La tribune de Summers suscite la controverse autour du plan de relance de Biden

Les décideurs démocrates se sont précipités pour défendre le plan de relance de 1,9 milliard de dollars du gouvernement Biden à la suite d’une tribune publiée vendredi dernier dans le Washington Post par le secrétaire au Trésor américain de l’administration Clinton et conseiller en politique économique d’Obama, Lawrence Summers. Dans l’article, Summers a fait part de ses inquiétudes quant au fait que les mesures de relance pourraient déclencher l’inflation.

Summers avait déjà mis en garde contre une stagnation séculaire, un terme inventé pour la première fois dans les années 1930 pour décrire une déflation continue, une croissance faible et un investissement atone. Dans le commentaire du Washington Post de la semaine dernière, il a commencé par exprimer son soutien au programme Biden.

«Son ambition, son rejet de l’orthodoxie d’austérité et son engagement à réduire les inégalités économiques sont tous admirables», a-t-il écrit. Il était d’accord avec le «consensus général» selon lequel il aurait été préférable que l’administration Obama ait proposé un plan de relance plus important au début de 2009.

Mais des mesures audacieuses «doivent être accompagnées d’un examen attentif des risques et de la manière dont ils peuvent être atténués», a-t-il ajouté.

Summers a averti qu’il était possible que «les mesures de relance macroéconomique à une échelle plus proche des niveaux de la Seconde Guerre mondiale que les niveaux normaux de récession déclenchent des pressions inflationnistes d’un type que nous n’avons pas vu depuis une génération, avec des conséquences sur la valeur du dollar et la stabilité financière».

Une deuxième préoccupation était que si le plan de relance est approuvé, le Congrès aura engagé 15 pour cent du PIB, ne laissant aucune place pour les investissements publics «dans tout, allant de l’école maternelle aux énergies renouvelables».

La réponse de la Maison-Blanche Biden a été immédiate. Dans un briefing avec des journalistes vendredi, Jared Bernstein, membre du Conseil des conseillers économiques de Biden, a déclaré que Summers avait «complètement tort» en suggérant que l’administration minimisait les dangers de l’inflation.

La secrétaire au Trésor américain Janet Yellen (Photo: Wikimedia Commons)

Il a dit: «Janet Yellen est notre secrétaire au Trésor, d’accord? Elle connaît un peu les risques inflationnistes et suit ce problème économique depuis belle lurette.»

Il a ajouté que l’administration croyait qu’il était important de «riposter durement» et qu’il y avait un «consensus complet» sur l’ampleur du plan de relance.

Yellen est alors entrée dans la mêlée. Elle a dit s’inquiéter de «tous les risques pour l’économie», mais que le «risque le plus important» était de ne pas s’attaquer à l’impact économique de la pandémie sur les travailleurs.

Elle a reconnu que l’inflation était un «risque que nous devons prendre en considération», mais a ajouté: «J’ai passé de nombreuses années à étudier l’inflation et à m’inquiéter de l’inflation. Et je peux vous dire que nous avons les outils pour faire face à ce risque s’il se concrétise.»

D’autres commentaires du milieu démocrate au sens large ont été virulents. Écrivant dans The American Prospect, l’économiste «de gauche» Robert Kuttner a déclaré qu’il avait conseillé dans un article antérieur de tenir Summers bien à l’écart de l’administration Biden et «heureusement, l’équipe Biden a suivi le conseil».

Il a déclaré que l’article du Washington Post en était la preuve, ajoutant qu’«il a également prouvé à nouveau qu’il était un sale rancunier».

La Nation a apporté de l’eau au moulin mardi avec un article intitulé «Larry Summers vaut toujours la peine d’être ignoré», faisant écho aux dénonciations de lui dans les cercles démocrates. L’auteur a déclaré qu’il était «encourageant» que Biden ait été le premier président démocrate en près de 40 ans à ne pas recourir à ses services.

Cependant, la Nation a noté qu’il y avait encore des démocrates au pouvoir qui respectaient Summers, et a averti que son «alarmisme pouvait être contagieux». Il a cité un reportage de Politico qui déclarait: «Tout le monde dans l’aile ouest [de la Maison-Blanche] lit une tribune de Larry Summers qui circule parmi les conseillers politiques libéraux. Pourquoi? Summers a écrit sur papier ce que de nombreux conseillers libéraux chuchotent depuis des semaines, à savoir que le projet de loi de relance du président Biden est peut-être trop ambitieux.»

L’importance de la controverse ne peut être appréhendée que lorsqu’elle est replacée dans le contexte du boom spéculatif sans précédent des marchés financiers américains et des craintes que la bulle n’éclate, donnant lieu à une crise d’une ampleur beaucoup plus importante et profonde que celle de 2008- 2009.

Les marchés continuent à atteindre des niveaux records, alimentés par l’afflux de billions de dollars de la Réserve fédérale et l’attente que davantage d’argent sera fourni pour racheter les bons du Trésor émis par le gouvernement afin de financer ses mesures de relance.

Chaque jour apporte un nouveau rebondissement à l’orgie de spéculations. Lundi, dans ce qui pourrait être qualifié de spéculation sur les stéroïdes, Elon Musk, le chef de la société Tesla à peine rentable, a annoncé qu’il allait dépenser 1,5 milliard de dollars pour acheter la cryptomonnaie Bitcoin, et qu’il envisageait de l’utiliser comme moyen de paiement.

L’annonce a fait grimper le cours du bitcoin de 15 pour cent à 44.000 dollars, suivie d’une nouvelle hausse mardi qui a vu le prix grimper à près de 50.000 dollars, portant sa hausse totale depuis son plus bas niveau de mars à 1150 pour cent.

Le passage de Tesla au bitcoin est le résultat de spéculations antérieures. Comme l’a noté le Financial Times, l’investissement équivalait à «un recyclage de milliards de dollars que Musk a pu lever auprès des investisseurs boursiers grâce à la flambée des cours de l’action de Tesla», par rapport à la situation d’il y a deux ans lorsqu’elle «a frôlé la faillite» et souffrait d’une «hémorragie d’argent».

Il ne fait aucun doute que des mesures de secours d’urgence sont nécessaires pour atténuer la situation économique désastreuse à laquelle sont confrontées des centaines de millions de travailleurs et pour financer le déploiement de vaccins contre le coronavirus.

Alors que le nombre de morts du COVID-19 continue d’augmenter, que les conditions économiques s’aggravent et que la colère monte dans la classe ouvrière, les démocrates reconnaissent que le fait de ne pas prendre de mesures aura de profondes conséquences politiques.

Mais Summers avertit que les mesures mêmes adoptées pour essayer de créer la stabilité politique entraîneront une instabilité économique, en particulier sur les marchés financiers.

La hausse de l’inflation entraînera des revendications de salaires plus élevés et une intensification de la lutte des classes, ce qui pourrait entraîner un effondrement de la bulle de Wall Street.

En même temps, l’augmentation de l’offre d’obligations d’État, abaissant leur prix et augmentant leur taux d’intérêt, ou rendement (prix et rendement ont une relation inverse), menace de provoquer un effondrement de la bulle spéculative, qui dépend avant tout des taux historiquement bas.

Depuis l’annonce du plan de relance, il y a eu un mouvement à la hausse du taux d’intérêt des bons du Trésor à long terme, dont le marché constitue la base du système financier. Le taux des obligations à 10 ans est passé de 0,92 pour cent en début d’année à 1,16 pour cent, et le taux à 30 ans est passé de 1,65 pour cent à 1,97 pour cent. En avril dernier, les obligations à 10 ans se négociaient avec un rendement de seulement 0,51 pour cent.

En raison de l’augmentation massive de la dette dans l’ensemble de l’économie, une légère hausse des taux suffirait à déclencher une crise. On a estimé qu’une augmentation d’un point de pourcentage aujourd’hui produirait l’effet équivalent d’une augmentation de trois ou quatre points de pourcentage il y a 20 ans.

Comme l’a noté le chroniqueur économique Stephen Bartholomeusz du Sydney Morning Herald: «Compte tenu du “piège de la dette” dans lequel se trouvent les États-Unis, la dette fédérale dépassant déjà 100% du PIB américain et augmentant rapidement… même un changement modeste [des taux d’intérêt] pourrait entraîner une récession et même une autre crise financière». Le piège de la dette qui avait été créé était «d’une telle ampleur» que tenter de s’en échapper «pourrait déclencher quelque chose de pire que l’expérience de 2008».

La controverse sur la tribune de Summers souligne le fait qu’il n’y a aucun moyen de sortir de la crise économique et sociale déclenchée par la pandémie dans le cadre du système économique et financier capitaliste.

La solution ne réside pas dans le recours à la planche à billets à l’infini, comme le préconisent les démocrates de «gauche». Quel que soit le soulagement nécessaire mais à court terme et très limité qu’elle peut apporter, elle ne fait que créer les conditions d’une crise financière.

La seule solution viable et réaliste réside dans la lutte pour un programme socialiste, dans lequel les vastes ressources de l’économie, créées par le travail de la classe ouvrière, sont retirées des mains de l’oligarchie financière et utilisées pour répondre aux besoins humains – d’ordre économique, social et sanitaire – plutôt qu’aux diktats du système de profit.

(Article paru en anglais le 10 février 2021)

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