Biden choisit un général récemment retraité, ancien commandant de guerre au Moyen-Orient, pour diriger le Pentagone

Le président élu Joe Biden a annoncé mardi la nomination au poste de secrétaire à la Défense du général Lloyd Austin, un ancien commandant de la guerre en Irak ayant pris sa retraite de chef du Commandement central américain (CENTCOM), qui supervise toutes les opérations militaires américaines au Moyen-Orient et en Afghanistan.

Ce choix est salué par les démocrates et les médias d’entreprise comme historique, dans la mesure où Austin serait le premier Afro-Américain à diriger le Pentagone.

Malgré la tentative de faire de la couleur de peau d’Austin un symbole de changement socialement progressiste, cette nomination représente une continuité certaine avec le gouvernement Trump. Ce dernier a également choisi un général récemment retraité pour le poste civil le plus élevé au sein du département de la Défense. Dans le cas de Trump, c’était le général de marine (à la retraite) James «Mad Dog» Mattis, qui avait précédé Austin aux commandes du CENTCOM.

Biden et le général Austin en 2009 (Crédit: US Army)

La nomination d’Austin, comme celle de Mattis, viole la Loi sur la sécurité nationale de 1947. Cette loi stipulait qu’un ancien officier devait attendre dix ans (modifié par le Congrès en 2008 à sept ans) après avoir quitté l’armée avant de prendre le poste de secrétaire à la Défense. Pour déroger à cette disposition, qui visait à défendre le contrôle civil de l’armée, on doit obtenir l’approbation d’une dérogation par les deux chambres du Congrès américain.

Dans le cas de Mattis, 17 sénateurs démocrates avaient voté contre l’octroi d’une dérogation. Le sénateur Jack Reed, alors démocrate le plus important de la Commission des services armés du Sénat, avait voté pour, tout en insistant: «Je ne soutiendrai pas une dérogation pour de futurs candidats». Reed et ses collègues sénateurs démocrates n’ont jusqu’à présent pas soulevé pour Austin les mêmes objections que celles faites en 2017 pour la nomination de Mattis.

Le magazine Atlantic a publié mardi un article de Biden dans lequel il défend la nomination d’Austin en disant qu’il «faisait partie de notre équipe de direction diversifiée en matière de sécurité nationale qui reflète les expériences vécues par tous les Américains».

«Il a été le premier officier général afro-américain à diriger un corps d’armée au combat et le premier Afro-Américain à commander tout un théâtre de guerre; s’il est confirmé, il sera le premier Afro-Américain à diriger le ministère de la Défense — une autre étape importante dans une carrière brisant les barrières vouée à la sécurité du peuple américain» écrit-il.

Le fait que le commandant du corps d’armée qui a détruit villes et villages irakiens, laissant dans son sillage d’innombrables victimes, était Afro-Américain, n’était guère un réconfort ni pour les victimes irakiennes de l’invasion criminelle de Washington ni pour celles ailleurs sur le «théâtre de guerre» commandé par Austin.

D’autres sections de l’establishment du Parti démocrate avaient plaidé pour la nomination de Michèle Flournoy comme première femme secrétaire à la Défense. Certains avaient proposé l’ancien secrétaire à la sécurité intérieure Jeh Johnson, également afro-américain.

Malgré tout le discours sur la «diversité», ce qui est remarquable, c’est la similitude entre les carrières des trois candidats proposés et celles de leurs homologues masculins blancs dans les rangs supérieurs du tentaculaire appareil militaire et de renseignement américain.

En premier lieu, ils partagent tous la responsabilité des crimes massifs perpétrés par l’impérialisme américain.

Austin a servi comme commandant de combat en Irak, puis a dirigé toutes les opérations militaires américaines dans ce pays, où la guerre d’agression illégale de Washington, lancée sur la base de mensonges sur les armes de destruction massive, a coûté la vie à plus d’un million de personnes, a transformé des millions d’autres en réfugiés et a dévasté toute une société.

Interviewé par le Washington Post à la veille de l’invasion américaine, alors qu’il était commandant adjoint de la 3e division d’infanterie de l’armée, Austin a déclaré à propos des Irakiens «Nous pouvons les voir. Et ce que nous pouvons voir, nous pouvons frapper, et ce que nous pouvons frapper, nous pouvons tuer, et la tuerie sera catastrophique».

Austin a ensuite commandé 150.000 soldats américains et alliés en Irak pendant la période sanglante de répression et de guerre civile provoquée par la politique sectaire de division et de domination de Washington.

Par la suite, en tant que chef du Commandement central, il a supervisé l’intervention illégale de Washington pour le changement de régime en Syrie et la campagne sanglante menée à la fois en Irak et en Syrie au nom de la défaite de l’ISIS, qui a vu la destruction de Mossoul et de Ramadi en Irak, de Raqqa en Syrie et d’autres villes, où des dizaines de milliers de civils ont été tués.

Flournoy et Johnson ont joué des rôles similaires. En tant que sous-secrétaire à la Défense pour la politique, sous Obama, Flournoy était un véritable fauteur de guerre, un architecte de la «poussée» militaire américaine en Afghanistan. Elle était aussi une des principales partisanes de la guerre américaine pour le changement de régime en Libye, qui a dévasté cette nation nord-africaine.

Johnson a travaillé comme avocat général du Pentagone, défendant les assassinats par drones et les «commissions militaires», les tribunaux bidons pour détenus de Guantanamo. Ensuite, il a pu devenir secrétaire à la Sécurité intérieure, où il a supervisé la déportation d’immigrants la plus massive de l’histoire des États-Unis.

Tous trois sont devenus multimillionnaires en faisant jouer leurs relations avec le gouvernement pour l’obtention de contrats lucratifs avec des entreprises militaires et de sécurité. Austin a rejoint le conseil d’administration de Raytheon et d’autres entreprises liées au Pentagone, tandis que Johnson a rejoint les conseils d’administration de Lockheed Martin et de US Steel.

Flournoy a rejoint le conseil d’administration de Booz Allen Hamilton, tout en se joignant au candidat de Biden au poste de secrétaire d’État, Antony Blinken, pour fonder WestExec Advisors, une société de conseil spécialisée dans les liens de la Silicon Valley avec le Pentagone et les forces de police américaines. Austin et Flournoy sont tous deux devenus partenaires de Pine Island Capital, une société de capital-investissement spécialisée dans les secteurs de l’aérospatiale et de la défense.

L’affirmation que la sélection de tels individus fera que le cabinet de Biden reflète «les expériences vécues par tous les Américains», dans des conditions où des dizaines de millions d’Américains ont devant eux la misère, l’expulsion et la faim, est rien moins qu’obscène.

La confirmation d’Austin nécessitera le soutien des démocrates qui ont voté contre une dérogation pour Mattis sur le contrôle civil de l’armée, ainsi que des républicains qui pourraient maintenant invoquer hypocritement le même principe.

On a intégré ce principe à la loi à l’époque où, il y a près de 60 ans, le président républicain sortant Dwight Eisenhower, ancien général cinq étoiles et commandant suprême des forces alliées en Europe occidentale pendant la Seconde Guerre mondiale, mettait le peuple américain en garde contre «l’acquisition d’une influence injustifiée, recherchée ou non, par le complexe militaro-industriel», ajoutant que «le potentiel d’ascension désastreuse d’un pouvoir égaré existe, et persistera».

Alors que le Congrès américain s’apprête à approuver un projet de loi sur les dépenses militaires de 740,5 milliards de dollars, l’étendue du complexe militaro-industriel et l’ampleur de l’«ascension désastreuse d’un pouvoir égaré» dépassent tout ce qu’Eisenhower aurait pu imaginer.

Le fait que Biden ait choisi comme secrétaire à la Défense le général qui a succédé à la tête du CENTCOM au candidat choisi par Donald Trump n’est pas une coïncidence. Cela n’est pas non plus simplement l’expression de la politique de droite du président démocrate élu.

La montée en puissance des chefs de commandement responsables de guerres d’agression sanglantes pendant la majeure partie des trois dernières décennies est l’expression de la militarisation en profondeur de la politique du gouvernement américain et de la société américaine dans son ensemble.

La nomination d'Austin n'est en aucun cas une exception. Les anciens généraux et autres personnels militaires jouent un rôle surdimensionné au sein de la nouvelle administration Biden, selon Politico, qui rapporte que les anciens généraux, amiraux et autres personnels militaires dirigent des « équipes d'examen des agences » mises en place pour préparer la transition du gouvernement Trump à l'administration Biden.

Alors que Trump tente toujours de réaliser un coup d’État pour renverser les résultats de l’élection présidentielle du 3 novembre, Biden pourrait avoir une raison supplémentaire de s’attirer les faveurs des militaires, dans l’espoir qu’ils servent d’arbitres finaux si Trump refuse de quitter la Maison-Blanche.

En tout état de cause, la nomination d’Austin et le rôle prépondérant joué par d’autres officiers supérieurs récemment retraités dans la transition constituent un avertissement pour la classe ouvrière qu’un nouveau gouvernement démocrate sera un régime d’escalade du militarisme à l’extérieur et de réaction sociale et de répression à l’intérieur.

(Article paru d’abord en anglais le 9 decembre 2020)

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