Rapport 1776: l’extrême droite américaine tente de profiter de l’occasion offerte par le Projet 1619

Le projet 1619 du New York Times, publié en 2019, était une tentative de réinterpréter l’histoire américaine à travers le prisme de la race et de la lutte raciale. Il condamnait la Révolution américaine comme une lutte des blancs pour préserver l’esclavage contre l’Empire britannique. Il dépeignait comme un raciste Abraham Lincoln qui a signé la Proclamation d’émancipation et a mené le Nord à la victoire dans la guerre de Sécession. Tout au long de l’histoire américaine, selon le projet de 1619, les Noirs se sont battus seuls pour racheter la démocratie.

Le «World Socialist Web Site» a joué un rôle de premier plan dans la réfutation du Projet 1619, en publiant une série complète et détaillée d’essais et d’entretiens avec des historiens de premier plan. Ces essais et entretiens, qui ont déclenché une importante controverse au plan national, ont révélé que le Projet 1619 était une falsification de l’Histoire pour des raisons politiques et un cadeau à Trump et à l’extrême droite.

«En répudiant et en dénigrant la Révolution américaine et la guerre de Sécession, le New York Times a donné une chance à Trump», a averti la WSWS. En effet, il a fallu peu de temps pour que Trump apparaisse devant les caméras de télévision pour répondre au Projet 1619 par des demandes visant à «restaurer l’éducation patriotique». De sa manière typiquement menaçante, Trump a déclaré : «notre jeunesse apprendra à aimer l’Amérique».

Le «Rapport 1776» du gouvernement Trump s’inscrit dans ce contexte, publié à la dernière minute le 18 janvier, Jour de Martin Luther King Jr.

Couverture et table des matières du Rapport 1776

Une commission de 16 membres triés sur le volet a préparé le Rapport 1776. Elle ne comprenait pas un seul historien professionnel. Le président de la commission, Larry P. Arnn, est le président du collège de droite Hillsdale. Arnn a suscité une controverse en 2013 lorsque son collège fut accusé de pratiques d’admission discriminatoires qu’il a décrit ainsi dans un témoignage incendiaire à la législature du Michigan: «nous n’avions pas assez de foncés, je suppose que c’est ce qu’ils voulaient dire.»

La commission d'Arnn a publié le Rapport 1776 moins de deux semaines après que Trump et des sections du Parti républicain eussent tenté de renverser le résultat de l’élection présidentielle par un coup d'État violent, et deux jours avant l'investiture du nouveau président, Joe Biden, le 20 janvier. Comme on pouvait s'y attendre, l'administration Biden l'a rapidement annulé.

Le Rapport 1776 commence par ce qui est le plus faible dans le Projet 1619 – à savoir l’importance historique de la Révolution américaine et de la Guerre de sécession. Il poursuit avec les sujets préférés et les cibles haïes de la droite: armes à feu, famille, prière, Dieu et Loi et ordre d’une part, et d’autre part multiculturalisme, Hollywood, universités et éducation publique,.

Le document fait référence aux principes de base de la Révolution américaine, dont l’«égalité» (que les auteurs s’empressent de «nuancer»). Mais il insiste pour dire que «le principe n’est qu’un» des facteurs «liant le peuple américain», ce qui est «insuffisant en soi».

Les auteurs invoquent un passage mineur écrit par le révolutionnaire américain John Jay (1745-1829) dans les Federalist Papers. Ce texte décrit les révolutionnaires américains comme: «un peuple qui descend des mêmes ancêtres, qui parle la même langue, qui professe la même religion, qui s’attache aux mêmes principes de gouvernement, qui est très semblable dans ses manières et coutumes…». Les auteurs insistent pour déduire de ce passage qu’«un peuple républicain doit partager un grand nombre de points communs en fait de manières, de coutumes, de langue et de dévouement au bien commun».

Cette insistance fasciste en essence qui prône la nécessité d’une homogénéité culturelle et linguistique, apparaît sans surprise sous les auspices du gouvernement qui est aussi à l’origine de la tristement célèbre «interdiction des musulmans» et de l’abus délibéré des enfants de réfugiés en les séparant de leurs parents. Dans cette tentative minable de trouver dans la Révolution américaine une justification historique et théorique à de telles politiques, on sent la puanteur des aides fascistes de Trump comme Stephen Miller, Jared Kushner et Stephen Bannon.

À partir de là, le document cherche à chaque fois à inscrire la religion dans le récit historique des États-Unis. Les mots «Dieu» et «christianisme» apparaissent à maintes reprises. Contrairement à Thomas Jefferson, qui insistait sur un «mur de séparation» entre l’Église et l’État, les auteurs du Rapport 1776 insistent pour dire que «la foi religieuse est indispensable au succès du gouvernement républicain».

Passant brusquement à l’histoire américaine après la Guerre de sécession, le Rapport du gouvernement Trump devient ce que l’on ne peut que qualifier de dérangé. Les auteurs assimilent le progressisme, associé à l’ère des réformes de 1896 à 1916, au fascisme, au communisme et à l’esclavage comme «des défis aux principes de l’Amérique».

Selon le Rapport 1776, les réformes de l’ère progressiste ont créé un «gouvernement fantôme» de régulateurs bureaucratiques qui «fonctionne aujourd’hui largement sans freins ni contrepoids». Les progressistes, selon le Rapport, étaient comme le dictateur fasciste Benito Mussolini, car ils cherchaient à «centraliser le pouvoir sous la direction de prétendus experts».

L’implication de ce récit historique torturé est une demande d’inversion totale de plus d’un siècle de réformes nationales. C’est-à-dire, un retour à des heures de travail illimitées, une tyrannie incontrôlée sur le lieu de travail et au système de laissez-faire ayant échoué d’une domination sans frein de la classe capitaliste, qui a prévalu jusqu’au krach boursier de 1929.

L’un des cas les plus significatifs et les plus représentatifs de l’ère progressiste a été l’Affaire Lochner contre New York, jugée par la Cour suprême en 1905. Il concernait une tentative de l’État de New York de limiter la semaine de travail des employés de boulangerie à 60 heures – une tentative à laquelle les auteurs du Rapport 1776 se seraient probablement opposés.

Dans son rejet explicite du «progressisme», celui-ci donne un aperçu des idées qui circulent actuellement dans les milieux d’extrême droite et libertaires en Amérique. Parlant au nom des intérêts des sections les plus rapaces de l’oligarchie financière, ceux qui dénoncent le «progressisme» considèrent toute tentative d’atténuer ou de limiter le pouvoir des milliardaires comme une «ingérence» inadmissible du gouvernement dans le fonctionnement du «libre» marché .

Le document est plein de contradictions. Après avoir dénoncé la théorie des progressistes d’une Constitution «vivante» – selon laquelle chaque nouvelle génération peut découvrir dans les principes essentiels des documents fondateurs de nouvelles implications pour les droits démocratiques – les auteurs prétendent se poser en défenseurs de l’héritage du mouvement des droits civils. Malgré que les réformes mises en œuvre procédaient d’un cadre juridique que les mêmes auteurs avaient assimilé à Mussolini quelques pages auparavant.

Les auteurs du Rapport 1776 opposent les demandes de préférence raciale, maintenant mises en avant par les praticiens de la politique identitaire, aux revendications universelles d’égalité que Martin Luther King Jr. avait avancées durant les luttes des droits civils dans les années 1960. Mais dans le Rapport 1776, ce contraste n’apparaît que comme un point de discussion vide de sens. Car, les auteurs n’ont aucune explication cohérente de pourquoi les luttes pour les droits civils étaient nécessaires.

En effet, le gouvernement Trump se tenait dans la tradition de toutes les forces de la société américaine ayant résisté à la lutte pour démanteler le système d’apartheid racial des États du Sud. Aussi grotesque est-il de voir le gouvernement Trump vouloir se draper dans le manteau des luttes pour les droits civils, le long glissement vers la droite de ce qui reste de l’establishment des «droits civils» a rendu possible cet état de fait, illustré par le Projet 1619 même.

À partir de ce récit bizarre de l’histoire américaine au XXe siècle, le Rapport 1776 s’enfonce dans un anticommunisme hystérique. Il assimile le socialisme et le communisme à l’esclavage et au fascisme. Après une tirade comportant des citations de Ronald Reagan, le document conclut sans détour que les théories qui sous-tendent le fascisme et le communisme «échouent» parce qu’elles «nient l’existence de Dieu».

Le document se termine par une diatribe intitulée «renouveau national», où les auteurs soulignent l’importance de la famille, de la prière, de la religion et de la possession d’armes à feu. Il présente ensuite des arguments en faveur de la purge des écoles, des universités et de l’élimination des sentiments antipatriotiques à Hollywood, sur le modèle de Campus Watch.

Tout cela a une teinte nettement fasciste. Il fallait apprendre aux Américains à parler de l’Amérique avec «respect et amour», menace le rapport, et il fallait «tenir tête» à ceux qui «nient sa grandeur». Les écoles doivent être purgées de «tout programme» ou théories «rabaissant l’héritage de l’Amérique, déshonorant nos héros ou niant nos principes». Compte tenu de la façon dont on a défini les «principes» de l’Amérique dans les pages précédentes, cela revient à exiger la purge de tous ceux qui sont en désaccord avec Trump et les républicains.

Le dernier passage du document comporte une harangue animée en faveur du «respect des lois» – et qui paraît presque comique dans son contexte, publié qu’il fut à la suite d’une tentative violente de Trump pour renverser le résultats de l’élection présidentielle.

En effet, au moment même où le Rapport 1776 était mis en ligne sur un site web gouvernemental, Trump lui-même signait une avalanche de grâces de dernière minute en faveur de criminels condamnés ayant servi d’alliés politiques ou de pions à son organisation familiale de type mafieux.

L’historien James McPherson, interviewé par le «World Socialist Web Site» au sujet du Projet 1619 a fait ce commentaire dans le journal étudiant de Princeton: «Bien que je pense que le Projet 1619 ait des problèmes, néanmoins le contrer à la façon du Rapport 1776 – il exaltait une idée ou une approche de l’histoire américaine, à savoir qu’il s’agit d’une histoire triomphante – n’est pas la réponse aux défauts du Projet 1619».

En dernière analyse, le Rapport 1776 ne peut être considéré que comme une tentative précipitée du gouvernement Trump de tirer profit du naufrage du Projet 1619 et de revendiquer l’héritage des deux révolutions américaines pour son propre type de nationalisme fasciste «Amérique d’abord» (America First).

Mais même en tant que tel, c’est un faible effort. Le Rapport 1776 complet, sans les annexes, ne fait que vingt pages. On a coupé-collé environ un quart du texte à partir d’autres sources, selon une analyse publiée dans le magazine Politico.

C’est un fait remarquable – vu toutes les bibliothèques et musées à sa disposition, vu les ressources et les subventions illimitées, les légions d’employés fédéraux à sa disposition, et vu tous les documents originaux dans les archives et les vitrines –que ce piratage fasciste de vingt pages fut tout ce que le gouvernement américain a pu rassembler pour défendre l’héritage de la Révolution américaine et de la Guerre civile.

Ce n'est pas là un accident mais l'expression de la complète faillite historique et politique d’une droite américaine de plus en plus ouvertement fasciste, qui s'est maintenant rassemblée avec insolence autour de Trump, même après le coup d'État manqué du 6 janvier. Il suffit de comparer le Rapport 1776 à la critique dévastatrice du Projet 1619 depuis la gauche, développée par le 'World Socialist Web Site' au cours de l'année et demie précédente.

Les auteurs du Projet 1619 et ceux du Rapport 1776 ont plus de choses en commun qu’ils ne veulent bien l’admettre. Ils remplacent tous deux la lutte des classes dans l’Histoire par divers types de mythes nationalistes – dans le premier cas le nationalisme noir de droite, et dans le second le nationalisme d’extrême-droite de «l’Amérique d’abord». Tous deux falsifient l’histoire révolutionnaire de l’Amérique au service des besoins politiques actuels des factions de la classe dirigeante: le Projet 1619 pour le Parti démocrate et ses satellites, le Rapport 1776 pour Trump et les républicains. Ni le Projet 1619 ni le Rapport 1776 ne peuvent dire grand-chose de l’histoire réelle des États-Unis – et encore moins articuler de façon cohérente l’héritage démocratique de la Révolution américaine et de la Guerre de sécession.

Les mots de Léon Trotsky dans Résultats et Perspectives s’appliquent à ces deux efforts: «La bourgeoisie a honteusement trahi toutes les traditions de sa jeunesse historique, et ses mercenaires actuels déshonorent les tombeaux de ses ancêtres et narguent les cendres de leurs idéaux.»

C’est avant tout le «World Socialist Web Site», l’organe du mouvement trotskyste international, qui a su articuler et fournir un point de ralliement pour la défense de ce qui était historiquement progressiste dans l’histoire américaine. En effet, la lutte pour défendre les acquis progressistes du passé est indissociable de la lutte internationale pour faire avancer la cause du socialisme aujourd’hui.

(Article paru d’abord en anglais le 30 janvier 2021)

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