Podemos reste muet sur les menaces de coup d'État des généraux espagnols

Cela fait plus de 48 heures qu'El País a publié des extraits d'une lettre signée par 73 officiers à la retraite, appelant le roi Felipe VI à agir contre le gouvernement élu du Parti socialiste (PSOE) et de Podemos. Ces militaires accusent d’une «décomposition de l'unité nationale» ce qu'ils appellent «le gouvernement social-communiste».

Cela survient quelques semaines après que 39 commandants de l'armée de l'air à la retraite aient envoyé une lettre incendiaire, similaire, au Parlement européen et au roi d’Espagne. La lettre affirmait que le gouvernement PSOE-Podemos supervisait «l'anéantissement de notre démocratie» et assurait le roi de la «profonde loyauté» de ses auteurs.

Alors que des sections de l'armée discutent quasi-ouvertement d'un coup d'État pour installer une dictature dirigée contre la classe ouvrière, le parti «populiste de gauche» Podemos garde un silence assourdissant. La seule réaction officielle du gouvernement a été celle de la vice-première ministre et ministre de la Défense, Margarita Robles, qui a pris la défense du roi lors du débat parlementaire mardi sur le budget. Son intervention a été vivement applaudie depuis les bancs de Podemos.

« Le chef de l'Etat appartient à tout le monde, pas à certains qui, avec certaines lettres, impliquent le roi », a déclaré Robles. Les signataires des lettres ne faisaient pas « ce qu'ils ont à faire en tant que fonctionnaires ou ne défendent pas les valeurs qui caractérisent les militaires et la famille militaire».

Autrement dit, le gouvernement PSOE-Podemos passe sous silence le fait que des sections du corps des officiers discutent d'un coup d'État. Au lieu de cela, il vise à protéger la réputation du roi, même si celui-ci n'a ni désavoué la lettre ni expliqué pourquoi la Maison royale n'avait pas auparavant divulgué les lettres.

Robles n'a annoncé aucune enquête sur les signataires des lettres, leurs liens avec d'éventuels putschistes parmi les officiers en service actif, ou l'ampleur des vues fascistes dans l'armée. Au lieu de cela, elle a exprimé sa «reconnaissance» à des généraux à la retraite maintenant parlementaires du parti fasciste Vox. Appelant leur politique fasciste « une option légitime », elle a affirmé qu'ils défendaient ce « qu'ils pensent être les intérêts des citoyens. Ma gratitude va à eux même si nous sommes si éloignés ».

Les applaudissements du gouvernement PSOE-Podemos pour Vox, dont les dirigeants ont salué la dictature fasciste sanguinaire du général Francisco Franco, révèlent son propre rôle réactionnaire. Le PSOE et Podemos ont bien plus peur de l'opposition explosive à leur politique qui se développe sur leur gauche, parmi les travailleurs et les jeunes, que les complots d'extrême droite contre leur propre gouvernement.

Cela s'applique également à toute un ensemble de satellites politiques de Podemos, eux aussi muets quant aux menaces de coup d'État des militaires. Les Anticapitalistas pablistes, qui ont quitté Podemos il y a à peine six mois, n'ont rien dit sur la question dans leur journal en ligne Poder Popular ou leur magazine en ligne Viento Sur. La Gauche révolutionnaire, l'affilié espagnol du Comité pour une Internationale ouvrière, qui évolue au sein de Podemos, n'a fait aucune déclaration.

Corriente Revolucionaria de Trabajadores y Trabajadoras (Courant Révolutionnaire Ouvrier), la section espagnole moréniste de la Fraction trotskiste-Quatrième Internationale (FT-CI), a publié une douzaine d'articles ces deux derniers jours sur l'édition nationale espagnole de son quotidien en ligne Izquierda Diario. Mais aucun de ces articlesne fait la moindre référence à la lettre des généraux.

Des soldats espagnols de la brigade aéroportée en Afghanistan (source :Wikimedia Commons)

Ils se taisent car, bien qu'ils restent théoriquement en dehors de Podemos, ils constituent une aile à peine déguisée du gouvernement PSOE-Podemos. Enracinés dans la classe moyenne aisée, ils espèrent bénéficier d'une intégration étroite dans la machine d'État capitaliste et travailler à supprimer l'opposition de gauche parmi les travailleurs.

Podemos a récemment rejoint la commission qui distribue 140 milliards d'euros de fonds de sauvetage de l'Union européenne (UE) aux banques et aux grandes entreprises. Il met en œuvre la politique «d'immunité collective» de l'UE pour la Covid-19, qui a conduit à plus de 1,5 million d'infections et plus de 65 000 décès rien qu'en Espagne, tout en affirmant «qu'il n'y a pas d'argent» pour une lutte scientifique contre le virus. Plus généralement, il poursuit l'austérité de l'UE, tout en abreuvant les forces armées de milliards d’euros grâce à l'augmentation des dépenses militaires.

Le vice-Premier ministre et secrétaire général de Podemos, Pablo Iglesias, siège en outre à la Commission des affaires de renseignement, l'organe qui dirige les activités du Centre national du renseignement espagnol (CNI).

Dans ce rôle, Iglesias reçoit régulièrement des rapports de responsables qui espionnent toutes les formes d'opposition politique en Espagne. Comme l'a récemment rapporté El Confidencial, le CNI reçoit tous les 15 jours un rapport de son Observatoire numérique, qui surveille des milliers de sites Web et de médias sociaux à la recherche de «désinformation», en particulier les sites opposés au capitalisme, au gouvernement espagnol, à l'OTAN et à l'UE.

Le gouvernement PSOE-Podemos a utilisé ces informations sans scrupule contre l'opposition à gauche. Podemos a rejoint le gouvernement du PSOE juste après que le PSOE eut ordonné une répression policière brutale des manifestations de masse des travailleurs et des jeunes contre l'emprisonnement des leaders politiques nationalistes catalans. Au début de la pandémie cette année, il a envoyé la police pour attaquer les métallurgistes en grève pour le droit de s’abriter chez eux pour éviter l'infection.

Mais contre les généraux d'extrême droite discutant d'un coup d'État, Podemos n'a pris aucune mesure officielle. En 2018, plus de 1000 officiers supérieurs à la retraite, dont 62 anciens généraux, avaient signé un manifeste saluant Franco. Un an plus tard, le chef d'état-major à la retraite de l'armée, le général Fulgencio Coll Bucher, un membre éminent de Vox, a écrit un article dans le quotidien de droite El Mundo appelant l'armée à évincer le PSOE. En septembre, une manifestation militaire soutenue par Vox pour augmenter les salaires et les conditions des soldats a défilé à Madrid, pour la première fois depuis l'ère franquiste.

La dernière chose que Podemos compte faire est d'alerter les travailleurs sur les complots fascistes au sein de l'armée. Il est terrifié à l’idée qu'un événement associant le mécontentement croissant des travailleurs et des jeunes face à la gestion officielle de la pandémie et de l'austérité aux traditions antifascistes de la classe ouvrière européenne, puisse conduire à une radicalisation politique de la classe ouvrière, dirigée contre eux.

Ils sont consciemment opposés à la discussion sur le franquisme et au danger d'un coup d'État des éléments franquistes de la classe dirigeante espagnole. Lors d'une discussion en 2015 avec l'écrivain «post-marxiste» Chantal Mouffe, publiée dans le livre Podemos au nom du peuple, le co-fondateur de Podemos, Iñigo Errejón, s'est opposé à discuter les leçons de la victoire de Franco dans la guerre civile espagnole et des luttes de la classe ouvrière contre le régime franquiste:

«Je ne pense pas que beaucoup de gens seraient intéressés par une telle critique, et ce n'est pas non plus très productif en termes politiques. Il est fort possible qu'à un moment donné, nous devrons entamer une discussion historiographique, mais je ne pense pas qu'une forme révisée de nostalgie – disons, laissant derrière nous la mélancolie du perdant – soit jamais fructueuse. »

Errejón a insisté pour dire que discuter d'une perspective et d'une stratégie pour la classe ouvrière pour vaincre le fascisme n'avait aucune pertinence particulière pour l'Espagne contemporaine. Parlant de la guerre civile espagnole, il a déclaré que cela:

«fait peur aux personnes âgées et ne signifie pas grand-chose pour les jeunes, car cela s'est passé il y a longtemps. Si nous sommes clairs de quel coté nous serions dans un tel argument, nous savons également que la nostalgie ne gagne pas les batailles, mais que les défaites apportent malheureusement la défaite. Ce n’est pas un appel à enterrer toute la question, c’est un appel à se battre dans le cadre de notre époque. »

En fait, le danger d'un coup d'État fasciste visant à étouffer la colère croissante de la classe ouvrière contre la politique des inégalités sociales, de l'austérité et de l '«immunité collective» fait partie intégrante de la politique contemporaine. Les leçons des années 30 sont d'une actualité brûlante. C’est avant tout la nécessité de mobiliser la classe ouvrière indépendamment de la bureaucratie syndicale et des partis petits-bourgeois réactionnaires comme Podemos, et celle de construire une direction politique révolutionnaire dans la classe ouvrière pour mener la lutte contre le capitalisme et un régime dictatorial.

(Article paru en anglais le 2 décembre 2020)

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