Perspectives

Deuxième jour du procès de mise en accusation de Trump

Les démocrates cherchent à blanchir le rôle du Parti républicain dans le coup d’État du 6 janvier

Lors de la première journée complète de plaidoirie au procès de Donald Trump au Sénat, les responsables de la mise en accusation à la Chambre des représentants ont présenté des preuves irréfutables et explicites du rôle central joué par l’ancien président dans la préparation et l’organisation du coup d’État politique du 6 janvier. Trump est démasqué en tant que criminel politique qui a causé la mort de cinq personnes ce jour-là, et a presque réussi à déclencher un bain de sang beaucoup plus important.

La présentation a documenté en détail l’affaire, exposée en termes généraux la veille: Trump a semé des doutes sur la légitimité de l’élection avant qu’elle prenne place, puis il a nié les résultats après que le décompte des voix a attribué de manière décisive la victoire à Biden, et il a finalement visé le 6 janvier – date du décompte officiel des voix du Collège électoral par le Congrès – comme sa dernière chance de s’accrocher au pouvoir.

Le sénateur Mitt Romney, républicain de l’Utah, est accompagné de son équipe et de journalistes qui le suivent pendant une pause dîner alors que les débats se poursuivent dans le procès de destitution de l’ancien président Donald Trump, au Capitole de Washington, le mercredi 10 février 2021. (AP Photo/J. Scott Applewhite)

Une vidéo inédite montre le vice-président Mike Pence et toute sa famille sortir d’une cachette dans le Capitole, escortés par des agents des services secrets pour s’échapper; le sénateur Mitt Romney qui est dirigé par un policier du Capitole pour qu’il fuie avant l’arrivée des insurgés; et le sénateur Chuck Schumer qui fait hâtivement marche arrière, avec son équipe de sécurité, pour éviter une attaque. Les responsables de la Chambre ont fait écouter une cassette audio des employés effrayés de la Présidente de la Chambre, Nancy Pelosi, chuchotant dans un téléphone portable alors qu’ils étaient cachés sous une table dans une salle de conférence fermée à clé, la foule déchaînée tout juste à l’extérieur.

La masse de détails pénibles, aujourd’hui vus par des millions de personnes, alors que les réseaux d’information télévisée et câblée assurent une couverture ininterrompue, aura sans aucun doute un impact sur l’opinion publique. Mais le cadre politique dans lequel ces preuves sont présentées est d’une importance décisive. Tel que développé par les démocrates de la Chambre, et renforcé par les médias bourgeois, il masque entièrement le caractère essentiel des événements du 6 janvier.

Pour les démocrates, le 6 janvier était un effort purement personnel de Donald Trump pour empêcher le décompte des votes électoraux qui scellerait sa défaite à l’élection présidentielle. Il a organisé le rassemblement de ses partisans devant la Maison-Blanche. Il les a incités à marcher sur le Congrès et à «se battre» pour sa victoire. Puis, il s’est assis et a regardé avec approbation l’entrée en force au Capitole et l’arrêt du décompte des voix électorales. L’entière responsabilité des événements de cette journée repose sur Trump et seulement Trump.

Les démocrates n’abordent pas le 6 janvier comme un événement politique. Le Parti républicain en tant qu’institution n’y figure pas et les démocrates le traitent comme une victime à part entière, au même titre qu’eux-mêmes.

Les démocrates n’ont rien dit des membres du Congrès et des sénateurs républicains, plus de 150 en tout, qui ont voté – quelques heures seulement après les événements au Capitole – pour suivre l’exemple de Trump et rejeter les votes électoraux des États remportés par Biden. Ils auraient été parfaitement en droit d’exiger l’exclusion des sénateurs Ted Cruz et Josh Hawley du jury du Sénat au motif qu’ils sont complices et co-conspirateurs de Trump. Et qu’en est-il du sénateur Tommy Tuberville? Trump l’a appelé dans l’après-midi du 6 janvier pour discuter de la possibilité de retarder encore la certification, au moment même où la foule était à l’intérieur du Capitole et cherchait à bloquer la certification.

La grande majorité des républicains, tant à la Chambre qu'au Sénat, ont défendu le refus de Trump de concéder l'élection, même après que le dépouillement des votes ait été achevé et que toutes les contestations juridiques des résultats aient été réglées. Ils ont donné une légitimité à ses fausses affirmations d'une élection volée, et ont ainsi contribué à alimenter la campagne qui a produit les événements du 6 janvier.

L’affaire telle qu’elle est présentée par les dirigeants démocrates se réduit à un pathétique appel moral, adressé aux républicains du Sénat, les exhortant à condamner Trump et à lui retirer la possibilité de se présenter à nouveau à la présidence en 2024. Même si cet appel devait aboutir, l’exclusion de Trump d’une future campagne est un problème mineur comparé à l’émergence d’une puissante tendance fasciste dans la politique américaine, qui domine désormais le Parti républicain.

Les démocrates savent très bien que si le coup d’État avait réussi, Trump se serait appuyé sur la crise pour rester indéfiniment au pouvoir et instaurer une dictature présidentielle. Le Parti républicain aurait approuvé un tel résultat, indépendamment de la volonté des électeurs qui ont rejeté de manière décisive la candidature de Trump à la réélection.

Les démocrates évitent toutes ces questions. Même le langage qu’ils utilisent est révélateur. Ils ne qualifient jamais le coup d’État de coup d’État. L’objectif de faire de Trump un dirigeant autoritaire n’est jamais reconnu. Même le rôle des groupes fascistes en tant que fer de lance de l’offensive – qui ne peut être ignoré étant donné le récit détaillé des actions des Proud Boys, des Oath Keepers et d’autres groupes fascistes – est minimisé. Comme l’a déclaré Jamie Raskin, chef de la mise en accusation, dans son discours d’ouverture mercredi: «Le contenu idéologique qui animait la foule ne fait aucune différence.» En fait, le «contenu idéologique» est d’une importance capitale: Trump cherchait à conserver le pouvoir en mobilisant une foule dirigée par des fascistes, parce qu’il voulait s’imposer comme un dirigeant fasciste.

Les démocrates ont même repris le langage de la foule pro-Trump dans leurs propres présentations, les responsables de la mise en accusation déplorant les uns après les autres le fait que «notre commandant en chef» (Trump) n’ait pas répondu aux appels des membres du Congrès et des sénateurs piégés au Capitole par les insurgés. Trump n’est pas et n’a jamais été le «commandant en chef», point à la ligne.

Ce terme, tel que défini dans la Constitution américaine, établit le rôle des militaires comme étant subordonné à l’autorité civile: le plus haut fonctionnaire civil, le président élu, fait office de «commandant en chef» de l’armée américaine. Le président n’est ni le «commandant en chef» du Congrès ni d’autres élus, au niveau de l’État et au niveau local, et encore moins du peuple américain dans son ensemble. Un tel usage ferait du président un roi ou un souverain absolu. Il servirait en fait à légitimer les affirmations des insurgés du 6 janvier selon lesquelles ils attaquaient le Congrès sur ordre du président, «leur» commandant en chef.

L’effort des démocrates pour blanchir le rôle des co-conspirateurs de Trump s’étend non seulement au Parti républicain, mais aussi aux responsables du pouvoir exécutif, et en particulier aux militaires. Les présentations des responsables de la Chambre ont donné un aperçu presque quotidien des efforts déployés par Trump pour rester au pouvoir au cours des six derniers mois, mais elles ont totalement évité une action en particulier: le licenciement par Trump du secrétaire de la Défense, Mark Esper, qui s’était opposé à la mobilisation des troupes contre la vague de protestations qui a suivi le meurtre de George Floyd par la police en mai dernier, et son remplacement par Christopher Miller, un colonel des forces spéciales à la retraite, et d’autres fidèles de Trump qui se sont trouvés soudainement intégrés au Pentagone au lendemain des élections. C’était une tentative de Trump d’assurer le contrôle des forces armées en cas de crise politique qui aurait été déclenchée par les événements du 6 janvier.

Cette approche à deux visages – condamner Trump tout en blanchissant les républicains – a sapé les présentations les plus efficaces des démocrates de la Chambre. Par exemple, la représentante, Stacey Plaskett, déléguée des îles Vierges, a détaillé le rôle de Trump dans la préparation de la manifestation du 6 janvier, et comment il a lui-même établi la date de la manifestation et son itinéraire de marche vers le Capitole américain. Elle a noté les plans qui circulaient sur Internet pour transformer la marche en une attaque directe du Capitole, dont l’opération médias sociaux de la Maison-Blanche et Trump en personne assuraient le suivi. Elle a cité des messages sur les médias sociaux qui appelaient à la création de la «milice MAGA» et qui déclaraient qu’une «victoire tactique réelle comme la prise d’assaut et l’occupation du Capitole» était nécessaire pour «avoir l’effet que nous voulons».

Mais ce compte-rendu soulève la question suivante: si Trump et la Maison-Blanche surveillaient ces déclarations dans les médias sociaux, le FBI et d’autres agences d’application de la loi et de renseignement ne faisaient-ils pas de même? Étant donné que les préparatifs de l’assaut du Capitole étaient si publics, et même rapportés dans les médias bourgeois, comment est-il possible que rien n’ait été fait pour l’arrêter? Pourquoi la police du Capitole n’était-elle pas préparée? Pourquoi aucune force supplémentaire n’a-t-elle été alertée et déployée pour aider à défendre le Capitole contre la menace d’attaque?

Si le Parti démocrate était réellement engagé dans la défense de la démocratie, le gouvernement Biden serait justifié d’enquêter et de poursuivre Trump, ses complices et facilitateurs républicains au Congrès, et de nombreux responsables de l’appareil de renseignement militaire, ainsi que leurs bailleurs de fonds, pour conspiration criminelle qui visait à renverser la Constitution.

Mais ils ont cherché à faire exactement le contraire. À plusieurs reprises au cours des huit heures de procédure mercredi, l’affaire des démocrates contre Trump a sonné comme une infopub pour le vice-président Mike Pence. Joaquin Castro, responsable de la mise en accusation des démocrates, a déclaré: «Le vice-président… est un homme qui respecte son serment, sa foi, son devoir et surtout son devoir envers la Constitution. Et Mike Pence n’est pas un traître à son pays».

Cet éloge absurde – faite à un conservateur intolérant et fondamentaliste chrétien qui a soutenu Trump dans d’innombrables crimes – vise à faire de Pence l’alternative au sein du Parti républicain à Trump. Ce que les démocrates veulent par-dessus tout, c’est un Parti républicain «responsable» avec lequel ils peuvent collaborer, en leur donnant les moyens de réaliser le programme politique de droite exigé par Wall Street alors qu’il fait face à une opposition sociale croissante qui vient de la base de la société.

Établir la complicité du Parti républicain dans une tentative de coup d’État fasciste le détruirait. Biden a déjà clairement indiqué que sa priorité politique est de maintenir le Parti républicain en tant qu’opposition «forte», en établissant une politique par le biais d’une collaboration «bipartite». Il prétend même ne pas prêter attention au procès du Sénat, bien qu’il soit question de la menace la plus grave pour la démocratie dans l’histoire des États-Unis.

La conduite du procès de destitution par les démocrates exprime les intérêts de classe qu’il représente. En tant que parti de Wall Street et des agences militaires et de renseignement, les démocrates sont opposés à toute réelle mise à nu des forces sociales et politiques derrière le coup d’État du 6 janvier.

Démasquer en détail le rôle de Donald Trump n’est que la première étape d’une enquête sur les événements du 6 janvier. Mais si le Parti démocrate a le dernier mot, ce sera aussi la dernière étape. La classe ouvrière doit s’opposer à un tel camouflage politique d’une menace mortelle et dangereuse pour ses droits démocratiques. Trump visait à instaurer une dictature autoritaire, et il avait de nombreux complices et co-conspirateurs. Chacun d’entre eux doit être démasqué et traduit en justice.

(Article paru en anglais le 11 février 2021)

Loading