Brésil : enseignants et soignants font grève au milieu de la campagne de retour à l'école du gouvernement

Alors que les personnels de santé brésiliens font grève et manifestent contre le manque de moyens et d'équipements pour faire face à une pandémie de COVID-19 hors de contrôle, les grèves des enseignants se propagent dans tout le pays contre la campagne de retour dans les écoles.

Un enseignant testé pour le coronavirus dans une école publique de São Paulo. ( Governo do Estado de São Paulo)

La pandémie a entraîné un total officiel de 242 178 décès et de 10 millions de cas au Brésil, chiffres surpassés uniquement par les États-Unis. Plus de 300 000 nouveaux cas ont été enregistrés la semaine dernière, ainsi que 7 520 décès, le deuxième plus grand nombre de morts du COVID-19 en une semaine depuis le début de la pandémie.

Les personnels de santé sont confrontés à l'impact direct de la politique d'immunité collective mise en œuvre, au Brésil comme ailleurs. La première et la deuxième vagues y ont en réalité été ininterrompues: le nombre de cas de coronavirus n'est jamais descendu en-dessous de 100.000 ni les décès en-dessous de 2000 par semaine. Selon les données compilées par le Conseil fédéral de médecine, plus d'un millier de médecins, soignants et techniciens sont morts depuis le 12 mars dernier dans le pays, des centaines d’entre eux depuis le mois dernier.

Une grève à l'hôpital de São Paulo (HSP) qui a débuté il y a deux semaines s’est prolongé au moins jusqu'à vendredi dernier. Tout au long de la semaine dernière, plus de grévistes ont rejoint le mouvement, portant leur nombre à 600. Vendredi dernier, ils ont manifesté devant l'hôpital pour dénoncer les conditions de travail, tout en maintenant 30 pour cent du personnel au travail pour les soins urgents dans cet établissement qui traite également des patients COVID-19. Les pancartes des grévistes disaient: 'Nous n'avons plus de médicaments, de kits d'examen et de matériel'; 'Nous refusons de travailler dans de telles conditions.' L'unité HSP dessert une zone de plus de 5 millions d'habitants et est l'un des trois principaux centres médicaux de grande complexité de la capitale de l’État, avec Hospital das Clínicas et Santa Casa.

La semaine dernière également, 14 médecins d'une unité de santé de base (UBS) de l'État se sont mis en grève pour réclamer des mois de salaire impayés. La grève a été suspendue vendredi dernier, mais pourrait être relancée si les médecins ne sont toujours pas payés.

Début février, les travailleurs de l'Hôpital universitaire de São Paulo (HU) se sont mis en grève pour exiger la vaccination de tous les employés, y compris du personnel de nettoyage et des contractuels. Il s'agit de la troisième grève à cet HU en moins d'une semaine. Selon le syndicat, seule une partie des salariés a reçu le vaccin. Les employés réclament également l'application de l'injonction qui protège les travailleurs ayant un risque accru de maladie grave. Selon le syndicat, jusqu'à présent, deux employés du HU sont décédés des suites du COVID-19.

Pendant ce temps, défendant les intérêts de l'élite dirigeante, les syndicats tentent d'empêcher une vague de grèves des enseignants dans tout le pays contre la campagne gouvernementale de retour dans les écoles. Plus de la moitié des 27 États brésiliens prévoient de rouvrir leurs écoles à la fin de février.

Dans l'État de Rio de Janeiro, dans le sud-est du Brésil, 39 000 enseignants de l'État et 13 000 membres du personnel scolaire en sont à leur troisième semaine de grève. Lors d'une assemblée virtuelle tenue la semaine dernière, 80 pour cent des enseignants ont voté pour la poursuite de la grève. À Itaguaí, à la périphérie de Rio, les enseignants et le personnel sont en grève depuis lundi dernier.

Dans la ville de Campina Grande dans l’État de Paraíba au nord-est, les enseignants sont en grève contre le retour à l'école depuis le début du mois, tandis que le syndicat tente de bloquer l’élargissement de la lutte aux 180 autres écoles municipales de la région.

Face à l'énorme opposition des enseignants aux cours en présentiel, la classe dirigeante brésilienne craint que la réouverture simultanée en début d'année scolaire ne provoque une vague de luttes et une possible mobilisation unifiée des travailleurs de l'éducation dans tous les États, hors du contrôle des syndicats et des partis de la pseudo-gauche. Dans ces conditions, les syndicats sont contraints de déclencher des grèves tout en maintenant les luttes des enseignants divisées et en cherchant les moyens de mettre vite fin à leur mobilisation.

Mardi dernier, le syndicat des enseignants SINTE-SC de l'État de Santa Catarina, dans le sud du pays, a annulé une grève qui devait commencer jeudi, utilisant comme prétexte le report des cours en présentiel dans 53 des 295 municipalités de l'État. La grève aurait coïncidé avec une grève des enseignants dans l'État voisin du Paraná. Les deux États ont ensemble un effectif de 300 000 enseignants.

Mercredi, le gouverneur de droite de l'État du Paraná, Ratinho Júnior, a été contraint de suspendre le début des cours en présentiel face à la grève des enseignants de l'État pour le jour suivant. A l'annonce de cette décision, le syndicat des enseignants de l'État du Paraná (APP) a convoqué à la hâte une assemblée, à peine 12 heures avant le début de la grève, pour 'décider collectivement du début de la grève', que les enseignants avaient déjà votée et approuvée quelques jours avant. Moins de quatre heures avant minuit, l'APP a déclaré sur Facebook : 'Nous voulons le retour aux écoles, en toute sécurité', sans donner aucune information sur les résultats de l'assemblée.

La semaine dernière, l'APEOESP, le syndicat des enseignants de l'État de São Paulo, a ignoré criminellement le résultat du vote de l'assemblée des enseignants, qui avaient voté majoritairement pour la poursuite de la grève. Il a déclaré cyniquement que la grève se poursuivrait, mais que les enseignants devraient toujours aller à l'école pour pointer. La hâte de l'APEOESP de supprimer la lutte des enseignants était en grande partie due au fait que 60000 enseignants municipaux devaient commencer une grève dans la capitale de l’État deux jours plus tard.

La campagne trompeuse des syndicats pour un 'retour en toute sécurité' dans les salles de classe est démasquée par la flambée immédiate des infections après la réouverture des écoles à São Paulo. Mercredi, l'APEOESP avait reçu des signalements d'infections de coronavirus chez les enseignants et employés de 266 écoles publiques ; 448 cas furent signalés dans des écoles privées, des dizaines d'écoles signalent des cas quotidiennement. Cela signifie une flambée des cas et des décès dans quelques semaines en conséquence directe des réouvertures.

Pourtant, les syndicats déclarent, à l'instar du gouvernement, que les écoles peuvent être rouvertes en respectant des 'protocoles sanitaires', c'est-à-dire en plaçant des centaines d'élèves et d'enseignants dans des environnements fermés et non ventilés pendant des heures. Cela dans des écoles n’ayant qu’une ou deux toilettes, sans parler des trajets effectués par les élèves et les enseignants dans les transports en commun bondés. Dans ces conditions, la distribution de désinfectant pour les mains et de masques est tout juste un geste cosmétique.

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Légende : Des infirmières manifestent l'an dernier à Belém, dans le nord du Brésil

Les déclarations officielles des syndicats, selon lesquelles la campagne de vaccination doit donner la priorité aux enseignants, sert de couverture pour la mise en œuvre de la politique d'immunité collective de la classe dirigeante. Même si les enseignants étaient vaccinés, la plupart des personnes fréquentant les écoles – les élèves – seront toujours vulnérables. Tous les membres de la communauté scolaire resteront des vecteurs potentiels de transmission du coronavirus.

Le fait que les syndicats couvrent la campagne de retour à l'école avec la demande de vaccination des enseignants est une tentative désespérée de détourner l'énorme colère des enseignants et des travailleurs de la santé face à la réponse criminelle de la classe dirigeante à la pandémie. Les enseignants doivent être avertis que si les syndicats sont autorisés à imposer leur politique, le résultat direct en sera une recrudescence du coronavirus dans tout le pays.

Mardi, dans l'État le plus au sud, celui de Rio Grande do Sul, après que le gouverneur Eduardo Leite du Parti social-démocrate brésilien (PSDB) de droite a ouvertement promu la politique d'immunité collective dans les écoles et déclaré l'assouplissement de la limite de 50 pour cent du nombre d'élèves en salle de cours, le syndicat des enseignants de l'État (CPERS) a publié ce qui équivaut à une lettre à Leite, lui demandant d'accélérer le programme de vaccination.

Sa déclaration se termine ainsi: 'Nous exigeons une vaccination immédiate pour tous les professionnels de l'éducation, le respect et des conditions minimales de sécurité', sans appeler à une grève des enseignants ni faire aucune référence aux luttes menées dans d'autres États.

Le SINTE-SC, l'APP, le CPERS, l'APEOESP et tous les autres syndicats d'État affiliés à la Confédération nationale des travailleurs de l'éducation (CNTE), contrôlée par le Parti des travailleurs (PT), défendent les intérêts de l'oligarchie au pouvoir. Lundi, le président de la CNTE, Heleno Manoel Gomes Araújo Filho, a déclaré: 'Nous ne voyons aucun changement dans les conditions politiques ou dans la sécurité sanitaire pour effectuer le retour à l'école.'

Les 'conditions politiques' de la réouverture comprennent la suppression des grèves des enseignants dirigées contre la campagne de retour à l'école et se répandant dans tout le pays. Comme l'élite dirigeante qu'ils servent, les syndicats craignent avant tout le développement d'une lutte unifiée des enseignants, indépendante des syndicats, au-delà des frontières étatiques et nationales, en alliance avec les travailleurs de la santé et toutes les sections de la classe ouvrière.

Les travailleurs de l'éducation et de la santé doivent former des comités de base, indépendants des syndicats, pour s'opposer à la politique d'immunité collective et lutter pour la fermeture de toute production non essentielle jusqu'à ce que la population soit vaccinée, avec un plein revenu garanti.

(Article paru en anglais le 20 février 2021)

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