Le patronat américain mise sur Biden et les démocrates

Première partie

Ceci est la première partie d’un article en deux parties.

Les candidats au Congrès et à la Maison-Blanche ont déposé leurs derniers rapports financiers avant le 15 octobre auprès de la Commission électorale fédérale (FEC), détaillant la collecte de fonds et les dépenses du troisième trimestre, du 1er juillet au 30 septembre. Ces rapports sont limités aux fonds collectés directement par les campagnes elles-mêmes, et excluent les collectes de fonds par le biais des PAC (comités d’action politique), généralement financées par des milliardaires. Néanmoins, les données de la FEC fournissent des indications intéressantes sur les calculs politiques de l’élite dirigeante américaine, qui s’attend de plus en plus à une victoire démocrate le 3 novembre.

Deux observations préliminaires peuvent être faites. Tout d’abord, une grande partie du patronat est favorable à un passage de Trump à Biden: en partie à cause des désaccords de politique étrangère et intérieure et d’autre part, parce que l'on considère qu’un deuxième mandat de Trump est plus susceptible de provoquer une explosion sociale et politique incontrôlable aux États-Unis. Deuxièmement, l’élite des entreprises considère désormais Biden et les démocrates comme les favoris pour gagner l’élection, et les contributions aux campagnes électorales deviennent une forme d’assurance politique, offrant aux donateurs un «siège à la table» lorsque le futur gouvernement Biden déterminera son personnel et ses priorités politiques.

Les démocrates ont un avantage incontestable dans la collecte de fonds dans chacun des principaux secteurs du champ de bataille politique de 2020. Dans la campagne présidentielle, la domination précoce de Trump n’est plus qu’un lointain souvenir. Biden l’a surpassé dès le mois de mai, et son avance s’est accrue au fil des mois.

L’ancien vice-président Joe Biden, candidat démocrate à l’élection présidentielle, sort la tête d’un VUS alors qu’il quitte une collecte de fonds, le mercredi 25 septembre 2019, à Manhattan Beach, en Californie. (AP Photo/Marcio Jose Sanchez)

Selon le Centre for Responsive Politics, la campagne Biden a permis de récolter 810 millions de dollars et les organisations qui la soutiennent, 373 millions de dollars, pour un total de 1,183 milliard de dollars. La campagne Trump a recueilli 552 millions de dollars, auxquels s’ajoutent 256 millions de dollars qui proviennent de groupes extérieurs, pour un total combiné de 808 millions de dollars.

Au Sénat, les démocrates ont dépassé le financement des républicains de plus de 50 pour cent soit de 767 millions à 500 millions de dollars, bien que les républicains détiennent 23 des 35 sièges en jeu le 3 novembre. Sur les 435 sièges de la Chambre, les démocrates ont une avance légèrement plus faible, de 772 millions à 653 millions de dollars. Ces deux chiffres s’écartent nettement des récentes élections au Congrès, au moins jusqu’en 2018, où le Parti républicain bénéficiait généralement d’un avantage financier considérable.

Les chiffres de la collecte de fonds présidentielle représentent une forte augmentation par rapport à 2016. À l’époque, la démocrate Hillary Clinton avait amassé un total combiné de 770 millions de dollars, tandis que Trump avait recueilli 433 millions de dollars. Au 1er octobre, les campagnes Biden et Trump avaient déjà dépensé trois fois le montant dépensé durant la même période en 2016, ce qui reflète à la fois l’augmentation massive des collectes de fonds et la nécessité d’atteindre les électeurs qui voteront par anticipation et par la poste.

Le Parti démocrate et les médias bourgeois ont généralement attribué l’avantage financier de la campagne Biden à une augmentation des contributions de faible montant. Une telle augmentation a certainement eu lieu, du moins par rapport aux premiers stades de la campagne Biden pour l’investiture du Parti démocrate, lorsque les contributions Internet de faible montant allaient en très grande partie à Bernie Sanders et à Elizabeth Warren. À ce moment-là, seule une poignée de riches bailleurs de fonds soutenaient Biden.

Mais, d’après un récent tableau du Centre for Responsive Politics, qui gère la base de données Open Secrets sur le financement des campagnes, Trump et Biden ont recueilli des montants à peu près égaux en contributions de 200 dollars ou moins, entre 200 et 250 millions de dollars chacun, principalement sur Internet.

La différence entre les campagnes s’explique principalement par un nombre de «contributions massives», Biden ayant recueilli bien plus que Trump. Comme l’a admis le New York Times dans un article publié sur son site web mercredi, «l’élite des milliardaires et des multimillionnaires est restée un rouage essentiel de la machine à dollars de Biden».

Le Times a poursuivi:

«De Hollywood à la Silicon Valley en passant par Wall Street, la campagne de Biden a courtisé agressivement la classe des super donateurs. Elle a récolté près de 200 millions de dollars auprès de donateurs qui ont donné au moins 100.000 dollars pour ses opérations conjointes avec le Parti démocrate au cours des six derniers mois. Cela fait environ deux fois plus que ce que le président Trump a récolté auprès de donateurs à six chiffres au cours de cette période, selon une analyse des nouvelles données fédérales.»

Les donateurs de millions de dollars provenaient d’Hollywood (Jeffrey Katzenberg), de la Silicon Valley (Reed Hastings de Netflix et bien d’autres) et de la haute finance. «Des cadres supérieurs de sociétés d’investissement, de capital-investissement et de capital-risque comme Blackstone, Bain Capital, Kleiner Perkins et Warburg Pincus ont tous apporté une contribution importante», note le Times.

Même si Biden a récemment tenté d’adopter un ton populiste, affirmant qu’il représente Scranton (sa ville natale, une ville industrielle en déclin du nord-est de la Pennsylvanie), alors que Trump représente l’élite fortunée de «Park Avenue», il s’avère que «Scranton» a une signification différente pour son opération de financement de campagne. Tout donateur fortuné qui offre un total de 250.000 dollars de contributions est considéré comme un membre du «cercle de Scranton» des donateurs d’élite, avec un accès spécial aux meilleurs conseillers du candidat. Un niveau «Philly Founder» existe également pour ceux qui génèrent 500.000 dollars de contributions et un «Delaware Circle» pour ceux qui représentent 1 million de dollars ou plus.

Au début du mois d’octobre, la campagne Biden disposait de 180,6 millions de dollars en liquide, tandis que la campagne Trump ne faisait état que de 63,1 millions de dollars, soit un tiers du total des contributions des démocrates. On a constaté cette disparité malgré le fait que la campagne Biden a dépensé deux fois plus que celle de Trump au cours du mois de septembre. Après avoir récolté un montant record de 365 millions de dollars en août, la campagne Biden a récolté un montant encore plus important, 383 millions de dollars, le mois suivant.

Trump n’a pas manqué de soutien de super donateurs, dont 75 millions de dollars du milliardaire de casino Sheldon Adelson, 21 millions de dollars d’Isaac Perlmutter, président de Marvel Entertainment, et 10 millions de dollars de l’héritier financier Timothy Mellon.

Mais ces sommes sont éclipsées par les 100 millions de dollars versés à Biden par le milliardaire Michael Bloomberg, qui avait brièvement cherché à obtenir l’investiture démocrate pour la présidence – et a dépensé 1,1 milliard de dollars dans cet effort –, et 106 millions de dollars de la part du Future Forward PAC, basé dans la Silicon Valley. Ce versement comprend: 22 millions de dollars du cofondateur de Facebook, Dustin Moskovitz, 6 millions de dollars de Jeff Lawson de Twilio, 5 millions de dollars du courtier de cryptomonnaie Sam Bankman-Fried et 2,5 millions de dollars d’Eric Schmidt, ancien PDG de Google.

De tels chiffres rendent absurde la rhétorique fasciste de Trump, qui ne cesse de dénoncer Biden comme un pion des socialistes, des communistes et de la «gauche radicale». En fait, Biden est un pion fiable de Wall Street et des sociétés américaines, depuis l’époque où il était sénateur du Delaware, un centre d’évasion fiscale. En raison des avantages financiers, ce minuscule État compte plus de sièges sociaux de sociétés – plus de 1 million – que d’êtres humains.

Ses services à l’élite patronale se sont poursuivis pendant son mandat de vice-président du gouvernement Obama, lorsqu’il a supervisé le sauvetage de Wall Street et la restructuration de la faillite de l’industrie automobile, dans laquelle on a réduit les salaires des nouveaux travailleurs de moitié.

C’est à ses partisans de l’aristocratie financière, lors d’une collecte de fonds exclusive l’année dernière à Manhattan, que Biden a fait sa fameuse promesse – la déclaration la plus sincère de toute sa campagne – selon laquelle si on l’élisait président, «le niveau de vie de personne ne changerait. Rien ne changerait fondamentalement».

Les contraintes financières de la campagne de Trump sont indéniables. Au cours de la dernière semaine de septembre et de la première semaine d’octobre, par exemple, elle a cessé de faire de la publicité dans quatre États «clés» – l’Iowa, l’Ohio, le Texas et le New Hampshire. Un décompte dans le secteur de la publicité a établi que Biden à dépassé Trump en termes de dépenses de campagne dans 72 des 83 marchés médiatiques où les deux campagnes étaient encore en concurrence.

La disparité entre les campagnes de Biden et de Trump est exacerbée par le timing de leurs dépenses. Trump a dépensé sans compter dans les premiers mois de 2020, avant même que le candidat démocrate ne soit désigné, et a globalement moins bien réussi. Le résultat est que Trump souffre d’un manque de liquidités dans les dernières semaines de sa campagne.

Biden a commencé le mois d’août avec un avantage de trois contre un en termes de ressources financières et il a dépensé trois fois plus que Trump dans trois États critiques – le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin –, soit 53 contre 17 millions de dollars. Selon les chiffres publiés dans les publications spécialisées en publicité, Biden a un avantage de 5 contre 1 sur le marché de Milwaukee, au Wisconsin, et un avantage de plus de 2 contre 1 à Detroit et Philadelphie.

À Omaha, au Nebraska, où un seul vote électoral est en jeu dans le deuxième district du Congrès, Biden a dépensé deux millions de dollars en publicité, soit six fois le total de Trump.

À suivre

(Article paru en anglais le 22 octobre 2020)

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