porte-parole de l'armée a nié pour la forme que son calendrier avait quelque chose à voir avec les manifestations. Mais il a déclaré que cette année, l'exercice comprendrait une opération de cyberguerre conçue pour identifier, suivre et contrer la propagande négative sur les réseaux sociaux. Pour justifier le déploiement généralisé des forces armées, le communiqué affirmait qu'il visait « à identifier les terroristes de Boko Haram fuyant le Nord-Est et d'autres régions du pays à la suite des opérations en cours sur les différents théâtres d'opérations, en particulier dans le Nord-est, le Centre-nord et le Nord-ouest du Nigéria. »

Les manifestations ont conduit à une escalade de la violence de la part des forces de sécurité nigérianes. La répression du gouvernement a entraîné la mort de plus d'une douzaine de personnes et deux autres ont été tuées samedi, lorsque Adegboyega Oyetola, gouverneur de l'État d'Osun, a échappé à ce que des responsables ont qualifié de «tentative d'assassinat» par un groupe de personnes armées de fusils et de machettes. Lundi, une jeune fille de 17 ans, identifiée uniquement comme Saifullah, est décédée en garde à vue dans le nord de l'État de Kano, supposément après avoir été torturée. Il y a eu une présence militaire accrue à Abuja, la capitale, après que le ministre de la Défense, Bashir Magashi, ait mis en garde les manifestants contre les « atteintes à la sécurité nationale ». Selon Amnesty International, des nervis armés ont attaqué des manifestants au siège de la banque centrale à Abuja.

Bien que le Nigéria soit le huitième producteur mondial de pétrole et le plus grand producteur de pétrole d'Afrique, sa richesse pétrolière, dont dépend le pays, est monopolisée par les compagnies pétrolières et les kleptocrates nigérians qui voient leurs revenus chuter dans un contexte de baisse de la demande et des prix. Pendant les décennies qui ont suivi l'indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne en 1960, la politique a été une bataille meurtrière menée par différentes factions de la bourgeoisie nationale sur l'accès à l'argent du pétrole.

Alors qu'il y a environ 29 500 millionnaires au Nigéria, la personne la plus riche du pays, Aliko Dangote possédant 10 milliards de dollars, les jeunes Nigérians, qui représentent près de la moitié de la population, sont confrontés à un avenir économique sombre. Le taux officiel de chômage a grimpé à 27 pour cent, le plus élevé depuis au moins une décennie. Le dernier rapport du Bureau national des statistiques (NBS) du pays a noté que 40 pour cent de la population totale, soit près de 83 millions de personnes, vivent en dessous du seuil de pauvreté du pays de 137 430 nairas (381,75 $) par an - probablement une sous-estimation.

Les conditions sociales désastreuses sont le produit de l'oppression coloniale et néocoloniale exercée par les puissances impérialistes au nom de leurs banques et entreprises, exacerbées par la domination vénale et corrompue de la bourgeoisie nationale. Incapable de faire progresser les conditions sociales et économiques des masses appauvries depuis l'indépendance, l'élite dirigeante nigériane a prouvé la justesse de l'avertissement de Trotsky dans sa théorie de la révolution permanente, qui insistait sur le fait que la bourgeoisie des pays à développement capitaliste tardif ne pouvait établir une véritable indépendance vis-à-vis de l'impérialisme ou accomplir une seule des tâches démocratiques associées aux révolutions bourgeoises du XIXe siècle. Seule la classe ouvrière, organisée internationalement, pouvait le faire comme corollaire d'une révolution socialiste qui jetterait les bases pour la création d'emplois, des salaires décents et un accès aux services sociaux essentiels pour tous.

Les manifestations ont suscité un large soutien dans le monde entier de la part de personnalités du sport, de musiciens, de célébrités et d'autres personnalités éminentes, les hashtags #EndSars et #SarsMustEndNow étant en vogue dans plusieurs pays. Les communautés de la diaspora nigériane se sont rassemblées en sympathie à Atlanta, Berlin, Londres et New York.

Uche, un jeune travailleur britannique, a déclaré au WSWS: «J'ai visité le Nigeria il y a quelques années pour enterrer mon père et rendre visite à des parents. J'étais au courant de la corruption et de ce qu’il fallait prendre de petites sommes en billets pour passer facilement les douanes parce que sans pot-de-vin, vous pouvez et serez retardé pendant des heures et des heures.

« Quand ma mère et moi sommes passés par la douane à remplir les papiers, des soldats armés nous ont arrêtés. Ils ont dit à ma mère de s’éloigner et ils m'ont demandé pourquoi j'étais venu au Nigeria, ce que j'avais dans la boîte (valises). Ils voulaient voir mon visa de passeport et examiner mes valises. Après que l'argent ait été versé à l'un d'eux, ils nous ont accueillis au Nigeria et nous ont dit de continuer notre chemin.

« J’ai vu la SARS pour la première fois alors que je marchais dans une rue pleine d’échoppes dans un quartier de Lagos. Puis des policiers de la SARS lourdement armés sont arrivés, sortant de leurs véhicules en courant, criant contre les marchands. Ils se sont arrêtés à un stand et ce type a passé quelque chose à l'un d'eux, puis ils l'ont laissé et sont allés à d'autres stands. Je savais que de l'argent avait été remis avant que mon cousin ne me dise ce qui se passait.

«J’étais au courant avant ma visite de la corruption et de la SARS et qu’ils étaient dangereux.

«J'ai eu un contact direct avec la SARS. Nous étions dans un taxi pour nous rendre à une fête sur la plage de l'île. Le taxi a été arrêté par des policiers de la SARS. Ils sont sortis de leur véhicule en courant, ont ouvert les portes du taxi, et le chauffeur du taxi s'est enfui. Ils pointaient des torches dans nos yeux et ce qui ressemblait à des mitraillettes sur nos visages et nous criaient dessus. Ils nous ont traînés hors du taxi, nous ont jetés à terre, nous ont donné des coups, exigeant de savoir qui nous étions, où nous allions, qui nous rencontrions, qui était le chauffeur de taxi, d'où nous tirions notre argent. Tout le temps, pointant des armes sur nos têtes. C’est mon cousin qui répondu à tout et une fois notre argent remis, ils nous ont dit de partir.

« Mon cousin a dit qu'il n'y avait personne à qui se plaindre parce que les plaintes conduisaient à l'arrestation, à l'enlèvement ou à la mort. Contrairement à l'aéroport où les pots-de-vin étaient fait en cachette hors de vue, la SARS ne se souciait pas de savoir qui voyait ce qu'elle faisait.

«J'ai vu que la SARS était détestée et les gens craignaient d'avoir un contact avec elle. J'étais en colère contre ce que j'ai vu là-bas: des gens qui luttaient pour vivre et qui étaient terrorisés par la police anti-émeute qui volait le peu d'argent qu’ils avaient, et rien dans le pays ne fonctionnait correctement. Quand mon père était vivant, il me parlait du Nigéria, et il a dit que le Nigéria qu'ils avaient obtenu n'était pas le Nigéria que les gens voulaient après l'indépendance.

«Je soutiens vraiment les manifestations au Nigéria et je suis heureux que ce qui se passe là-bas soit écrit sur les pages du WSWS, afin que chacun puisse savoir comment les gens ont été traités. Je suis heureux qu'ils se défendent. J'espère que les manifestations contribueront à améliorer la vie des Nigérians. »

(Article paru d’abord en anglais le 20 octobre 2020)

Loading