Le régime tunisien envoie l’armée contre des manifestations à travers le pays

Dix ans après un soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière en Tunisie qui a renversé le Président Zine El Abidine Ben Ali, le régime tunisien envoie l’armée contre des manifestations qui ont éclaté dans des dizaines de villes. Hier, le premier ministre tunisien Hichem Mechichi fait arrêter 632 jeunes pour tenter d’écraser les manifestations qui se répandent à travers le pays.

Une colère explosive couve dans les cités et villes ouvrières à travers le Maghreb. Au début de l’année, le régime faisait déjà face à des grèves d’enseignants mobilisés contre l’ordre d’enseigner en présentiel malgré la diffusion rapide du virus dans les classes. Mechichi a décidé soudain de déclarer un couvre-feu total pendant les quatre jours à partir de l’anniversaire du renversement de Ben Ali, le 14.

Cette grossière manipulation de la pandémie en tant que prétexte à la répression n’a pas suffi à étouffer l’opposition au régime tunisien. Des manifestations sauvages se sont déroulées dans plusieurs villes y compris la capitale, Tunis. Dès le soir du 14 janvier, des manifestants sont sortis à Kasserine, ville ouvrière du sud tunisien qui avait été l’un des centres des soulèvements de 2011 contre Ben Ali. En colère contre le manque d’emploi et l’absence de soutien aux chômeurs, ils ont brûlé des pneus et confronté les forces de l’ordre.

A Siliana, les habitants ont manifesté après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo où un policier battait un berger, dont les moutons auraient pénétré dans un bâtiment officiel. La police a tiré des lacrymogènes sur des manifestants, qui ont répliqué par des jets de pierres et en bloquant des rues avec des pneus en flammes pour ralentir les mouvements des forces de l’ordre. Le 15, les syndicats policiers ont tenté d’apaiser la colère sociale en présentant leurs excuses au berger.

Dans les jours suivants, les manifestations ont pris de l’ampleur et se sont répandues dans des quartiers ouvriers de Tunis, tels qu’Ettadhamen et Al-Karm, et à Kasserine, Sbeitla, Bizerte, Beja, Kairouan, et Monastir. Des heurts entre la police et les jeunes étaient également signalés à Menzel Bourguiba, Sousse, Nabeul, ainsi que dans d’autres villes.

Le 17, alors que le ministère de l’Intérieur annonçait l’arrestation de 242 personnes, le porte-parole du ministère de la Défense Mohamed Zikri a confirmé l’envoi de la troupe contre les manifestants dans les régions de Siliana, Kasserine, Bizerte et Sousse. Des unités de l’armée ont également été déployées au centre de Tunis. Zakri a confirmé que le but de l’intervention des forces armées était d’empêcher la population de prendre d’assaut les sièges du pouvoir.

En un signe de la panique qui gagne les milieux dirigeants face aux manifestations à travers le pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), syndicat unique et historiquement lié au régime Ben Ali, s’est fendue d’un communiqué pour critiquer et tenter de démoraliser le mouvement.

Tout en critiquant une répression qu’elle jugeait «inefficace» et en déclarant «légitime» la colère sociale des jeunes, l’UGTT a assimilé les manifestations à des actes criminels. Elle «a mis en garde les jeunes protestataires contre les manifestations nocturnes et les risques d’infiltration dans leur rang, dénonçant les actes de vandalisme et de pillage des biens public et privé perpétrés au cours de ces derniers jours.»

Hier, le porte-parole du ministère tunisien de l’Intérieur, Khaled Hayouni, a annoncé la mise en arrestation de 632 personnes âgées d’entre 15 et 25 ans. Reprenant le discours de l’UGTT, il a dénoncé le mouvement: «Cela n’a rien à voir avec les mouvements de revendication garantis par la loi et la Constitution. Les revendications se déroulent normalement le jour et sans actes criminels.»

Néanmoins, les manifestations ont continué hier dans des dizaines de villes, en bravant les menaces de l’armée et les vagues d’arrestations lancées par le pouvoir. A Tunis, une manifestation s’est lancée le long de l’avenue Habib Bourguiba, lieu d’importantes manifestations lors du soulèvement contre Ben Ali en 2011. Les manifestants scandaient: «Pas de peur, pas d’horreur, le pouvoir appartient au peuple!»

Les dépêches dans la presse faisaient état d’importantes échauffourées dans plusieurs villes et les banlieues ouvrières de Tunis. Les policiers tirent des lacrymogènes contre des manifestants, qui ripostent par des jets des pierres et des tirs de feux d’artifices sur les forces de l’ordre, souvent du haut des tours dans les cités.

Ces manifestations soulignent que la lutte politique initiée par le renversement de Ben Ali par la classe ouvrière il y a 10 ans continue à ce jour. Aucune des revendications d’égalité sociale et de droits démocratiques qui ont provoqué le soulèvement des travailleurs et des jeunes tunisiens en janvier 2011 n’a été satisfaite.

Le cours des événements a donné raison à la déclaration publiée par le Comité international de la IVe Internationale (CIQI) le 18 janvier 2011, intitulée «Les manifestations de masses en Tunisie et la perspective de la révolution permanente». Le CIQI a déclaré que ce soulèvement marquait «un tournant dans l’histoire» et le début «une nouvelle ère de luttes révolutionnaires». Il a noté les tensions de classe internationales qui impulsaient le soulèvement, et le rôle des révélations de WikiLeaks sur la corruption de Ben Ali.

Le CIQI a souligné surtout l’urgence de créer une avant-garde trotskyste internationale dans la classe ouvrière à travers l’Afrique du Nord et le Moyen Orient, luttant pour la perspective d’une lutte pour renverser le capitalisme en une révolution socialiste internationale:

«Faible et dépendante, entravée par des liens innombrables avec l'impérialisme étranger et les forces féodales locales, la bourgeoisie de pays comme la Tunisie est mille fois plus craintive et hostile envers la force révolutionnaire de la classe ouvrière qu'elle ne l'est envers l'impérialisme. … Sans le développement d'une direction révolutionnaire, un autre régime autoritaire s'installera inévitablement pour remplacer celui de Ben Ali.»

La révolution en Tunisie a été suivie d’une puissante vague révolutionnaire en Égypte qui a renversé Hosni Mubarak, et de diverses manifestations à travers la région. Mais dans la mesure où des groupes comme les Socialistes révolutionnaires (RS) égyptiens ou le Front populaire tunisien bloquaient une prise de pouvoir par la classe ouvrière, le régime a pu se stabiliser. Les puissances impérialistes ont pu réagir par des guerres en Libye, en Syrie, en Côte d’Ivoire et au Mali. Les gouvernements tunisiens après Ben Ali n’ont été que des truchements des banques internationales.

Le gouvernement de Mechichi, un ex-ministre de l’Intérieur qui occupe toujours cette position par intérim, est assis sur une coalition bancale rassemblant islamistes, libéraux, et anciens soutiens de Ben Ali. Comme tous les régimes capitalistes qui ont suivi Ben Ali, il est perpétuellement au bord de la faillite, menacé d’étranglement par les grandes banques internationales impérialistes, et incapable de fournir des emplois et des conditions sociales décentes aux travailleurs.

La pandémie et la politique d’immunité collective menée internationalement – qui ont fait 5.570 morts en Tunisie et largement exacerbé la crise sociale et économique du pays – a dévoilé la faillite du capitalisme non seulement en Afrique du Nord, mais en Europe, aux USA et autour du monde. Les manifestations qui se déroulent à présent en Tunisie font partie d’une crise mondiale, déclenchée par la pandémie, avec des ramifications révolutionnaires.

«Les terrains sociaux, économiques et sanitaires créés par la crise de Covid-19 sont propices à de telles manifestations», a dit le journaliste Fateen Hafsia à l’édition arabe de l’Independent. Il a ajouté: «Janvier en Tunisie représente généralement le moteur historique de la protestation, de la révolution de 1952 [contre le régime colonial français] aux affrontements de 1978 avec l’Union générale tunisienne du travail et aux événements de janvier 2011 et le renversement de Zine El Abidine Ben Ali.»

Le coup fasciste tenté par Donald Trump contre le Capitole à Washington le 6 janvier a valeur d’avertissement aux travailleurs non seulement d’Amérique, mais aussi d’Afrique et du monde. Le capitalisme, pourrissant sur pied, mine la démocratie même dans les pays les plus riches et puissants, avec les plus longues traditions démocratiques. Pour les travailleurs autour du monde, la lutte pour établir et défendre les droits démocratiques contre les dictatures de l’aristocratie financière nécessite une lutte internationale de la classe ouvrière pour le socialisme.

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