Appel à la grève générale contre la junte militaire au Myanmar

Alors que les protestations contre le coup d’État militaire du 1er février se multiplient au Myanmar, des appels à la grève générale ont été lancés contre la junte. Les manifestations du week-end qui ont réuni des dizaines de milliers de personnes dans tout le pays se sont poursuivies lundi malgré l’utilisation de la force physique par la police et les menaces de violence par les militaires.

Lundi, le journal Myanmar Now a cité l’activiste de l’opposition Ei Thinzar Maung qui a exhorté les employés du gouvernement à arrêter le travail dans le but de «détruire la dictature militaire».

Foule de manifestants remplissant une rue et un pont lors d’une manifestation à Mandalay, au Myanmar, le lundi 8 février 2021. (AP Photo)

Aye Misan, infirmière dans un hôpital gouvernemental, a déclaré à Reuters: «Nous, travailleurs de la santé, menons cette campagne pour exhorter tous les fonctionnaires à arrêter le travail. Notre message au public est que nous voulons abolir ce régime militaire et que nous devons nous battre pour notre destin.»

Les travailleurs qui se sont absentés lundi semblent l’avoir fait sur une base individuelle et être principalement des employés du gouvernement et des professionnels. Comme un médecin l’a déclaré à la BBC: «Aujourd’hui, nous, les professionnels – en particulier les professionnels du secteur public tels que les médecins, les ingénieurs et les enseignants – sommes venus montrer que nous sommes tous ensemble dans cette cause. Notre objectif est le même: faire tomber la dictature.»

Toutefois des travailleurs de l’industrie se sont aussi joints aux protestations. «C’est un jour de travail, mais nous n’allons pas travailler même si cela signifie que notre salaire sera moindre», a déclaré à l’AFP un manifestant, Hnin Thazin, 28 ans, ouvrier dans une usine de confection.

Une manifestation importante d’environ 1000 personnes a eu lieu lundi à Naypyitaw, la capitale du pays, qui est en fait une ville artificielle qui a été créée par les militaires pour servir de bastion contre l’agitation sociale et qui est essentiellement dominée par les bureaux du gouvernement. La police a utilisé des canons à eau contre les manifestants pour tenter de disperser le rassemblement sur l’autoroute menant à la capitale.

Selon un reportage de l’Australian Associated Press: «Selon les médias et une vidéo en direct des événements, trois rangs de policiers en tenue antiémeutes se tenaient au bord de la route. Les manifestants scandaient des slogans anti-coup d’État et disaient à la police qu’elle devait servir le peuple et non l’armée. La police a placé un panneau sur la route annonçant que des balles réelles seraient utilisées si les manifestants franchissaient le troisième rang de policiers.»

Naypyidaw serait le lieu où sont détenus les hauts dirigeants civils enlevés par les militaires lors du coup d’État, dont Aung San Suu Kyi et le président Win Myint.

Dans la plus grande ville et ancienne capitale du Myanmar, Yangon, une note interne destinée au personnel des Nations Unies estime que quelque 60.000 personnes sont descendues dans la rue pour demander la libération des prisonniers politiques et la fin de la dictature militaire. Des infirmières, des enseignants, des fonctionnaires et des moines ont rejoint les rassemblements avec des pancartes arborant des slogans tels que «Non à la dictature» et «Nous voulons la démocratie». Sur une autre pancarte, on pouvait lire: «Libérez nos dirigeants, respectez nos votes, à bas le coup d’État militaire!»

Le coup d’État militaire a été mené sous prétexte d’allégations d’irrégularités électorales lors des élections nationales de novembre dernier. La Ligue nationale pour la démocratie (LND) de Suu Kyi a remporté ces élections avec une majorité écrasante, recueillant 83 % des voix et obtenant 396 des 476 sièges des chambres haute et basse du Parlement. Le parti Union Solidarité et Développement, soutenu par l’armée, n’a remporté que 33 sièges.

Dans la semaine qui a précédé le coup d’État, les militaires ont contesté les résultats devant la commission électorale du pays, qui a rejeté les allégations de fraude électorale. Le Parlement devait se réunir pour la première fois le 1er février, jour même où les militaires se sont emparés du pouvoir, ont installé le commandant en chef, le général Min Aung Hlaing, à la tête du pays, déclaré l’état d’urgence et arrêté les principaux dirigeants de la LND.

Selon l’organisation birmane Assistance Association for Political Prisoners (Association d’assistance aux prisonniers politiques), 165 personnes, pour la plupart des politiciens, sont détenues depuis le 1er février, dont 13 seulement ont été libérées. Un économiste australien, Sean Turnell, qui conseillait le gouvernement dirigé par la LND, compte parmi les détenus.

Des manifestations ont eu lieu dans la deuxième plus grande ville du pays, Mandalay, ainsi que dans plusieurs autres villes et villages. Des milliers de personnes auraient défilé dans la ville de Dawei, dans le sud, et à Myitkyina, la capitale de l’État de Kachin, dans le nord. Dans la ville de Myawaddy, à la frontière orientale du Myanmar avec la Thaïlande, la police a tiré en l’air pour tenter de disperser une manifestation.

À Yangon, Kyaw, 58 ans, un petit commerçant cité par le Guardian, a appelé à la fin du coup d’État. «Il y a tellement de jeunes gens instruits ici, c’est une révolution de la nouvelle génération», a-t-il déclaré. Il avait lui-même participé au soulèvement de 1988 contre la dictature militaire qui a impliqué non seulement des protestations de masse mais aussi un énorme mouvement de grève de la classe ouvrière.

L’Armée se prépare à une nouvelle répression. Dans une déclaration lundi sur la chaîne publique MRTV, l’Armée a soutenu qu’il y avait eu des violations de la loi et des menaces de recours à la force par des groupes «utilisant l’excuse de la démocratie et des droits de l’homme». Elle a averti qu’elle sévirait contre des actions non spécifiées telles «des infractions qui perturbent, empêchent et détruisent la stabilité de l’État, la sécurité publique et l’État de droit». Dans les régions de Yangon et de Mandalay, la junte a imposé un couvre-feu et interdit tout rassemblement de plus de cinq personnes.

Aujourd’hui, comme en 1988, l’intervention de la classe ouvrière est essentielle à la lutte pour les droits démocratiques au Myanmar. Il est cependant essentiel qu’un tel mouvement tire les leçons politiques nécessaires des événements de 1988, qui se sont terminés par une répression sanglante lorsque les troupes ont tué des milliers de personnes.

Le mouvement de grève de 1988 a certes mis les militaires à genoux, mais il s’est fié à l’opposition bourgeoise dirigée par Suu Kyi. Celle-ci tout aussi terrifiée par la classe ouvrière que par les militaires, a vite demandé aux manifestants de mettre fin à leurs protestations en échange de fausses promesses que des élections auraient lieu en 1990. L’intervention de Suu Kyi a donné à l’Armée l’occasion de se ressaisir et de retourner ses armes contre les travailleurs. Une fois la situation stabilisée, la junte a tout simplement ignoré sa promesse d’organiser des élections et a assigné Suu Kyi à résidence.

Deux décennies plus tard, l’Armée s’est à nouveau tournée vers Suu Kyi pour tenter de rétablir les relations avec les États-Unis et ses alliés. Elle l’a libérée de son assignation à résidence en 2010 et a autorisé des élections restreintes en vertu d’une nouvelle constitution, ouvrant ainsi la voie à un assouplissement des sanctions et à la visite du président américain Barack Obama au Myanmar en 2016. Suu Kyi et la LND ont même été autorisées à former un gouvernement après avoir remporté les élections de 2016.

Cependant, les principaux leviers du pouvoir sont restés entre les mains des forces armées. Au cours des cinq dernières années, Suu Kyi a collaboré étroitement avec les militaires, en faisant le tour du monde pour encourager les investissements étrangers et en faisant l’apologie des atrocités commises contre la minorité musulmane Rohingya. Tout comme les militaires, son parti, la LND, est profondément imprégné de chauvinisme anti-Rohingya, qu’elle décrit comme des «immigrants illégaux» pour justifier leur privation totale de droits civils.

La LND représente des couches de la classe capitaliste qui sont hostiles à la domination politique et économique des militaires, mais qui craignent tout autant les troubles sociaux, en particulier ceux provenant de la classe ouvrière. Comme elle l’a déjà fait auparavant, Suu Kyi va chercher à exploiter le mouvement de protestation contre la junte pour conclure un nouveau pacte avec l’Armée aux dépens des travailleurs.

Les travailleurs ne peuvent défendre leurs droits démocratiques et sociaux qu’en rompant politiquement avec Suu Kyi et la LND, et en luttant pour leurs propres intérêts de classe indépendants sur la base d’une perspective internationaliste et socialiste.

(Article paru en anglais le 9 février 2021)

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