Des agriculteurs protestant contre les lois agricoles de Modi affrontent les forces de sécurité dans les rues de la capitale indienne

Les agriculteurs qui protestent contre les lois agricoles du gouvernement Modi se sont heurtés à la police de Delhi et aux forces paramilitaires en de nombreux endroits de la capitale indienne mardi, après avoir défié les ordres du gouvernement limitant leur protestation, notamment ceux leur interdisant d'entrer dans le centre-ville.

La violence a fait un mort et des dizaines de blessés parmi les agriculteurs. La police de Delhi, qui a attaqué les fermiers avec des rafales de gaz lacrymogène et des charges de lathi, a déclaré que plus de 80 de ses propres employés ont été blessés.

Un agriculteur âgé crie des slogans pendant que d'autres écoutent un intervenant alors qu'ils bloquent une grande autoroute lors d'une manifestation à la frontière de l'État de Delhi-Haryana, en Inde, le mardi 1er décembre 2020. (AP Photo/Altaf Qadri)

La police a affirmé que Navneet Singh, un fermier de 24 ans de l'Uttar Pradesh, est mort lorsque son tracteur s'est retourné. Les manifestants ont répliqué que Singh avait perdu le contrôle de son tracteur parce qu'il avait été attaqué par les forces de sécurité.

Face à l'explosion de la colère sociale, le ministère indien de l'Intérieur a ordonné la fermeture de la téléphonie mobile et de l'internet pendant 12 heures dans une grande partie de la capitale, ainsi que dans les zones adjacentes des États voisins de l'Haryana et de l'Uttar Pradesh.

En fin d'après-midi, les agriculteurs étaient retournés dans les camps improvisés situés à une demi-douzaine de points d'entrée principaux sur le territoire de la capitale indienne, où plus de 200.000 d'entre eux vivent depuis que leur gouvernement a eu recours à un déploiement massif des forces de sécurité de l'État et à la violence pour les empêcher d'entrer à Delhi fin novembre.

Secoué par les événements de mardi, le gouvernement aurait ordonné le déploiement considérable de forces de sécurité supplémentaires à Delhi, et placé l'Haryana et le Pendjab, d'où proviennent de nombreux agriculteurs protestataires, en état «d'alerte maximale».

Avec le soutien des médias bourgeois, le premier ministre Narendra Modi et son gouvernement d'extrême droite, le parti Bharatiya Janata (BJP), accusent les paysans d'être fous furieux et d'apporter l'anarchie dans la capitale indienne. «Anarchie dans la capitale: Les agriculteurs qui s'écartent de la voie de la protestation pacifique discréditent gravement leur mouvement», a tonné la page éditoriale du Times of India.

Le gouvernement avait tenté de faire interdire par la Cour suprême le défilé de tracteurs de mardi. La plus haute cour de l'Inde, craignant qu’il devienne trop évident qu’elle approuve systématiquement toutes les actions autoritaires et offenses sectaires de Modi, a plutôt demandé à la police de Delhi de fixer des limites strictes de «sécurité» pour le défilé.

Soucieux de paraître coopératifs, les syndicats d'agriculteurs se sont pliés à la demande de la police de Delhi de ne commencer la parade des tracteurs qu'après la conclusion des célébrations officielles marquant la fête de la République indienne du 26 janvier. Ils ont également accepté de limiter le nombre de tracteurs qui entreraient dans la ville à seulement 5.000, et de limiter la manifestation à trois routes désignées par la police pour tenir les agriculteurs éloignés du centre ville.

Mais les agriculteurs se sont rebellés. Quelques heures avant l'heure de départ fixée par la police et le syndicat agricole, les agriculteurs – certains à pied, d'autres à bord de tracteurs souvent arborant le drapeau indien et celui du syndicat agricole – se sont mis en route pour la capitale. Les forces de sécurité ont réagi avec violence, mais il semble qu'elles aient été dépassées par l'ampleur de la foule. Des tracteurs ont été utilisés pour écarter les barricades que la police avait mises en place pour maintenir les fermiers cantonnés dans les trois itinéraires de défilé désignés par la police.

Les agriculteurs qui ont parlé aux médias ont déclaré qu'ils étaient en colère de ne pas pouvoir défiler librement dans la capitale indienne le jour férié qui marque l'entrée en vigueur de la constitution indienne. «Delhi n'est pas seulement pour les ministres, c'est aussi notre capitale», a déclaré Dharminder Singh, qui vient du district de Patiala dans le Punjab, au site d'information Scroll.in. «Ils nous ont gardés à la frontière pendant deux mois. Ce n'est pas juste. Nous sommes une démocratie. C'est notre droit de protester dans la capitale».

Dans une action d'une importance symbolique, un groupe de fermiers protestataires a atteint le Fort Rouge de l'ère moghole, d'où les premiers ministres indiens prononcent le discours annuel du jour de l'indépendance, et y ont accroché un drapeau de l'Union.

Au cours des deux derniers mois, les agriculteurs ont enduré les intempéries, ont été la cible de diffamations de la part du gouvernement, notamment parce que leur agitation est soutenue par la Chine et le Pakistan et manipulée par les séparatistes sikhs, et ont été repoussés à maintes reprises par Modi et ses sous-fifres qui prétendent que les trois lois de réforme agricole du gouvernement sont pour le bien des agriculteurs.

En réalité, la «réforme agricole» de Modi fait partie d'une série de mesures pro-investisseurs depuis longtemps exigées par les capitaux nationaux et indiens. Elle a été adoptée à pleine vitesse en septembre lors de la même session abrégée du Parlement qui a modifié le droit du travail indien afin de rendre la plupart des grèves illégales, de développer les emplois contractuels précaires et de permettre aux grandes entreprises de licencier les travailleurs à leur gré.

Les lois agricoles vont mettre les agriculteurs indiens, dont la plupart vivent sur des parcelles de deux hectares ou moins, à la merci de l’industrie agroalimentaire.

Les dirigeants des syndicats agricoles n'ont pas tardé à condamner les violences de mardi, affirmant qu'elles étaient le fait «d’éléments antisociaux». Le Samyukta Kisan Morcha, un groupe de coordination représentant une quarantaine d'organisations agricoles différentes, a publié une déclaration affirmant: «Malgré tous nos efforts, certaines organisations et certains individus n’ont pas respecté la route et se sont livrés à des actes condamnables. Des éléments antisociaux ont infiltré le mouvement par ailleurs pacifique».

Dirigés par des agriculteurs plus aisés, les syndicats agricoles ont toujours insisté sur le fait que l'agitation des agriculteurs est «apolitique», c'est-à-dire qu'elle ne constitue pas un défi pour le gouvernement Modi. Ils n'ont formulé aucune revendication pour répondre aux besoins des sans-terre et des travailleurs agricoles qui constituent la majorité des masses rurales de l'Inde.

L'agitation des agriculteurs a néanmoins gagné un large soutien parmi les agriculteurs marginaux et les travailleurs agricoles appauvris, ainsi que parmi les travailleurs à travers l'Inde. Il est reconnu qu'en s'attaquant aux agriculteurs, Modi et son gouvernement répondent aux demandes des grandes entreprises.

Les partis d'opposition, dont les partis parlementaires staliniens, le Parti communiste de l'Inde (marxiste), ou CPM, et le Parti communiste de l'Inde (CPI), se sont fait l'écho des condamnations de la «violence» par la presse et le gouvernement. «La violence sous aucune forme n'est une réponse et est inacceptable», a tweeté le secrétaire général du CPM, Sitaram Yechury.

Le tollé que les événements de mardi a suscité parmi l'establishment politique et les médias bourgeois illustre l'hypocrisie et la peur de l'élite dirigeante capitaliste vénale de l'Inde – et pas seulement parce que rien n'a été dit sur la violence d'État dirigée contre les agriculteurs, à commencer par la tentative du gouvernement d'étouffer leur agitation dès le début par des arrestations massives, la violence et l'imposition de l'article 144 du Code pénal, en vertu duquel toutes les assemblées de plus de quatre personnes sont interdites.

La bourgeoisie indienne fait chaque jour preuve de violence envers les ouvriers et les travailleurs du pays, en les condamnant à un calvaire et une misère indicibles. Alors que l'élite célèbre la prétendue montée capitaliste de l'Inde, près de 38% des enfants souffrent d'un retard de croissance et, selon l'Indice mondial de la faim, 9 enfants indiens sur 10 n'ont pas accès à une alimentation nutritive.

Suite à leur réaction désastreuse à la pandémie de COVID-19, plus de 150.000 personnes – une sous-estimation flagrante – sont officiellement mortes et des centaines de millions ont vu leurs maigres revenus réduits. Au cours de cette même période, les milliardaires indiens ont vu leur richesse augmenter de 35%. Même avant cela, la richesse des 1% les plus riches de l'Inde était quatre fois plus importante que les ressources des 70% les plus pauvres du pays, soit plus de 950 millions de personnes.

L'agitation des agriculteurs est l'expression d'une opposition de masse croissante au gouvernement Modi et aux politiques pro-investisseurs socialement incendiaires que toutes les sections de l'establishment politique – du BJP et du Parti du Congrès au CPM et au CPI staliniens – poursuivent depuis trois décennies. Le 26 novembre, le jour même où l'agitation des agriculteurs de Delhi Chalo (Allons à Delhi) a été lancée, des dizaines de millions de travailleurs ont rejoint une grève générale d'une journée pour s'opposer à la campagne de privatisation du gouvernement BJP et aux lois de «réforme» du travail et de l'agriculture. De plus, de nombreuses grèves de moindre ampleur ont éclaté pour cause de salaires impayés, contre l’augmentation de la cadence de travail, comme dans le cas du débrayage en cours de 3.000 travailleurs de l'usine d'assemblage automobile de Toyota près de Bangalore, et pour obtenir des équipements de protection individuelle pour les travailleurs du secteur de la santé.

C'est ce qui rend si perfide la politique des staliniens, qui continuent à exercer une influence considérable par leur contrôle des appareils syndicaux CITU et AITUC. Ils font tout leur possible pour lier l'opposition de masse à Modi au Parti du Congrès et aux autres partis d'opposition de droite, et pour empêcher la classe ouvrière d'intervenir dans la crise politique provoquée par l'agitation déterminée des paysans en tant que force indépendante, ralliant les masses rurales derrière elle sur la base d'un programme socialiste contre le gouvernement BJP et le capitalisme indien.

(Article paru en anglais le 27 janvier 2021)

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