Haïti et l’horrible visage de l’impérialisme des «droits de l’homme» de Biden

Le nouveau gouvernement américain du président démocrate Joe Biden a présenté sa politique étrangère comme si elle s’écartait radicalement de celle de Donald Trump, en affirmant que Washington est de retour dans le domaine de la promotion de la démocratie et des droits de l’homme.

Comme l’a dit Biden dans un discours prononcé le 4 février au Département d’État, son objectif est de «rallier les nations du monde pour défendre la démocratie dans le monde, pour repousser l’avancée de l’autoritarisme».

Manifestants à Port-au-Prince (Crédit: Mark Snyder)

Le fait que Washington ne soit pas en mesure de prêcher la «démocratie» à qui que ce soit est apparu très clairement lors de la tentative de coup d’État fasciste du 6 janvier au Capitole américain. En tout cas, cette rhétorique n’est qu’une couverture pour l’impérialisme américain qui poursuit une politique encore plus agressive contre la Chine et la Russie.

Le cynisme et la fraude de ces prétentions «démocratiques» et «anti-autoritaires» trouvent leur expression la plus accablante dans la politique menée par le gouvernement Biden à Haïti, le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental et victime de plus d’un siècle de crimes commis par l’impérialisme américain.

Dans sa «propre cour», le gouvernement Biden soutient un régime autoritaire à Port-au-Prince. Simultanément, en violation flagrante des droits de l’homme, elle renvoie par avion des réfugiés, dont des bébés et des enfants, dans la situation politique violente et dangereuse d’Haïti.

Vendredi dernier, le Département d’État américain a apporté son soutien au gouvernement corrompu et dictatorial du président Jovenel Moïse. Les États-Unis se sont opposés aux manifestations de masse et grèves générales qui contestent sa tentative extra-constitutionnelle de rester au pouvoir.

Moïse a pris ses fonctions en 2017 à la suite d’élections truquées, annonçant à l’époque son affinité personnelle avec Donald Trump en tant que compagnon «entrepreneur». Il a réussi ce que Trump a tenté de faire, à savoir consolider une dictature présidentielle basée sur la violence et la terreur des bandes armées, ce qui permet à Moïse et à ses acolytes de piller l’économie dévastée d’Haïti.

En vertu de la Constitution haïtienne, le mandat de Moïse a pris fin le dimanche 7 février, mais il a refusé de se retirer, revendiquant une nouvelle année au pouvoir au cours de laquelle il entend faire adopter une nouvelle constitution rédigée uniquement par lui-même et ses alliés politiques.

Biden poursuit la politique de Trump en soutenant la marionnette américaine contre l’opposition populaire. L’accession de Moïse à la présidence a été certes organisée par le gouvernement Obama, sous l’égide en particulier de l’ancienne secrétaire d’État Hillary Clinton et de son mari, l’ancien président Bill Clinton, nommé envoyé spécial des Nations unies à Haïti. Ils avaient auparavant appuyé la candidature à la présidence en 2011 du prédécesseur de Moïse, le chanteur de carnaval Michel «Sweet Micky» Martelly, un allié politique des escadrons de la mort de droite. Ces derniers sont l’héritage de la dictature de la famille Duvalier soutenue par les États-Unis, qui a exercé un règne de terreur sur le pays pendant trois décennies.

La principale attraction de ces deux marionnettes de droite était leur soumission à l’impérialisme américain et aux intérêts des secteurs de l’habillement, de l’agroalimentaire, du tourisme et de l’exploitation minière qui s’enrichissent en pillant le pays appauvri.

Le régime de Moïse se caractérise par un renforcement constant de l’emprise dictatoriale sur l’État haïtien. Non seulement a-t-il dissous le Parlement et dirigé par décret depuis plus d’un an, il a également dépouillé les fonctionnaires locaux de leur pouvoir. Il a eu recours à l’assassinat, aux massacres et à la répression de l’État policier contre ses opposants. Des gangs armés dirigés par d’anciens et actuels policiers se sont déchaînés contre des quartiers de la capitale de Port-au-Prince, et ont été envoyés dans les zones rurales pour écraser l’opposition et intimider les travailleurs et la paysannerie pauvre opprimée.

L’opposition populaire s’est développée contre le régime de Moïse, alimentée par son implication personnelle dans un système de corruption qui a vu le vol pur et simple de quelque 4 milliards de dollars d’aide de Petrocaribe, fournie par le Venezuela sous forme de prêts et de pétrole bon marché qui a été revendu sur le marché mondial.

Une fois que les prix du pétrole se sont effondrés et que l’aide s’est tarie, Moïse s’est aligné de façon manifeste sur la campagne de sanctions et de menaces militaires du gouvernement Trump contre le Venezuela. En même temps, son gouvernement a mis en œuvre des mesures d’austérité draconiennes dictées par le FMI qui ont fait grimper le prix du carburant, dévalué la monnaie nationale et aggravé de manière drastique des niveaux de pauvreté déjà intolérables. Cela a conduit à des protestations massives en juillet 2018 pour demander l’éviction de Moïse.

Le 7 février, jour où Moïse devait quitter son poste, le président haïtien a tenu une conférence de presse à l’aéroport de Port-au-Prince, annonçant l’arrestation de 23 personnes, dont un juge de la Cour suprême, sous le prétexte que ces gens étaient impliqués dans une tentative de coup d’État qui incluait son propre assassinat.

Ces arrestations sont la réponse de Moïse à la déclaration du Département d’État vendredi dernier selon laquelle Washington soutenait son refus de démissionner. Le présumé complot a servi de couverture à son propre coup d’État extra-constitutionnel. Il a conclu ses propos, diffusés en temps réel sur Facebook Live, en déclarant, sans conviction, «Je ne suis pas un dictateur».

Mercredi, le régime a intensifié sa répression. Il a attaqué au gaz lacrymogène et par balles une grande manifestation menée par des étudiants à Port-au-Prince, et a pris en cibles des reporters et photographes qui couvraient la manifestation, blessant au moins deux d’entre eux.

Dans sa déclaration, le département d’État a soutenu la tentative de Moïse de rester au pouvoir avec un discours moralisateur qui appelle ce dernier à «faire preuve de retenue dans ses décrets» (alors qu’il gouverne entièrement par décret) et l’encourage à organiser des élections législatives «dès que cela sera techniquement possible».

Bien que les médias américains aient peu parlé des événements d'Haïti, le Washington Post et le New York Times ont publié cette semaine des éditoriaux sur la situation qui affichent une certaine inquiétude, sans doute causée par la crainte que l'hypocrisie «démocratique» de l'impérialisme américain ne soit démasquée.

Le Post a déploré que «les difficultés et la faim chroniques d’Haïti soient depuis longtemps liées à une longue série d’autocrates corrompus qui ont exacerbé l’instabilité du pays», Moïse étant «parmi les pires». On ne devinerait jamais que Washington a eu un rôle à jouer dans l’imposition de ces «autocrates».

Le 7 février, jour où Moïse a prononcé son discours «Je ne suis pas un dictateur» à l’aéroport de Port-au-Prince, c’était le 35e anniversaire de la chute de Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier, qui a fui du même aéroport à bord d’un avion gouvernemental américain pour échapper à une révolte populaire. La dictature des Duvalier – dont l’ascension a suivi la domination de l’armée haïtienne, forgée au cours de 20 ans d’occupation du pays par les Marines américains – a commencé avec l’arrivée au pouvoir de Papa Doc en 1957. Son régime fut responsable du meurtre et de la torture de dizaines de milliers d’Haïtiens aux mains de l’armée et des redoutables Tontons Macoutes. L’impérialisme américain considérait ce régime meurtrier comme un rempart contre le communisme et la révolution dans les Caraïbes.

Après la chute des Duvalier, les gouvernements américains, qu’ils soient démocrates ou républicains, ont cherché à reconstruire un État satellite fiable, capable de défendre les marchés et investissements des entreprises américaines attirées par les salaires de misère, ainsi que les biens de l’élite dirigeante haïtienne. Cela a impliqué le soutien à deux coups d’État militaires sanglants et l’envoi de troupes américaines à Haïti à deux reprises en deux décennies.

Quant au Times, son comité de rédaction a salué la domination de style colonial de Washington sur la nation caraïbéenne, déclarant avec paternalisme que «les Haïtiens ont tendance à se tourner vers leur puissant voisin du nord pour se faire guider en période de troubles». Il a poursuivi en proposant une nouvelle intervention impérialiste, qui verrait les États-Unis se joindre à «une combinaison» de l’OEA, de l’ONU ou de l’Union européenne pour mettre en place un «gouvernement de transition», c’est-à-dire un autre régime fantoche au service de l’impérialisme américain.

Comme si le soutien du gouvernement Biden à l’horrible régime de Port-au-Prince ne suffit pas, il embarque en même temps des déportés haïtiens chaque jour dans des avions nolisés des Services d’immigration et des douanes (ICE). Ces avions partent de la frontière mexicaine pour Haïti. Alors que Biden avait prétendument ordonné un moratoire de 100 jours sur les expulsions et chargé ses Services d’immigration de ne poursuivre que les criminels dangereux, son gouvernement expulse quand même environ 1.800 Haïtiens, y compris des nourrissons et de jeunes enfants. Ils sont envoyés dans un pays en proie à une crise politique profonde, où le meurtre et la criminalité sont monnaie courante. Le but de cette politique cruelle est d’intimider les autres réfugiés et immigrants qui pensent à traverser la frontière américaine.

Le prétexte fourni pour ces expulsions est un statut de santé publique vieux de 77 ans invoqué par le gouvernement Trump en réponse à la pandémie de coronavirus. Les expulsions se mènent cependant dans l’indifférence la plus totale face aux conséquences catastrophiques de la propagation du virus en Haïti, un pays de 11 millions d’habitants avec un total de 126 lits d’unité de soins intensifs, 68 respirateurs et 25 médecins par tranche de 100.000 habitants, soit un dixième du nombre de médecins aux États-Unis.

C’est le vrai et horrible visage de la politique étrangère menée par le gouvernement Biden sous le couvert des «droits de l’homme». Ce n’est pas par hasard qu’elle trouve son expression la plus flagrante dans un pays où Washington a le plus long bilan de crimes impérialistes sanglants.

(Article paru en anglais le 12 février 2021)

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