Tandis que Biden proclame que «l’Amérique est de retour», les conflits impérialistes dominent la conférence de Munich

Le président américain Joe Biden s’est servi d’une diffusion vidéo en direct vendredi, en lieu et place de la Conférence annuelle de Munich sur la sécurité, pour prononcer son discours tant attendu du «Retour de l’Amérique». Brandissant le faux drapeau de la «démocratie», il a proclamé le leadership mondial des États-Unis dans la confrontation des «grandes puissances» avec la Russie et la Chine.

Le président Joe Biden participe à un événement virtuel de la Conférence de Munich sur la sécurité depuis la Maison-Blanche, le vendredi 19 février 2021, à Washington. (AP Photo/Patrick Semansky)

Parlant sur un forum vidéo – du à la propagation toujours incontrôlée du coronavirus dans les pays capitalistes avancés – Biden a reçu un accueil résolument froid de la part de ses collègues du panel virtuel, la chancelière allemande Angela Merkel et le président français Emmanuel Macron. Tous deux ont souligné les intérêts indépendants des puissances impérialistes européennes.

Le titre donné au forum était «Au-delà de l’agitation occidentale». Dans un article d’opinion écrit la veille du forum, Wolfgang Ischinger, ex-ambassadeur allemand aux États-Unis et président de la conférence de Munich sur la sécurité, a décrit une Europe «entourée d’un “cercle de feu” – par des conflits sanglants à l’Est, en Ukraine et dans la région du Caucase, mais aussi au Sud, en Méditerranée orientale et dans notre voisinage africain».

Il ajoutait: «La concurrence entre les grandes puissances a fait son retour. L’ordre international fondé sur des règles et son cadre institutionnel se trouvent affaiblis. Et nous sommes confrontés à l’impact massif du changement climatique et à une pandémie mondiale aux effets potentiellement paralysants sur la stabilité, la prospérité et les droits de l’homme».

Comme l’a clairement indiqué Biden, son «Amérique est de retour» – phrase qu’il a répétée trois fois dans son discours de 20 minutes – était moins une promesse qu’une menace. Derrière cette phrase se cache une politique encore plus agressive et militariste que celle menée par le gouvernement de Donald Trump. Son discours représentait une demande à peine déguisée que les puissances européennes s’attachent inconditionnellement au wagon de la guerre de Washington.

Il a insisté pour dire que le monde était confronté à un «point d’inflexion» dans une prétendue lutte mondiale entre «démocratie» et «autocratie».

Il a fait une référence, fugace et oblique, à la tentative de coup d’État fasciste au Capitole américain le 6 janvier, par laquelle Trump a tenté de renverser non seulement le résultat de l’élection présidentielle mais aussi l’ordre constitutionnel américain, et de s’instaurer en dictateur présidentiel.

Déclarant que les «valeurs démocratiques communes» étaient le ciment qui unissait l’Europe et l’Amérique, Biden a reconnu qu’«aucun d’entre nous n’a pleinement réussi cette vision» ; il poursuivit en disant : «Nous continuons à y travailler. Et dans de nombreux endroits, y compris en Europe et aux États-Unis, les progrès démocratiques sont menacés».

Les événements du 6 janvier ne permette pas à Washington de faire la leçon à qui que ce soit en fait de démocratie, mais cela n’a pas dissuadé Biden de s’engager dans une attaque contre la Chine et la Russie. Il a présenté ces deux pays et leurs gouvernements comme un défi existentiel aux «valeurs démocratiques communes» du monde occidental.

Le président américain a suggéré que l’infâme ingérence russe était seule responsable des défis auxquels la démocratie faisait face en Occident. Cela alors que tant les États-Unis que l’Europe connaissent la montée de mouvements d’extrême droite et fascistes. De même que sont introduites des mesures autoritaires et d’État policier dans des conditions d’inégalité sociale sans précédent et que sont imposées des politiques d’immunité collective meurtrières face à la pandémie.

«Le Kremlin attaque nos démocraties et arme la corruption pour tenter de saper notre système de gouvernance», a déclaré Biden, ajoutant que «Poutine cherche à affaiblir le projet européen et notre alliance avec l’OTAN. Il veut saper l’unité transatlantique et notre détermination».

L’une des principales accusations de Washington concernant l’affaiblissement de «l’unité transatlantique» par la Russie est centrée sur le gazoduc Nord Stream 2, qui est presque terminé et acheminera le gaz russe sous la mer Baltique directement vers l’Allemagne et d’autres pays européens.

À la veille du forum de Munich, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré que Washington était déterminé à empêcher l’achèvement du gazoduc. Il affirma qu’il «permettrait au régime Poutine de se servir davantage des ressources énergétiques de la Russie comme d’armes pour exercer une pression politique sur toute l’Europe». Le gouvernement Biden prépare de nouvelles sanctions contre les entreprises impliquées dans le projet.

Le porte-parole du Kremlin, Dimitry Peskov, a répondu caustiquement aux menaces de Washington en déclarant que «cela aurait plus de sens si nos partenaires américains s’intéressaient moins à Nord Stream 2 et plus à l’approvisionnement du Texas en chaleur et en énergie».

Biden a poursuivi en demandant que l’Europe s’aligne sur l’impérialisme américain afin de «se préparer ensemble à une concurrence stratégique à long terme avec la Chine». Il a appelé les puissances de l’OTAN à «repousser ensemble les abus économiques et la coercition du gouvernement chinois qui sapent les fondements du système économique international».

Sous Biden, les États-Unis intensifient leurs menaces militaires contre la Chine. Ces dernières semaines, ils ont déployé deux groupes d’attaque de porte-avions dans la mer de Chine méridionale et envoyé des navires de guerre dans le détroit de Taiwan et près des îles Paracel, contrôlées par les Chinois, pour des exercices provocateurs de «liberté de navigation».

En même temps, la Chine a supplanté les États-Unis en tant que premier partenaire commercial de l’Union européenne. À la fin de l’année dernière, l’UE et Pékin ont conclu un important traité d’investissement, malgré les vives objections de Washington.

Faisant clairement référence à la politique de «l’Amérique d’abord» du gouvernement Trump et à l’attitude grossièrement transactionnelle de Trump vis-à-vis de l’OTAN, Biden a déclaré: «Je sais que ces dernières années ont mis à rude épreuve notre relation transatlantique», ajoutant que Washington était déterminé «à regagner notre position de leader en qui on a confiance».

La réaction des «partenaires» de Washington au sein de l’OTAN ne laissait cependant aucun doute sur le fait que Trump était bien plus le symptôme des fissures profondes dans l’Alliance atlantique que leur cause. L’impérialisme européen n’est pas plus désireux de se subordonner aux diktats de Washington sous Biden qu’il ne l’était sous Trump.

La chancelière allemande Merkel et le président français Macron ont tous deux fait référence à plusieurs reprises à leur soutien au «multilatéralisme», par quoi ils entendaient clairement leur opposition à la formation d’un bloc inconditionnel avec l’impérialisme américain contre Moscou et Pékin.

Merkel a commencé par citer l’ampleur croissante des interventions étrangères de l’armée allemande, y compris son rôle en Afghanistan, en Irak et en Afrique.

Elle a souligné l’importance d’une politique indépendante de défense européenne. Elle a déclaré que les développements dans le «voisinage» de l’Europe étaient «plus importants pour nous», y compris en Afrique et en Syrie. La relation de l’Allemagne avec l’Afrique avait « une grande importance stratégique», a-t-elle ajouté.

Macron a été encore plus direct. Il a commencé par exprimer son propre mépris pour la démocratie, en déclarant cyniquement que le plus important était de «protéger la liberté d’expression» en réglementant les plate-formes Internet pour supprimer la «haine en ligne». Ceci, alors que son gouvernement fait passer une loi «anti-séparatiste» qui éviscère les droits démocratiques au nom de la lutte contre «l’extrémisme» islamiste.

Il a souligné la nécessité d’une «nouvelle architecture de sécurité» et la nécessité d’un «dialogue avec la Russie». Il a plaidé à plusieurs reprises en faveur d’une «autonomie stratégique» pour l’Union européenne, tout en suggérant que les États-Unis, dans leur confrontation croissante avec la Chine, s’intéressaient plus à devenir une «puissance du Pacifique».

Comme Merkel, Macron a insisté pour dire que l’Europe devait s’occuper de «son voisinage» et que son «agenda n’était pas le même» que celui des États-Unis en termes de «niveau de priorités». Il a souligné que c’était là quelque chose que «nous avons vécu en Syrie en 2013», lorsque le gouvernement Obama avait renoncé à une intervention de changement de régime soutenue par Paris, justifiée par le prétexte d’une attaque au gaz toxique, qui s’est avéré montée par les «rebelles» soutenus par l’Occident.

L’intervention des trois chefs d’État faisait suite à une réunion virtuelle du Groupe des 7, centrée sur la réponse internationale à la pandémie de COVID-19, qui a tué près de 2,5 millions de personnes. Si les dirigeants des grandes puissances ont fait des phrases sur l’égalité dans la lutte contre le virus et la fourniture de vaccins aux pays les plus opprimés, aucun d’entre eux n’a précisé combien de doses ils mettraient à disposition, ni quand.

Au forum de Munich, Macron a souligné l’importance d’envoyer au moins suffisamment de doses pour vacciner les travailleurs de la santé en Afrique, à cause du rôle croissant joué sur le continent par les vaccins russes et chinois, moins chers.

La première incursion de Biden dans la politique internationale, présentée par les médias comme une rupture radicale avec la politique de Trump, n’a fait que montrer que les failles qui divisent Washington et ses alliés européens nominaux sont plus larges que jamais. Elles ne peuvent être contenues dans la structure d’une OTAN qui fut formée lorsque l’impérialisme américain exerçait encore son hégémonie économique mondiale.

La classe ouvrière du monde entier est confrontée aux préparatifs de «conflits de grandes puissances» et à une nouvelle ruée de toutes les puissances impérialistes pour recoloniser le monde, qui menace de plonger l’humanité dans une nouvelle guerre mondiale et dans l’anéantissement nucléaire. La discussion virtuelle entre Biden, Merkel et Macron montre tant les immenses dangers auxquels est confrontée la population mondiale que l’urgence de construire un nouveau mouvement de masse anti-guerre basé sur la classe ouvrière internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 20 février 2021)

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