Perspectives

La couardise démocrate ménage les conspirateurs républicains et permet l’acquittement de Trump

Le Sénat américain a rejeté samedi une condamnation de l’ex-président Donald Trump, le vote de 57 voix pour une culpabilité et 43 contre manquant la majorité requise de 67 voix. L’équipe de défense de Donald Trump avait cessé son argumentation après seulement deux heures et demie vendredi et on avait terminé les questions pour les deux parties samedi.

Michael van der Veen, avocat de l’ex-président Donald Trump, second à partir de la gauche se félicite avec une autre personne dans un transport du Sénat après l’acquittement de Trump à son second procès pour destitution, au Capitole de Washington, samedi 13 février 2021. (AP Photo/Alex Brandon)

La défense de Trump avait insisté sur les arguments avancés tout au long de la procédure. Ses avocats ont affirmé que Trump n’avait fait qu’exercer son droit à la liberté d’expression au titre du Premier amendement, essayant de cacher la nature de son discours au rassemblement tenu juste avant l’insurrection du 6 janvier. Ils ont affirmé qu’en appelant la foule fasciste à «se battre comme des diables» avant l’assaut du Capitole, sa seule intention était d’encourager une protestation pacifique. Le fait que les événements durant le coup d’État aient été le résultat d’une planification prolongée exonérait en quelque sorte Trump de responsabilité individuelle.

Son équipe juridique a menti effrontément et fait preuve d’un mépris total pour toute la procédure. À un moment donné, elle a affirmé que le premier émeutier arrêté le 6 janvier était un membre d’Antifa, une organisation fantôme (l’article Wikipédia n’arrive pas à mentionner le nom d’un seul de ses membres ou dirigeants) ; un mensonge fabriqué de toute pièce. Elle a présenté une vidéo de 11 minutes montrant des démocrates et d’autres gens utilisant le mot «combat», comme si cela pouvait être comparé aux efforts faits par Trump pendant des mois pour renverser le résultat de l’élection, qui ont culminé le 6 janvier.

Comme toujours, les Républicains profitent de la pleutrerie des démocrates. Fondamentalement, celle-ci est motivée par leur stratégie politique et les forces de classe au nom desquelles ils parlent. Les démocrates sont un parti de Wall Street et de l’armée. Leur principale préoccupation, tout au long du gouvernement Trump et à chaque moment de la crise, avant et après l’élection, a été de bloquer une montée de l’opposition dans la classe ouvrière qui menacerait les intérêts de l’oligarchie financière.

C’est ce qui a dicté la manière dont ils ont mené le procès de destitution. Son but aurait dû être de démasquer ce que Philip Roth aurait appelé «le complot contre l’Amérique». Un tel procès aurait visé à révéler non seulement le rôle de Trump, mais aussi le réseau de ceux qui ont conspiré avec lui au Parti républicain et dans l’appareil d’État. Il aurait mis en lumière les forces politiques et les intérêts sociaux derrière le complot de coup d’État, et il aurait expliqué le but de l’opération: l’annulation de l’élection de 2020 et l’instauration d’une dictature présidentielle.

Le plus flagrant dans le procès des démocrates, c’était l’absence de toute référence à la conspiration dont le 6 janvier a été le produit. Ils ont faussement présenté le complot de Trump comme la conspiration d’un seul homme, excluant les 147 membres républicains du Congrès – dont la majorité de ceux de la Chambre – qui se sont joints à lui pour tenter d’annuler le résultat de l’élection. Les démocrates n’ont jamais cherché à expliquer précisément ce que Trump tentait de réaliser et ce qui en aurait découlé. Vendredi, quand un sénateur a demandé ce qui se serait passé si Trump avait réussi à annuler le résultat de l’élection, le député Raul Castro, le manager démocrate qui a répondu, a simplement ignoré la question.

Les démocrates ont adressé leur argumentation entièrement aux sénateurs républicains présents dans la salle, c’est-à-dire à ceux mêmes qui avaient promu les mensonges utilisés pour donner une couverture politique aux événements du 6 janvier.

Pas un seul démocrate n’a eu le courage de pointer un doigt accusateur vers les sénateurs républicains, qui gribouillaient dans leurs blocs-notes et s’étaient mis à l’aise alors que les responsables du procès présentaient leur dossier initial, et a carrément déclaré: «Vous tous qui avez toléré et légitimé les mensonges de Trump, qui avez soutenu son affirmation de vol de l’élection, vous avez été ses complices politiques dans la préparation du coup d’État».

Loin de démasquer les républicains, une partie importante du procès s’est consacrée à faire leur éloge. «Étrange nouveau respect pour Mike Pence», a déclaré jeudi le Wall Street Journal. « C’est un ‘patriote’, un homme de foi et de courage, disent maintenant les démocrates ». Le journal a cité les commentaires de Joaquin Castro, qui a appelé Pence «un homme qui respecte son serment, sa foi, son devoir, et surtout qui respecte la Constitution».

Un instant plus tard, Castro a qualifié Pence de «patriote». D’autres démocrates sont d’accord. «Le vice-président Pence a eu le courage de s’opposer au président, de dire la vérité au public américain et de défendre notre Constitution», a déclaré Stacey Plaskett, déléguée pour les îles Vierges. «C’est du patriotisme.» Le député Ted Lieu a déclaré que M. Pence avait « tenu bon, comme nos autres courageux fonctionnaires ont tenu bon.» Il a ajouté «le vice-président Pence nous a montré ce que signifie d’être un Américain, ce que signifie faire preuve de courage.»

Les louanges grotesques des démocrates pour le réactionnaire Pence, qui a joué un rôle central en soutenant Trump jusqu’au 6 janvier, sont en accord avec toute la stratégie politique du gouvernement Biden. Au cours des cinq semaines écoulées depuis le 6 janvier, la préoccupation centrale de Biden a été d’empêcher que le Parti républicain ne subisse des dommages durables. Il était nécessaire d’avoir un parti républicain «fort», a-t-il insisté lors d’une conférence de presse le 8 janvier. Ses remarques du jour de l’inauguration ont été dominées par son appel à «l’unité» et au bipartisme.

Vendredi, après que le ministère public ait conclu son procès, Biden avait réitéré son espoir que les sénateurs républicains se «lèveraient» et voteraient pour la destitution. «Je suis juste anxieux de voir si – ce que feront mes amis républicains. S’ils se lèveront», a déclaré Biden.

Les démocrates et les républicains ont également œuvré pour que le procès du Sénat soit le plus court possible. «Les sénateurs des deux côtés semblent désireux de mettre fin au procès rapidement», a noté Vox jeudi. Les démocrates ont pris la décision de ne pas même tenter d’appeler des témoins pour qu’ils témoignent sous serment, que ce soit à la Chambre des représentants alors qu’elle préparait les accusations, soit pendant le procès au Sénat.

Aucun démocrate n'a cherché ou n’a même évoqué la possibilité d'appeler comme témoins les dirigeants des groupes fascistes ayant aidé à organiser l’assaut du 6 janvier, les responsables du Parti républicain qui les ont promus ou les sections de l'appareil militaire et policier qui sont en sympathie ouverte avec les fascistes.

Ce que les démocrates ont prouvé au cours du processus, c’est que si les fascistes avaient réussi à prendre des otages, ils auraient accepté de négocier «une solution pacifique» avec leurs «amis et collègues d’en face». Ils auraient aussi mené ces pourparlers avec leur habituelle pleutrerie et fait des concessions sans fin. Cela aurait probablement abouti à accepter l’annulation de leurs victoires dans des États clés et à remettre l’élection à Trump. Et pendant que tous ces pourparlers se déroulaient, Trump serait à la Maison-Blanche et, après avoir déclaré l’état d’urgence, gouvernerait par décret.

Le procès de destitution au Sénat a pris fin sans qu’on tienne responsable aucun des meneurs politiques de la Maison-Blanche et du Congrès, pas même Trump. Et il est très douteux que les démocrates organisent d’autres auditions sur le coup d’État.

Les démocrates ont limité leur procès pour destitution à leur théorie du «méchant Trump» de la politique américaine, parce que tout examen sérieux des conditions sociales et politiques sous-jacentes ayant amené les États-Unis au bord de la dictature nécessiterait non seulement de démasquer le parti républicain. Il révélerait encore les conséquences des inégalités sociales sans précédent, des décennies de guerre sans fin et de la politique homicide de la classe dirigeante en réponse à la pandémie, qui a fait près d’un demi-million de morts.

La principale leçon qui se dégage du second procès pour destitution de Donald Trump est celle que le «World Socialist Web Site» avait tiré du refus des démocrates de s’opposer au vol de l’élection de 2000: il n’existe aucun soutien significatif pour les droits démocratiques dans la classe dirigeante. Cela est encore plus vrai aujourd’hui qu’il y a vingt ans.

La défense des droits démocratiques et l’opposition au fascisme sont indissociables du développement d’un mouvement de la classe ouvrière contre le capitalisme. Comme Rosa Luxembourg a insisté pour le dire, il ne peut y avoir de socialisme sans démocratie et il ne peut y avoir de démocratie sans socialisme.

(Article paru d’abord en anglais le 13 février 2021)

Loading