Trudeau mène l'establishment canadien en saluant la victoire électorale de Biden

L'élite dirigeante du Canada est ravie de la victoire du démocrate Joe Biden sur Donald Trump lors de l'élection présidentielle américaine.

Le gouvernement libéral de Trudeau, une grande partie de l'opposition conservatrice, et la plupart des grandes entreprises et leurs médias sont impatients de voir Trump partir. En effet, ils considèrent Trump comme un handicap pour les intérêts communs des puissances impérialistes jumelles d'Amérique du Nord, y compris le partenariat militaro-stratégique de longue date entre le Canada et Washington; et parce qu'ils craignent que son déchaînement contre la classe ouvrière, son indifférence ouverte à l'égard des souffrances massives causées par la pandémie de COVID-19 et son complot pour réaliser un coup d'État ne déclenchent une explosion sociale qui se répandrait rapidement au-delà de la frontière entre le Canada et les États-Unis.

Ils calculent qu'une administration démocrate dirigée par Biden, si elle entre en fonction en janvier, sera mieux à même de détourner, désamorcer et réprimer politiquement l'opposition sociale croissante, et poursuivra une stratégie mondiale plus cohérente et plus réfléchie, permettant aux États-Unis et au Canada de promouvoir plus efficacement leurs intérêts et ambitions impérialistes, y compris par une recrudescence de l’agression et de la guerre.

Le gouvernement Trudeau s'est vanté lundi que le premier ministre avait été le «premier dirigeant mondial» à s'être entretenu avec Biden après son discours de victoire samedi soir. Soulignant l'espoir du gouvernement Trudeau qu'une administration démocrate à Washington facilitera la poursuite des intérêts prédateurs de l'impérialisme canadien dans le monde, le communiqué de presse d'Ottawa rapportant l'appel a déclaré que le duo avait discuté «du commerce, de l'énergie, de l'OTAN, du racisme anti-noir et de la détention arbitraire par la Chine de Michael Kovrig et Michael Spavor.»

Kovrig et Spavor ont été arrêtés par Pékin après que le Canada ait saisi la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, en décembre 2018 sur ordre de l'administration Trump. Wanzhou est toujours assignée à résidence à Vancouver en attendant l'issue d'une audience judiciaire, au cours de laquelle Ottawa soutient qu'elle devrait être expulsée vers les États-Unis sur la base d'accusations fallacieuses de violation des sanctions punitives de Washington contre l'Iran.

Le chef du parti conservateur fédéral, Erin O'Toole, s'est également empressé d'envoyer ses félicitations à Biden suite à la déclaration des chaînes de télévision américaines, samedi, selon laquelle il avait remporté l'élection. «Le Canada et les États-Unis ont une alliance historique», a-t-il tweeté. «Les conservateurs canadiens travailleront toujours avec les États-Unis pour faire progresser nos valeurs communes et nos liens économiques étroits.»

Le ministre des Affaires étrangères, François-Philippe Champagne, s'est exprimé avec le même enthousiasme dimanche sur les perspectives d'un partenariat étroit avec une administration Biden. Invoquant la collaboration entre le Canada et les États-Unis dans une série de conflits militaires sanglants au fil des ans, qui remontent aux deux guerres mondiales du siècle dernier, il a déclaré à la CBC: «Nous constatons depuis plus d'un siècle maintenant cette relation étroite entre nos deux pays. Et nous pouvons être une force pour le bien dans le monde.»

Ces phrases mielleuses sonneront comme une blague cruelle aux oreilles des millions de personnes au Moyen-Orient et en Asie centrale qui ont connu la mort et la destruction à une échelle stupéfiante au cours des deux dernières décennies dans les guerres d'agression brutales menées par les États-Unis et dans lesquelles le Canada a joué un rôle important. De l'Afghanistan à la Libye, en passant par la Syrie et l'Irak, les forces canadiennes et américaines sont responsables de la mort de millions de personnes, de l'expulsion de millions d'autres de leurs foyers et de la destruction de sociétés entières. Pendant que Biden était vice-président de Barack Obama, les troupes canadiennes ont participé, aux côtés de leurs homologues américains, à des agressions et à des guerres sans interruption, toutes menées au nom de la «démocratie», des «droits de l'homme» et du «bien dans le monde.»

Au cours des quatre dernières années, le gouvernement Trudeau s'est montré plus que disposé à collaborer avec Trump sur certaines de ses initiatives les plus à droite et réactionnaires, notamment sa vile chasse aux sorcières des immigrants et des réfugiés, et la renégociation de l'accord de libre-échange nord-américain pour consolider un bloc de guerre commerciale dominé par les États-Unis contre la Chine et d'autres rivaux internationaux.

Champagne a rendu hommage à cette étroite coopération lors de son entrevue dominicale, lorsqu'il a déclaré que les fonctionnaires canadiens ne se précipiteraient pas pour rencontrer Biden et ses collaborateurs, car il faut être «gracieux» envers l'administration sortante. Au-delà des subtilités politiques, la véritable raison de la prudence de Champagne est liée au fait que Trump refuse de concéder l'élection et prend des mesures, avec le soutien de la grande majorité des républicains, pour renverser l'élection et rester au pouvoir.

Alors que Trump avait, et a toujours, le soutien d'une faction minoritaire de l'élite dirigeante du Canada, la faction dominante a fortement soutenu la campagne de droite que les démocrates ont menée contre lui, de concert avec des sections de l'appareil militaire et du renseignement américain qui se concentrent sur des questions de politique étrangère et non sur ses véritables crimes contre le peuple américain. Cela comprenait leurs dénonciations de Trump pour avoir prétendument été trop mou envers la Russie, et inefficace dans l'établissement d'une coalition internationale de «démocraties» pour confronter la Chine économiquement et militairement.

Cela dit, il est largement reconnu dans les cercles dirigeants canadiens que même si Biden arrive au pouvoir, les États-Unis resteront embourbés dans une crise politique et économique, enracinée dans la vaste érosion de la position mondiale de Washington et Wall Street; et que si le partenariat militaro-stratégique entre le Canada et les États-Unis doit conserver son efficacité, l'impérialisme canadien devra investir davantage sur le plan militaire et politique.

La combinaison d'une politique étrangère plus agressive et d'une politique identitaire réactionnaire par les démocrates convient bien à Trudeau et à ses libéraux. Ils chercheront à l'utiliser pour légitimer une nouvelle croissance de la machine de guerre canadienne, notamment la modernisation de NORAD. Tout en prétendant mener une «politique étrangère féministe» et lutter contre le «racisme anti-noir», le gouvernement Trudeau, au cours de ses cinq années de mandat, a lancé des plans visant à augmenter les dépenses militaires de plus de 70% d'ici 2026, à expulser des milliers de réfugiés pauvres vers les Caraïbes, l'Amérique centrale et l'Afrique, et à intégrer davantage l'armée canadienne dans les offensives militaires stratégiques de Washington contre la Chine et la Russie, et dans le Moyen-Orient, riche en pétrole.

La vice-première ministre Chrystia Freeland a donné une première indication du type de rhétorique politique qui sera utilisée pour dissimuler la poursuite et l'intensification de ces politiques réactionnaires dans les années à venir avec un éloge à la vice-présidente élue Kamala Harris. Freeland a salué cette ancienne procureure en chef de Californie, une femme à droite, comme une «inspiration pour les femmes, les filles et les personnes de couleur.»

Ces sentiments ont été repris par le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, et la cheffe du Parti Vert, Annamie Paul. Singh s'est réjouie que Harris ait «stimulé l'imagination des générations de jeunes femmes à venir.» Singh, dont le NPD a soutenu le gouvernement minoritaire libéral pendant la pandémie en renflouant les banques et l'oligarchie financière avec une aide financière de plus de 650 milliards de dollars, a eu recours au slogan insipide de feu le chef du NPD Jack Layton pour tenter de convaincre les gens que la déclaration de la victoire de Biden change tout. «Alors que la présidence de Trump touche à sa fin, je me rappelle les derniers mots de Jack: "L'amour vaut mieux que la colère. L'espoir vaut mieux que la peur. L'optimisme vaut mieux que le désespoir." Soyons donc aimants, pleins d'espoir et optimistes. Et nous changerons le monde», a-t-il tweeté.

Tout cela n'est que sottises. Comme le World Socialist Web Site l'a souligné à plusieurs reprises, Trump n'est pas sorti des profondeurs de l'enfer, mais exprime simplement sous sa forme la plus grossière et la plus achevée la dépravation et la criminalité de la classe capitaliste américaine et de son ordre social. Cela en révèle beaucoup sur l'inanité et le manque de sérieux de Singh et du NPD qu’au moment même où il informe ses partisans qu'une présidence Biden peut «changer le monde», la minimisation délibérée et systématique par Biden du complot de Trump pour un coup d'État crée les meilleures conditions pour que l'occupant fasciste de la Maison-Blanche annule le vote et s'accroche au pouvoir.

Même si Biden parvient à accéder à la présidence le 20 janvier, son gouvernement sera caractérisé par une austérité accrue pour la classe ouvrière, des attaques contre les droits démocratiques et une nouvelle éruption du militarisme américain et de la guerre dans le monde entier.

Quels que soient leurs désaccords avec l'actuel président américain, la principale préoccupation et crainte du gouvernement Trudeau et de l'élite dirigeante canadienne n'a jamais été Trump lui-même, mais l'émergence potentielle d'un mouvement de masse de la classe ouvrière en opposition à la croissance des inégalités sociales, à la violence policière et à la gestion désastreuse de la pandémie. Les travailleurs et les jeunes n'oublieront pas que lorsque Trump a indiqué pour la première fois ses plans de coup d'État en tentant de déployer illégalement l'armée en juin dernier pour écraser les protestations de masse déclenchées par l'assassinat de George Floyd par la police, Trudeau a refusé de condamner ses actions antidémocratiques flagrantes.

Tout au long de la campagne électorale et dans les jours qui ont suivi le vote, Trudeau et d'autres ministres de premier plan ont insisté pour qu'Ottawa coopère avec le vainqueur, Trump compris. Trudeau a soigneusement évité de faire tout commentaire sur les préparatifs explicites de Trump pour lancer un coup d'État présidentiel, et a simplement déclaré que son gouvernement était prêt à des «perturbations» après l'élection. Contrairement aux dirigeants politiques européens qui, pour leurs propres raisons, ont critiqué le refus de Trump de reconnaître sa défaite, Trudeau et les autres membres du gouvernement continuent à éviter tout commentaire sur la question.

Cette approche bénéficie du soutien total des grandes entreprises, dont le principal objectif reste d'assurer un accès sans entrave au marché américain, qui continue de représenter les trois quarts de toutes les exportations canadiennes. Réitérant le tristement célèbre appel du Globe and Mail, en réponse à l'élection de Trump en 2016 et à ses menaces de guerre commerciale, pour qu'Ottawa s'assure que le Canada est «derrière les murs de Trump», Mark Agnew, directeur principal de la politique internationale de la Chambre de commerce du Canada, a soutenu la semaine dernière que le Canada doit continuer à se concentrer sur l'accès au marché, quel que soit l'occupant de la Maison-Blanche. Faisant référence aux engagements «Acheter américain» de Biden, Agnew a déclaré: «Le Canada doit faire valoir le rôle qu'il joue dans la sécurité économique des États-Unis et pourquoi l'Amérique du Nord devrait être traitée comme une région lorsqu'on pense à la sécurité de la chaîne d'approvisionnement.»

(Article paru en anglais le 12 novembre 2020)

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