Les syndicats canadiens et le NPD se précipitent à la rescousse du gouvernement libéral propatronal

Le gouvernement libéral minoritaire de Justin Trudeau s'est maintenu au pouvoir lors d'un vote de confiance mercredi, grâce aux votes des 24 députés du Nouveau Parti démocratique (NPD).

Les événements de ces dernières semaines, notamment le vote du 6 octobre sur le discours du Trône du gouvernement, ont clairement montré que l'élite dirigeante du Canada s'appuie sur une coalition de facto entre le NPD, les syndicats et les libéraux proguerre et proaustérité, pour imposer sa volonté meurtrière de maintenir l'économie «ouverte» dans un contexte de résurgence de la pandémie de COVID-19, poursuivre le réarmement et intensifier les attaques contre la classe ouvrière.

Dans un jeu de pouvoir politique, Trudeau a choisi de déclarer qu'un vote sur une motion des conservateurs de l'opposition officielle visant à établir une commission parlementaire «anticorruption» était une question de «confiance», ce qui signifie que le gouvernement serait tombé si la motion avait été adoptée. La commission aurait eu un mandat très large pour enquêter sur le rôle du gouvernement Trudeau dans le scandale de WE Charity et d'autres cas présumés de corruption gouvernementale.

Il aurait également été habilité à enquêter sur la décision de Trudeau, le 18 août, de proroger le Parlement pour cinq semaines. Cette action antidémocratique a court-circuité les efforts de l'opposition d’enquêter sur l'attribution par le gouvernement d'un contrat de plus de 900 millions de dollars pour la gestion d'un programme de «bénévolat» pour étudiants à WE, un organisme caritatif ayant des liens étroits avec Trudeau, sa famille et plus largement avec le Parti libéral.

La révélation que WE a reçu ce contrat lucratif sans aucun appel d'offres a forcé l'annulation du contrat et a conduit à une série de révélations dommageables qui ont forcé WE à fermer ses opérations canadiennes (voir «Le gouvernement libéral du Canada secoué par le scandale de l’organisme WE Charity»). Le scandale a également joué un rôle dans l'éviction du ministre des Finances Bill Morneau et son remplacement par la vice-première ministre et principale faucon de guerre libérale Chrystia Freeland.

Si le scandale de WE a une nouvelle fois mis en lumière la fausseté du bilan «progressiste» des libéraux, la réalité est qu'il n'a fait que lever le rideau sur la façon dont la politique bourgeoise fonctionne au quotidien. Les gouvernements fédéraux et provinciaux de toutes les tendances politiques entretiennent une relation symbiotique avec l'élite corporative et financière, qui dictent la politique gouvernementale. C'est donc le comble du cynisme politique pour les conservateurs de jouer les militants «anticorruptions», surtout quand on se rappelle que le gouvernement Harper a remis des milliards à l'oligarchie financière par le biais de réductions d'impôts et de l'externalisation des services publics vers les entreprises privées.

L'objectif immédiat du gouvernement en déclarant le vote de mercredi une question de confiance était de s'assurer que l'opposition, en particulier les conservateurs, n'apporte pas plus d’eau au moulin, qu'elle soit réelle ou inventée, à leur campagne visant à dépeindre Trudeau et ses libéraux comme étant «corrompus».

Cependant, le principal objectif de Trudeau en poussant au vote de confiance était de tester et de renforcer davantage la coalition de facto de son gouvernement avec les syndicats et le NPD. Lui et ses conseillers sont bien conscients qu'ils se heurteront à une opposition croissante de la classe ouvrière face à leur volonté de maintenir les travailleurs au travail dans un contexte de résurgence de la pandémie afin d'accroître les profits des grandes entreprises et de réduire la dette de l'État. Ils ont calculé que si le NPD n'était pas prêt à emboiter le pas sur la question du scandale de WE, il était inutile de continuer avec un gouvernement minoritaire qui ne serait même pas en mesure de diriger les affaires au Parlement, et encore moins de mettre en œuvre les mesures impopulaires exigées par les grandes entreprises.

Les libéraux n'ont pas eu à s'inquiéter. Adoptant pleinement le portrait que les médias bourgeois ont tracé du vote de confiance comme étant simplement une tentative opportuniste de Trudeau de déclencher une élection qui, selon les sondages, pourrait donner aux libéraux une majorité parlementaire, le chef du NPD, Jagmeet Singh, s'est présenté lors d'une conférence de presse comme un ami des travailleurs qui veillerait à ce que les libéraux restent concentrés sur «l'aide aux gens» plutôt que sur une élection «inutile».

Ce théâtre politique visait à dissimuler le fait que pour la deuxième fois en moins d'un mois, le NPD de Singh est venu à la rescousse du gouvernement lors d'un vote de confiance parlementaire. Le premier, sur le discours du trône du gouvernement, a donné le sceau d'approbation du NPD aux campagnes imprudentes de retour au travail du gouvernement fédéral et à ses plans à long terme visant à offrir des réductions d'impôts et d'autres incitatifs aux entreprises «vertes», et à dépenser des dizaines de milliards de dollars pour l'acquisition de nouvelles flottes de navires de guerre et d'avions de chasse.

Le soutien du NPD aux libéraux est l'expression parlementaire d'une alliance corporatiste anti-travailleurs entre les syndicats, les grandes entreprises et les gouvernements fédéral et provinciaux de toutes tendances politiques pour faire avancer les intérêts du capitalisme canadien.

Depuis des décennies, les syndicats répriment la lutte des classes et se sont intégrés de plus en plus profondément dans la gestion des sociétés et dans l'État. Mais leur alliance corporatiste avec la classe dominante a atteint un niveau qualitativement nouveau au cours des cinq dernières années du gouvernement Trudeau, et en particulier depuis mars dernier, lorsque la pandémie de COVID a déclenché la plus grande crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression.

Les syndicats et les politiciens sociaux-démocrates du NPD ont pleinement soutenu le renflouement par le gouvernement, à hauteur de plus de 600 milliards de dollars, de l'oligarchie financière, tandis que les travailleurs et leurs familles ont été mis sous rations avec la Prestation canadienne d’urgence (PCU). Les libéraux, les syndicats et le NPD ont ensuite collaboré à la mise en œuvre d'une campagne de retour au travail et à l'école qui a donné lieu à une «deuxième vague» de la pandémie qui menace de faire des milliers de victimes supplémentaires.

Ces politiques désastreuses ont davantage aggravé les inégalités sociales; les 20 milliardaires les plus riches du Canada ayant gagné 37 milliards de dollars depuis le début de la pandémie, tandis que la pauvreté et la détresse sociale montent en flèche.

Les syndicats et leurs alliés du NPD cherchent à étouffer toute opposition ouvrière par une propagande frauduleuse qui affirme que le gouvernement Trudeau est favorable aux travailleurs et est «progressiste», ce même gouvernement qui a augmenté les dépenses militaires de plus de 70 %, coopéré avec Trump dans sa brutale répression anti-immigrants, étendu les pouvoirs répressifs de l'appareil de sécurité nationale et menacé ou criminalisé les luttes des travailleurs, notamment la grève des postiers de 2018.

En avril et mai, les syndicats ont organisé une série de consultations à huis clos avec le gouvernement libéral fédéral et les groupes de lobby des grandes entreprises, qui ont abouti à la décision que ce serait les syndicats qui seraient responsables de forcer les travailleurs à retourner sur des lieux de travail dangereux. L'objectif à long terme de leur alliance corporatiste a été résumé dans un article conjoint du président du Congrès du travail du Canada, Hassan Yussuff, et de Perrin Beatty, président de la Chambre de commerce du Canada. L'article indique que l'augmentation des «déficits publics» et la nécessité de rester «compétitif au niveau mondial» poseront des défis à «un pays commerçant comme le nôtre» pour assurer la «reprise économique». Une des principales priorités des partenaires, a-t-il poursuivi, doit être d'empêcher «que les intervenants ne partent dans des directions différentes» – c'est-à-dire de bloquer l'opposition de la classe ouvrière à la politique meurtrière de retour au travail de l'élite au pouvoir, et à ses efforts pour faire payer la pandémie à la classe ouvrière par une austérité accrue et une restructuration économique.

Qu'il s'agisse des travailleurs du secteur de la transformation de la viande contraints de reprendre le travail à la suite d'une épidémie massive de virus, ou des enseignants opposés à la réouverture dangereuse et non sécuritaire des écoles, les syndicats ont rejeté d'emblée tout moyen de pression «illégale». Et lorsque le gouvernement Trudeau a annoncé à la fin août qu'il mettait fin à la PCU et qu'il obligerait les travailleurs licenciés à s'inscrire à l'assurance-emploi afin de permettre aux autorités de l'État de contraindre les travailleurs à reprendre des emplois mal rémunérés, les syndicats ont salué cela comme une «victoire».

En donnant ses ordres au chef du NPD Singh, Yussuff a déclaré peu après que le NPD avait l'«obligation» de continuer à coopérer avec le gouvernement libéral.

La «coopération» entre le gouvernement Trudeau, les syndicats et le NPD est basée sur l’intensification de l'exploitation de la classe ouvrière afin d'augmenter la rentabilité et la «compétitivité mondiale» du capitalisme canadien. Unifor a passé ces dernières semaines à négocier des accords de suppression d'emplois avec les constructeurs automobiles Ford et Fiat-Chrysler qui repose sur l’entente que les gouvernements fédéral et provincial de l'Ontario versent des centaines de millions de dollars en subventions à ces géants de l'industrie afin qu'ils puissent continuer à verser des sommes importantes aux actionnaires tout en restructurant l'industrie automobile aux dépens des travailleurs. Les plans des constructeurs automobiles pour passer à la production de véhicules électriques sont liés à une attaque majeure contre les droits et les salaires des travailleurs, dans laquelle Unifor est un partenaire pour la mettre en oeuvre. Le chef d'Unifor, Jerry Dias, l'a clairement fait savoir en déclarant lors d'une conférence de presse commune avec Trudeau, le premier ministre de l'Ontario, Doug Ford, et le directeur général de Ford Canada: «Nous ramons tous dans la même direction».

En effet, les syndicats plaident littéralement pour que des milliards de dollars de fonds publics soient remis aux sociétés qui ont supprimé des dizaines de milliers d'emplois au cours des derniers mois. Début octobre, Unifor a organisé un événement avec l'Association des pilotes de ligne pour demander qu'une aide financière directe de 7 milliards de dollars soit accordée aux grandes compagnies aériennes comme Air Canada et WestJet, qui ont licencié à elles seules plus de 30.000 travailleurs.

Enracinés dans le capitalisme et l'État-nation, les syndicats insistent sur le fait que les emplois et le niveau de vie des travailleurs doivent être subordonnés au profit des investisseurs. Même dans un contexte d'urgence sanitaire et socio-économique, ils s'opposent catégoriquement à toute mesure qui remettrait en cause l'emprise de l'élite capitaliste sur la vie socio-économique, que ce soit en expropriant une partie de ses richesses ou en plaçant des secteurs clés de l'économie sous propriété publique et sous le contrôle démocratique des travailleurs.

C'est seulement dans ce contexte que l'on peut comprendre la véhémence de la remarque de Yussuff sur «l'obligation» du NPD de soutenir le gouvernement. La bureaucratie syndicale est douloureusement consciente que le Canada, comme tous les autres grands pays capitalistes, est une poudrière sociale qui est sur le point d'exploser. Dans un contexte de licenciements massifs et d'enrichissement des super-riches fabuleusement fortuné, les syndicats, ainsi qu'une partie importante de l'élite dirigeante, pensent que la meilleure façon d’étouffer la lutte des classes et d'imposer le retour au travail est de passer par une alliance entre les libéraux, les syndicats et le NPD.

Si l'on est pour mettre en place une réponse humaine et scientifique à la pandémie pour sauver des vies et protéger les emplois et les revenus des travailleurs, tout dépend de l'intervention indépendante de la classe ouvrière avec son propre programme basé sur une lutte politique contre cette alliance corporatiste et nationaliste. Les travailleurs devraient exiger l'arrêt de toute production non essentielle et la fin de l'enseignement en personne jusqu'à ce que la pandémie soit maitrisée; le plein salaire pour tous les travailleurs licenciés; et la confiscation des vastes richesses des super-riches, afin qu'elles puissent être réorientées vers les soins de santé et d'autres besoins sociaux de base. Ces revendications nécessaires ne peuvent être réalisées que par la mobilisation politique de la classe ouvrière dans la lutte contre le système capitaliste et ses défenseurs dans les syndicats et le NPD.

(Article paru en anglais le 23 octobre 2020)

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