Les manifestations et les grèves se poursuivent contre le coup d'État militaire au Myanmar

Malgré une répression accrue de la part de la junte birmane, les manifestations et les grèves se sont poursuivies, après un week-end de manifestations généralisées lundi et mardi, contre le coup d'État militaire du 1er février. Les manifestations se déroulent malgré l'interdiction de tous les rassemblements de cinq personnes ou plus.

Les nouvelles sont incomplètes en raison d'une forte censure. Dans un effort pour contrôler non seulement les nouvelles mais aussi la capacité des manifestants à s'organiser, le régime a pratiquement fermé les services Internet les dimanche et lundi soir. Netblocks, basé au Royaume-Uni, a rapporté qu'à une heure du matin, heure du Myanmar, mardi matin, le pays était 'en pleine fermeture quasi-totale d'Internet'.

Des manifestants se couchent les yeux bandés dans la rue pour protester contre un coup d'État militaire à Yangon, au Myanmar, le mardi 16 février 2021 (AP Photo)

Néanmoins, des informations limitées donne une indication claire de la poursuite des manifestations, non seulement dans les grandes villes mais aussi dans de nombreuses villes et villages de province.

Associated Press a rapporté que des soldats et des policiers avaient attaqué lundi plus de 1 000 manifestants devant la Myanmar Economic Bank à Mandalay, la deuxième ville du pays. La police aurait tiré des coups de semonce en l'air, tandis qu'un certain nombre de personnes auraient été blessées par des balles en caoutchouc. Environ 3 000 manifestants, principalement des étudiants, sont retournés mardi dans les rues de la ville.

Une image satellite prise mardi et diffusée via CNN montrait un énorme slogan écrit sur une grande route de Mandalay déclarant 'Nous voulons la démocratie'.

Des groupes de manifestants se sont également mobilisés à Yangon, la plus grande ville du Myanmar, tôt mardi. La police a bloqué la rue devant la Banque centrale, prise pour cible par des manifestants. Ceux-ci ont appelé les employés de la banque à se joindre au mouvement de désobéissance civile et d’arrêts de travail qui touche de plus en plus de travailleurs. L'armée a déployé des véhicules blindés dans les rues de la ville.

Reuters a rapporté que des manifestants se tenaient mardi sur la voie ferrée principale, bloquant les trains entre Yangon et la ville méridionale de Mawlamyine. Ils ont scandé 'libérez immédiatement nos dirigeants' et ' rendez le pouvoir du peuple'.

Des centaines de personnes ont défilé mardi dans la ville de Thanked sur la côte ouest. Frontier Myanmar a également signalé mardi que la police avait tiré des balles en caoutchouc sur une manifestation d'environ 150 personnes devant la prison de la ville méridionale de Myaungmya pour exiger la libération du directeur d'une école primaire locale.

Le Myanmar Times a rapporté que des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées contre la junte lundi dans le canton de Minbu, entre Yangon et Mandalay. 'Plus de 100 000 manifestants comprenant des hindous, des musulmans, des travailleurs du champ pétrolifère de Mann et du champ pétrolifère de Htauk Shar Pin/Kanni et du personnel gouvernemental ont pris part à la manifestation aujourd'hui', a déclaré un dirigeant de la manifestation. Les manifestants ont crié des slogans contre le régime militaire et ont appelé à la libération d'Aung San Suu Kyi, du président U Win Myint et d'autres dirigeants politiques détenus du gouvernement élu renversé.

Si les manifestations n'ont peut-être pas été aussi importantes que celles du week-end dernier, il y a de plus en plus de signes que des sections de la classe ouvrière s'engagent dans la 'désobéissance civile' et refusent de travailler sous la junte. Selon Associated Press (AP): 'Les débrayages ont été particulièrement visibles parmi les employés du gouvernement, y compris au ministère qui fournit l'énergie dans tout le pays, les bureaux des impôts et le Département de l'administration générale, qui supervise un large éventail de services publics et de fonctions gouvernementales.'

Le Dr Kyaw Zin, un chirurgien qui a dirigé l'un des premiers débrayages du pays au Mandalay General Hospital géré par le gouvernement, a déclaré à AP: 'Nous ne pouvons définitivement pas travailler sous une dictature.'

Le New York Times a cité un monteur de lignes d'électricité, U Pyae Sone Ko Ko, qui a déclaré qu'environ 60 pour cent des employés du ministère de l'Électricité et de l'Énergie avaient débrayé. Il a noté qu'un grand nombre étaient des releveurs de compteurs et que s'ils ne faisaient pas leur travail, le ministère ne pouvait pas envoyer de factures. 'Nous devons participer au MDC [mouvement de désobéissance civile] pour arrêter le régime et abattre la dictature', a-t-il dit.

Les banques ont également été touchées. Daw Thandar Kyaw, un employé de banque qui s'est joint au débrayage, a déclaré: 'Si nous arrêtons d’aller travailler, le secteur économique cessera de fonctionner. Min Aung Hlaing et les dictateurs militaires se soucient de l'économie parce qu'ils aiment l'argent. Je crois fermement que nous pouvons faire tomber les dictateurs si tout le personnel des banques adhère au MDC. '

Des informations antérieures faisaient référence à l'action d'autres sections de travailleurs, dont ceux du textile et des transports. Selon le Myanmar Times, 2 750 chauffeurs de camion de la Myanmar Container Trucks Association (MCTA) 'ont suspendu indéfiniment les opérations' vendredi dernier pour soutenir les manifestants anti-junte.

Le MCTA a déclaré: 'Les camions transporteront des marchandises jugées essentielles pour le pays et ses habitants – comme les médicaments – mais ils ont cessé de livrer d'autres marchandises et équipements. C'est parce que les banques et les ports sont fermés. '

Si l'armée n'a pas simplement tiré sur les manifestants, comme elle l'a fait dans le passé, c'est parce qu'elle craint une explosion d'opposition dans la classe ouvrière. Les tensions sociales sont déjà élevées en raison de la détérioration économique et de la crise sociale à laquelle de nombreux travailleurs sont confrontés, aggravées encore par le nombre croissant des cas de COVID-19. La croissance économique pour 2020-2021 ne devrait être que de 0,5 pour cent.

Une récente réunion du Conseil administratif de l'État, le nouvel organe gouvernemental de l'armée, a montré les inquiétudes de la junte. Selon le Global New Light of Myanmar, il a discuté de la prise de mesures judiciaires contre les manifestants, de la communication de 'vraies informations' aux médias et de la reprise des transports en commun – une référence aux grèves et grèves perlées des chauffeurs de camion et des cheminots.

Tout indique qu'un puissant mouvement de la classe ouvrière se développe au Myanmar en opposition au coup d'État et en défense des droits démocratiques et sociaux. Sa grande faiblesse politique cependant, est son orientation vers Suu Kyi et sa Ligue nationale pour la démocratie (NLD), qui ne représentent pas les intérêts des travailleurs, mais ceux d'une faction de la classe dirigeante, dont les intérêts commerciaux et les ambitions politiques ont été étouffés par les militaires.

Au milieu du soulèvement contre l'armée en 1988, au cours duquel les grèves des travailleurs ont paralysé l'économie, la junte s'est appuyée sur Suu Kyi pour mettre un terme au mouvement de masse. Elle appela à la fin des manifestations en échange d'une promesse vide de la part des militaires d'organiser des élections en 1990. Les forces armées saisirent l'occasion pour braquer les armes sur les manifestants, tuant des centaines de personnes. Ayant assuré leur emprise sur le pouvoir, ils refusèrent de tenir l'élection promise.

Face à un mouvement de la classe ouvrière, Suu Kyi et la NLD ont bien plus peur de la menace qu'il représente pour le régime bourgeois que de la répression militaire. La lutte pour la démocratie de la classe ouvrière est intimement liée à la lutte contre le système capitaliste pour une réorganisation socialiste de la société afin de répondre aux besoins sociaux pressants de la majorité, et non aux profits des élites fortunées – que ce soit les chefs militaires ou leurs ' rivaux démocratiques '.

(Article paru en anglais le 17 février 2021)

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