L'armée prend le pouvoir au Myanmar

L’armée du Myanmar, également connue sous le nom de Tatmadaw, a pris le contrôle du pays par un coup d’État lundi et a arrêté les principaux dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), au pouvoir, dont Aung San Suu Kyi. L’état d’urgence a été déclaré pour un an, conférant des pouvoirs étendus aux forces armées. Le commandant en chef des forces armées, le général Min Aung Hlaing, a pris le pouvoir.

Les militaires ont pris la direction des médias et des télécommunications. Des rapports du centre commercial de Yangon et d’autres villes ont indiqué que les services de quatre des sociétés de télécommunications du pays avaient été coupés, ainsi que certains services Internet. Les émissions de télévision ont été limitées à la chaîne de télévision Myawaddy des militaires. Les troupes et les véhicules blindés étaient déjà dans les rues.

La dirigeante du Myanmar, Aung San Suu Kyi, s’adresse à la Cour internationale de justice de La Haye, aux Pays-Bas, le mercredi 11 décembre 2019 (AP Photo/Peter Dejong)

Des irrégularités présumées lors des élections nationales du 8 novembre – lors desquelles la NLD a remporté 83 pour cent des voix et 396 des 476 sièges des chambres basse et haute du Parlement – ont servi de prétexte au coup d’État.. Le parti Union Solidarité et Développement, soutenu par l’armée, n’a remporté que 33 sièges. Le nouveau parlement devait se réunir lundi.

Les militaires ont refusé de reconnaître le résultat des élections et à la mi-janvier ont affirmé que plus de 90.000 cas de fraude électorale avaient eu lieu. Aucune preuve n’a été fournie publiquement. La semaine dernière, le porte-parole de l’armée, le général Zaw Min Tun, a mis en garde contre un coup d’État si les allégations étaient ignorées. Jeudi dernier, la commission électorale a rejeté les allégations d’irrégularités. Les observateurs internationaux ont aussi largement rejeté les allégations.

Vendredi dernier, les États-Unis et leurs alliés, dont la Grande-Bretagne, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ont publié une déclaration visant l’armée du Myanmar pour la dissuader de la perspective d’un coup d’État. En réponse samedi, son commandant en chef, Min Aung Hlaing, n’a pas nié que l’armée préparait un coup d’État, mais a déclaré qu’elle respecterait la constitution.

Un porte-parole de l’armée a insisté lundi sur les «énormes divergences» et la «terrible fraude» dans les résultats des élections, que la commission électorale du pays n’avait «pas réussi à régler». L’armée a invoqué l’article 417 de la constitution, qui permet de déclarer l’état d’urgence dans des conditions qui menacent de «désintégrer l’union ou de désintégrer la solidarité nationale». Elle a déclaré que de nouvelles élections seraient organisées, mais n’a fourni aucun calendrier.

La junte militaire précédente a élaboré la constitution de 2008 pour s’assurer qu’elle continue à détenir les principaux leviers du pouvoir. Un quart des sièges des deux chambres parlementaires sont réservés aux militaires, ce qui lui permet de bloquer tout amendement constitutionnel. Les militaires restent également maîtres de puissants ministères, notamment ceux de la défense et des affaires intérieures, qui sont donc exclus de tout contrôle civil.

Suu Kyi, qui a été libérée de son assignation à résidence en 2010, et sa NLD ont accepté cette mascarade démocratique qui s’inscrit dans le cadre d’un changement d’orientation de l’armée, de la Chine vers les États-Unis. La NLD représente des sections de la classe dirigeante du pays qui considèrent la domination de l’armée comme une barrière à leurs intérêts commerciaux. Ils se sont tournés vers l’Occident pour obtenir son soutien. Le gouvernement Obama considérait le virage du Myanmar vers Washington comme l’un des succès de son «pivot vers l’Asie» contre la Chine. Washington a mis fin au statut de paria du Myanmar, a abandonné les sanctions économiques et a proclamé que le pays était une «démocratie en développement».

La NLD a remporté les élections de 2016 et a formé un gouvernement. Suu Kyi, la soi-disant «icône de la démocratie», est devenue l’ambassadrice itinérante de ce qui était en fait un régime soutenu par l’armée. Elle recherchait des investissements étrangers et elle défendait l’armée contre les accusations de violations flagrantes des droits de l’homme, tandis que celle-ci menait ses opérations meurtrières contre la minorité musulmane Rohingya qui ont poussé des centaines de milliers de personnes à fuir le pays.

Le virage vers des formes autoritaires de gouvernement sur le plan international a sans aucun doute conditionné la décision des militaires, dans le contexte de l’aggravation de la crise du capitalisme déclenchée par la pandémie de COVID-19 – notamment aux États-Unis. Il est significatif que l’armée du Myanmar ait suivi le plan de Trump, qui, sur la base de mensonges concernant la fraude électorale et une «élection volée», a fomenté un coup d’État fasciste en prenant d’assaut le Capitole le 6 janvier.

Le Myanmar est confronté à une crise économique et sociale qui s’aggrave en raison de la multiplication des cas de COVID-19 depuis la mi-août. Entre fin mars et début août, le Myanmar n’a enregistré que 360 cas et six décès. Cependant, ces chiffres ont augmenté de façon spectaculaire pour atteindre le niveau actuel de 140.000 cas et plus de 3.000 décès, mettant à rude épreuve le système de santé limité du pays. La croissance économique pour l’exercice 2019-20 (qui débute le 1er octobre) devrait être de 3,2 pour cent, soit une forte baisse par rapport aux 6,8 pour cent de l’année précédente. La croissance pour 2020-21 ne devrait être que de 0,5 pour cent.

Les confinements ont contribué à des pertes d’emplois importantes et à une augmentation spectaculaire de la pauvreté. L’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires a réalisé un sondage en septembre dernier qui a trouvé que 59 pour cent des 1.000 ménages interrogés dans la zone urbaine de Yangon et 66 pour cent des 1.000 ménages interrogés dans la zone rurale sèche du pays gagnaient moins de 1,90 dollar par jour – un chiffre qui est utilisé couramment pour mesurer l’extrême pauvreté. Seuls 16 pour cent des personnes interrogées lors d’une enquête similaire en janvier 2020 étaient dans une situation d’extrême pauvreté.

«Ce niveau de pauvreté pose des risques énormes d’insécurité alimentaire et de malnutrition», a commenté Derek Headey, auteur principal de l’étude. «Bien que nécessaires pour maitriser le virus, les périodes de confinement ont eu des conséquences désastreuses sur la pauvreté et doivent s’accompagner de transferts d’argent liquide plus importants et mieux ciblés si le Myanmar veut réussir à contenir la destruction économique de la deuxième vague de COVID-19». Depuis cette enquête de septembre, la situation des pauvres des villes et des campagnes s’est sans aucun doute aggravée, alimentant de vives tensions sociales.

Dans ses commentaires aux médias sur le coup d’État, l’historien du Myanmar Thant Myint-U a mis en garde: «Les portes viennent de s’ouvrir sur un avenir différent, presque certainement plus sombre. Le Myanmar est un pays déjà en guerre contre lui-même, inondé d’armes, avec des millions de personnes à peine capables de se nourrir, profondément divisé selon des lignes religieuses et ethniques… Je ne suis pas sûr que quiconque sera en mesure de maitriser la suite des événements».

Le nouveau gouvernement Biden avait auparavant signalé une ligne dure envers le Myanmar. Lors de son audition de confirmation au Congrès, le nouveau secrétaire d’État Antony Blinken a déclaré qu’il superviserait une étude interagences pour déterminer si les atrocités commises par le Myanmar contre les Rohingyas constituaient un génocide. Les principaux généraux du Myanmar, dont Min Aung Hlaing, font déjà face à des audiences à la Cour internationale de justice de La Haye, qui ont commencé l’année dernière, pour leurs violations des droits de l’homme.

En réponse au coup d’État de lundi, Biden a invoqué la possibilité de la réimposition de sanctions sur le Myanmar. «Les États-Unis ont levé les sanctions sur la Birmanie au cours de la dernière décennie en se basant sur les progrès réalisés vers la démocratie», a-t-il déclaré, en invoquant le nom traditionnel du Myanmar. «L’inversion de ces progrès nécessitera une révision immédiate de nos lois et autorités en matière de sanctions, suivie d’une action appropriée».

Comme Obama, Biden n’est pas motivé par un intérêt réel pour la défense des droits de l’homme. Les États-Unis sont plutôt motivés par une inquiétude renouvelée face à l’influence croissante de la Chine. L’incapacité du Myanmar à attirer d’importants investissements étrangers ainsi que les critiques internationales croissantes concernant le traitement des Rohingyas ont contraint Suu Kyi, son gouvernement et l’armée à se tourner de plus en plus vers Pékin pour obtenir une aide financière et diplomatique.

La dépendance du Myanmar vis-à-vis de Pékin s’est accrue avec le début de la pandémie de COVID-19, notamment pour la fourniture gratuite de vaccins mis au point en Chine. Le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, s’est rendu au Myanmar le mois dernier pour discuter d’une collaboration plus étroite dans le cadre de son initiative de «la nouvelle route de la soie». Cette initiative comprend des voies de transport stratégiques et des oléoducs qui traversent le Myanmar pour atteindre le sud de la Chine. Pour Pékin, une alternative aux voies maritimes contrôlées par les États-Unis à travers le détroit de Malacca est vitale pour assurer l’approvisionnement en énergie et en matières premières, tandis que les tensions avec Washington continuent de s’accroître.

La réponse de la Chine au coup d’État est définitivement modérée. Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Wang Wenbin, a seulement déclaré: «Nous espérons que toutes les parties au Myanmar pourront régler leurs différends de manière appropriée dans le cadre de la constitution et du droit et préserver la stabilité politique et sociale».

La perspective d’une nouvelle offensive pour les «droits de l’homme» et de sanctions économiques par l’impérialisme américain et ses alliés aurait pu être un facteur important pour inciter les militaires du Myanmar à prendre le pouvoir directement, plutôt que de compter sur le soutien potentiellement peu fiable de Suu Kyi et de la NLD. Suu Kyi a maintenant appelé à des protestations contre le coup d’État. Malgré son image très ternie de symbole de la démocratie, elle se tournera sans aucun doute vers Washington pour obtenir son soutien.

(Article paru en anglais le 2 février 2021)

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