L'équipe économique de Biden: sortie tout droit de Wall Street

Le président élu Joe Biden a annoncé dimanche et lundi une deuxième série de nominations au cabinet et à la Maison-Blanche, y compris la majorité de son équipe économique presque entièrement composée de représentants des principales institutions financières et des fonds spéculatifs.

La nomination la plus importante, celle de l’ancienne présidente du conseil de la Réserve fédérale, Janet Yellen, au poste de secrétaire au Trésor a fait l’objet d’une fuite à la presse la semaine dernière. Yellen a été vice-présidente de la Réserve fédérale de 2010 à 2014, puis présidente de 2014 à 2018, ce qui signifie qu’elle a joué un rôle majeur dans la politique économique de la majeure partie du gouvernement Obama. C’était une période qui a vu le plus grand transfert de richesse des pauvres et de la classe ouvrière vers les riches de toute l’histoire américaine.

Tout au long de son mandat à la Réserve fédérale, Yellen était identifiée à la politique d’«assouplissement quantitatif», dans laquelle la Réserve fédérale mettait effectivement des sommes d’argent illimitées à la disposition des marchés financiers. On a mis en œuvre cette politique alors que la Maison-Blanche, le Congrès et les médias insistaient sur le fait qu’il n’y avait pas d’argent disponible pour la création d’emplois, l’éducation et d’autres services sociaux, la réduction de la pauvreté ou tout autre objectif social progressiste.

Son premier adjoint au Trésor, officiellement désigné lundi, sera Adewale Adeyemo, un ancien assistant de la Maison-Blanche qui est devenu conseiller principal chez BlackRock, le plus grand fonds spéculatif du monde, après l’entrée en fonction de Trump. En 2019, Adeyemo a quitté BlackRock pour diriger la Fondation Obama à Chicago.

Adeyemo est l’un des deux représentants de BlackRock nommés à de hautes fonctions économiques au sein du gouvernement Biden. Le New York Times rapporte que Brian Deeson, un autre ancien assistant d’Obama devenu banquier d’affaires, deviendra président du Conseil économique national, le plus haut poste de décision économique de la Maison-Blanche.

Pour le poste de directeur du Bureau de la gestion et du budget (Office of Management and Budget), Biden a nommé Neera Tanden, actuellement directrice générale du Centre pour le progrès américain (Center for American Progress – CAP), un important groupe de réflexion du Parti démocrate, dont la sélection est peut-être la décision la plus révélatrice de la transition Biden jusqu’à présent.

Neera Tanden en 2016 (Wikimedia Commons)

Un livre pourrait être écrit sur le rôle de Tanden dans la promotion des politiques sociales de droite et la défense de l’impérialisme américain tout en utilisant le langage du libéralisme et de la politique «progressiste».

Tanden était une fervente partisane d'Hillary Clinton pour l'investiture démocrate en 2016. Tanden est devenue célèbre pour ses attaques contre le principal challenger de Clinton, Bernie Sanders, qui se sont poursuivies pendant la campagne de 2020, lorsque Tanden s'est alliée à Biden.

Bien que les médias aient qualifié le CAP de groupe de réflexion «de gauche», sa principale fonction a été de préparer et de concevoir des politiques de droite propatronales pour les gouvernements démocrates. Un exemple était la Loi sur les soins abordables (Affordable Care Act), où Tanden a joué un rôle majeur dans l’élaboration de cette loi lorsqu’elle travaillait à la Maison-Blanche pour le gouvernement Obama.

Le CAP a approuvé une proposition d’Obama, lors des négociations budgétaires avec les républicains du Congrès, visant à calculer les augmentations des paiements de la sécurité sociale par le biais de ce que l’on a appelé le «chained-CPI», une version de l’indice des prix à la consommation conçue pour produire des augmentations plus faibles des prestations. Ce qui était, en fait, des réductions en termes réels, puisque les augmentations ne suivraient pas l’augmentation réelle du coût de la vie pour les personnes âgées.

Bernie Sanders s’est opposé au CPI à l’époque, mais Tanden a continué à le soutenir, tout en admettant qu’il soit régressif, en tant qu’élément nécessaire dans un «compromis» budgétaire avec les républicains. Bien entendu, c’est exactement la posture préconisée par Joe Biden tout au long de la campagne présidentielle, lorsqu’il affirmait pouvoir trouver un «terrain d’entente» avec le chef républicain du Sénat Mitch McConnell et d’autres réactionnaires du Congrès.

Tanden a été coauteure d’un article influent publié en 2012 par le Journal de médecine de la Nouvelle-Angleterre (New England Journal of Medicine), sous le titre «Une approche systémique pour contenir les dépenses de santé» (A Systemic Approach to Containing Health Care Spending) qui présentait Obamacare comme le moyen qui allait permettre de réduire substantiellement le coût des soins de santé pour les sociétés et le gouvernement. L’auteur principal de ce traité était le Dr Ezekiel Emanuel, frère de l’ancien maire de Chicago et assistant d’Obama, l’un des principaux défenseurs publics de la réduction des dépenses de santé visant à prolonger la vie des personnes âgées.

Alors que son mandat à la Maison-Blanche était la politique intérieure, Tanden a joué un rôle important au CAP en soutenant le type d’intervention étrangère agressive adopté par Hillary Clinton en tant que secrétaire d’État puis candidate à la présidence.

Selon le journaliste Glenn Greenwald, Tanden a soutenu lors de l’attaque des États-Unis et de l’OTAN contre la Libye en 2011 «que l’on devrait obliger les Libyens à remettre une grande partie de leurs revenus pétroliers pour rembourser aux États-Unis les coûts encourus pour le bombardement de la Libye, au motif que les Américains ne soutiendront les guerres futures que s’ils voient que les pays attaqués par les États-Unis paient pour les invasions». Cela anticipait la position prise par Donald Trump à l’égard de la Syrie et de l’Irak.

En 2014, le CAP a publié un rapport qui soutenait la décision du gouvernement Obama d’intervenir militairement en Irak et en Syrie sous le prétexte de combattre l’État islamique (ISIS), une ramification des forces fondamentalistes soutenues par les États-Unis et l’Arabie saoudite contre le régime d’Assad en Syrie. L’année dernière, le New York Times a rapporté que le CAP avait reçu 2,5 millions de dollars des Émirats arabes unis pour financer des études sur la sécurité nationale et la politique internationale.

Tanden est également publiquement liée à la campagne de diffamation contre l’éditeur de WikiLeaks emprisonné Julian Assange, l’ayant qualifié d’«agent d’un État profasciste, la Russie» après que WikiLeaks ait publié des documents nuisibles à Hillary Clinton pendant la campagne électorale de 2016, et le désignant comme «une raison centrale de l’élection de Trump». Les longues tirades anti-Sanders de Tanden figuraient parmi les courriels rendus publics par WikiLeaks.

Les trois membres du Conseil des conseillers économiques seront Cecilia Rouse, de l’université de Princeton, en tant que présidente, rejoint par Jared Bernstein, conseiller de longue date de Biden et économiste du travail, et Heather Boushey, qui dirige actuellement l’Institut de Washington pour une croissance équitable (Washington Institute for Equitable Growth), un groupe de défense libéral.

Les six candidats à la chaire d’économie annoncés lundi comprennent quatre femmes, deux Afro-Américains (Rouse et Adeyemo) et une Indienne-Américaine (Tanden). Bien que le camp Biden et les médias ne cessent de le célébrer comme un cabinet qui «ressemble à l’Amérique», la réalité est que nombre des personnes sélectionnées sont multimillionnaires. Tous sont des défenseurs véhéments du système capitaliste et du «droit» des grandes entreprises, des banques, des fonds spéculatifs et de quelques centaines de milliardaires à posséder les ressources économiques de l’Amérique.

De même, lorsque Biden a nommé son équipe de communication de sept personnes dimanche dernier, la couverture médiatique s’est surtout concentrée sur le fait que les sept étaient des femmes, trois d’entre elles étant noires et une latino. Presque toutes sont des vétérans du gouvernement Obama, ce qui signifie qu’elles ont déjà l’habitude de mentir au peuple américain et au monde entier sur les assassinats de drones, les guerres illégales en Libye, en Syrie et au Yémen, l’espionnage mondial par l’appareil de renseignement américain et d’autres crimes et méfaits de Washington.

La principale importance des nominations dans le domaine de la communication est l’intégration de personnes issues de l’aile la plus libérale du parti. Notamment, Karine Jean-Pierre, anciennement de Move-on, Symone Sanders, qui a travaillé pour Bernie Sanders en 2016, et Pilar Tobar de America’s Voice, un groupe libéral de réforme de l’immigration. Toutes ont quitté sans heurts la prétendue aile «anti-corporative» du Parti démocrate pour servir dans une administration qui se consacre entièrement à servir les intérêts des grandes entreprises.

(Article paru en anglais le 1er décembre 2020)

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