Dans une brève ordonnance rendue vendredi soir, la Cour suprême des États-Unis a jugé que l’État du Texas n’était pas habilité à intenter un procès visant à invalider les suffrages électoraux de la Géorgie, du Michigan, de la Pennsylvanie ou du Wisconsin et à renverser les résultats de l’élection présidentielle de 2020.
Le gouvernement de l’État dirigé par les républicains avait demandé à la Cour suprême d’annuler le résultat du vote dans ces quatre États – tous remportés par Joe Biden, le candidat démocrate – et de confier la sélection des électeurs aux assemblées législatives de ces États, tous controlés par les républicains. L’effet d’une telle décision aurait été de faire passer 62 votes électoraux de Biden à Trump et aurait fait de ce dernier le vainqueur lors de la réunion du Collège électoral, le 14 décembre.
L’ordonnance de la Cour suprême stipule que «la demande d’autorisation de l’État du Texas de déposer plainte est rejetée pour défaut d’habilité au titre de l’article III de la Constitution. Le Texas n’a pas démontré d’intérêt légal reconnaissable dans la manière dont un autre État conduit ses élections. Toutes les autres requêtes liées à cette plainte sont rejetées comme sans objet».
Les juges d’ultra-droite Samuel Alito et Clarence Thomas ont ajouté une déclaration à l’ordonnance indiquant qu’ils auraient entendu l’affaire, «mais n’accorderaient pas d’autres réparations». Il est significatif que les trois juges nommés par Trump, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett, fassent partie des sept juges (sur 9) ayant massivement rejeté l’action en justice du Texas.
La décision du tribunal élimine effectivement le dernier obstacle à la réunion des électeurs des États ce lundi et à leur vote, qui conduira à déclarer le président-élu Biden vainqueur par une marge de 306 contre 232.
Dans le Michigan, où des manifestants armés ont annoncé qu’ils se mobiliseraient devant le capitole de l’État lundi, la Police va escorter les électeurs depuis leur voiture jusqu’au bâtiment afin qu’ils puissent voter en toute sécurité. Blake Mazurek, un professeur d’histoire américain de 8e année à Grand Rapids et électeur de Biden, a déclaré sur Twitter qu’il était «reconnaissant de la protection et triste pour notre État».
Avant que la décision ne soit rendue publique, le président Donald Trump avait fait pression sur les juges sur Twitter pour qu’ils entendent l’action en justice et annulent le résultat de l’élection, écrivant qu’ils devaient «faire ce dont tout le monde sait que cela doit être fait». Ils devaient montrer beaucoup de courage et de sagesse» et «sauver les États-Unis».
Il a ajouté: «Si la Cour suprême montre beaucoup de sagesse et de courage, le peuple américain remportera peut-être le procès le plus important de l’histoire, et l’on respectera à nouveau notre processus électoral! »
Avant la décision de la Cour, 20 républicains de la Chambre, dont le chef de la minorité Kevin McCarthy, s’étaient joints à 106 de leurs collègues pour signer un mémoire d’ « amicus curiae » [ami de la cour ] en soutien à ce procès sans précédent. En plus de McCarthy, le député Greg Pence, frère du vice-président Mike Pence, ainsi que le chef de la minorité Steve Scalise et le député Tom Emmer du Minnesota, président de la commission nationale républicaine du Congrès, s’étaient joints à cet effort pour renverser la Constitution américaine.
Les experts en droit constitutionnel avaient largement prédit le caractère rapide et péremptoire de la décision de justice, étant d’accord sur le fait qu’aucun État n’était habilité à s’opposer aux procédures électorales d’un autre État. Même si l’action en justice du Texas avait pu lever cet obstacle, il n’y avait aucune base factuelle ou juridique pour contester l’équité des élections dans les quatre États que Biden a remportés avec un total combiné d’environ 300.000 voix.
Un jugement en faveur de Trump aurait fatalement discrédité la Cour suprême aux yeux de la population américaine et aurait provoqué des troubles généralisés et massifs dans un contexte de crise socio-économique et de santé publique déjà dévastatrice.
Malgré ce jugement, Trump n’a pas encore officiellement concédé l’élection. Au cours des cinq dernières semaines, il a attaqué à plusieurs reprises ceux qui s’opposaient à ses efforts dictatoriaux en les qualifiant d’«ennemis du peuple». Il a incité ses partisans fascistes à s’y opposer, ce qui a conduit à des menaces de mort contre des responsables électoraux, des politiciens, des employés des bureaux de vote et leurs familles.
La campagne Trump et les républicains du Congrès entendent poursuivre leurs efforts pour renverser la victoire de Biden en soulevant des «objections» le 6 janvier, la date où les votes électoraux de chaque État seront officiellement comptés lors d’une session conjointe du Congrès. C’est le vice-président Mike Pence qui la présidera.
Un membre de la Chambre et un membre du Sénat sont tenus de soutenir des objections, sur lesquelles voterait alors séparément chacune des deux chambres du Congrès. Compte tenu de la majorité démocrate à la Chambre et de l’opposition probable d’au moins une demi-douzaine de républicains au Sénat, ces objections seront rejetées – dernière étape législative avant le jour de l’inauguration, le 20 janvier.
Dans les coulisses, Trump continue de préparer d’autres scénarios, notamment de nouvelles poursuites judiciaires, l’incitation de ses partisans à la violence et l’aspiration à profiter d’une crise internationale ou du lancement d’une action militaire pour refuser de quitter ses fonctions, comme l’exige la Constitution américaine.
Quelle qu’en soit l’issue immédiate, l’action en justice du Texas a déjà servi un objectif politique important dans le cadre des efforts déployés par Trump pour transformer le Parti républicain en parti fasciste à part entière, dont il serait le chef autoritaire. Plus de la moitié des membres républicains du Congrès et presque tous les gouvernements républicains des États ont adopté le mensonge que Biden avait été élu du à la fraude et que Trump était le véritable gagnant de l’ élection.
Si Biden devient président le 20 janvier prochain, des États représentant un tiers de la population américaine ont déjà déclaré que son gouvernement n’était pas légitime. Trump se retirerait dans sa propriété de Mar-a-Lago et constituerait ce qui serait un gouvernement rival en attente.
Biden et les démocrates, terrifiés par une explosion sociale d’en bas, ont fait de leur mieux pour minimiser et ignorer cette tentative de renversement de la Constitution. La campagne de Biden n’a même pas déposé de mémoire pour défendre sa victoire électorale et s’opposer à la privation du droit de vote de 20 millions d’électeurs.
Lors de sa seule apparition publique vendredi, avant l'arrêt de la Cour suprême, Biden n'a fait aucune déclaration condamnant les tentatives de coup d'État en cours de Trump ni ses menaces contre les politiciens et le personnel électoral ; il a refusé de répondre aux questions après avoir fait des remarques préparées, annonçant plusieurs nouveaux membres de son cabinet.
Un membre du Congrès, le démocrate du New Jersey Bill Pascrell Jr, a dénoncé le soutien des républicains de la Chambre au procès du Texas. Il a cité la section 3 du 14e amendement, adopté après la guerre civile, qui interdit l’accès aux fonctions fédérales à ceux qui se sont «engagés dans une insurrection ou une rébellion» contre la Constitution et a demandé à la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, de «refuser de laisser siéger au 117e Congrès tout député élu qui cherche à faire de Donald Trump un dictateur non élu».
Il est certain que les dirigeants démocrates ne feront rien de tel. Pelosi a envoyé une lettre au caucus démocrate qui déclare que les républicains «subvertissent la Constitution par leur attaque irresponsable et infructueuse contre notre démocratie», mais ces mots ne veulent rien dire. Elle continue de qualifier de «nos collègues» les républicains qui soutiennent l’instauration d’une dictature présidentielle par Trump.
Même au milieu d’une guerre politique fratricide sans précédent, le Sénat a adopté vendredi une résolution permanente pour maintenir le financement du gouvernement pendant une semaine et, par un vote écrasant de 84 contre 13, a adopté la Loi d’autorisation de défense nationale, de 741 milliards de dollars. Le vote sur la défense montre que les deux partis sont d’accord sur les questions fondamentales de l’impérialisme américain.
(Article paru d’abord en anglais le 12 décembre 2020)