Perspectives

Les démocrates torpillent la hausse du salaire minimum à 15 dollars

Jeudi, le président américain Joe Biden et le Parti démocrate ont effectivement mis fin aux efforts visant à porter le salaire horaire minimum fédéral à 15 dollars dans le cadre du plan de relance COVID-19 débattu au Congrès. Le salaire minimum de 7,25 dollars n’a pas été augmenté depuis 2009, L’abandon de cette augmentation laissera des millions de travailleurs dans le dénuement le plus total.

La Maison-Blanche et les démocrates du Congrès ont cherché à faire croire qu’ils avaient les mains liées, prenant pour prétexte l’avis consultatif de la conseillère officielle du Sénat, Elizabeth McDonough. McDonough, une fonctionnaire non élue, nommée à son poste par les démocrates en 2012, avait statué que l’augmentation des salaires n’était pas autorisée dans un projet de loi utilisant le processus de réconciliation budgétaire.

Mais la décision des démocrates d’abandonner l’augmentation des salaires est une décision de choix, voire de préférence, et non de nécessité.

Le président Joe Biden, accompagné de la vice-présidente Kamala Harris, s’exprime lors d’une conférence de presse. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Adam Schultz)

La vice-présidente Kamala Harris a la possibilité, en sa qualité de présidente du Sénat, de passer outre la conseillère officielle du Sénat. Si les démocrates avaient eu la moindre envie d’insister sur cette question, ils auraient pu licencier McDonough et la remplacer. Les républicains avaient agi ainsi pour faire passer les réductions d’impôts au Sénat, sous la présidence de George W. Bush en 2001.

Mais les démocrates ont rejeté d’emblée ces options. Pendant des semaines, Biden avait signalé qu’il s’attendait à ce que l’augmentation de salaire ne passe pas le Sénat – se retenant d’en exprimer le souhait explicitement. Un responsable de la Maison-Blanche a déclaré à CNN qu’on considérait l’avis de la conseillère officielle comme une chose positive, qu’il «ouvrait la voie» à ce projet de loi qui devait maintenant être édulcoré plus encore au Sénat.

Certains démocrates du Sénat, comme le président du Budget Bernie Sanders, ont ensuite cherché à sauver la face en disant qu’ils envisageaient des incitations fiscales pour encourager les grandes entreprises à augmenter les salaires. Mais une telle proposition – dans l’éventualité peu probable où elle serait approuvée à la fois par la conseillère et les 50 sénateurs démocrates – serait fatalement une mesure impuissante, exemptant de nombreux employeurs et subventionnant les autres.

Il est parlant que lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de l’impérialisme américain, Biden n’éprouve pas le moindre besoin de respecter les normes parlementaires ou juridiques. Au moment où les responsables démocrates déploraient à tout vent leur impuissance à surmonter les règles obscures du Sénat pour augmenter le salaire minimum, les missiles américains pleuvaient sur la Syrie, une attaque ordonnée par Biden, qui s’est très bien passé de l’autorisation du Congrès ou du respect du droit international.

Après plusieurs semaines de gouvernement Biden, le Parti démocrate démontre une fois de plus sa totale soumission aux intérêts de l’oligarchie financière et son opposition à toute mesure significative pour répondre aux besoins de la classe ouvrière.

Le cynisme, la duplicité et la couardise des démocrates quant à l’augmentation à 15 dollars du salaire minimum, une promesse centrale de la campagne de Biden, était prévisibles. Mais ils démasquent aussi la perspective des Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez, Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) et des autres promoteurs pseudo de gauche du Parti démocrate, selon laquelle les démocrates étaient un «moindre mal» qu’on pouvait pousser à adopter des réformes progressistes.

Le salaire minimum à 15 dollars est, et aurait été, un salaire de misère, nettement insuffisant pour faire face au coût de la vie dans une grande partie des États-Unis. Selon la proposition des démocrates, le salaire minimum n’aurait pas atteint 15 dollars avant 2025, où son pouvoir d’achat serait plus encore diminué par l’inflation.

De plus, si le salaire minimum avait suivi le rythme de l’inflation et des gains de productivité depuis 1968, il serait aujourd’hui d’environ 24 dollars, ce qui montre le caractère dérisoire des 15 dollars en discussion.

Mais même ce maigre soulagement de besoins sociaux désespérés s’est avérée pratiquement impossible à réaliser par les gouvernements démocrates comme républicains, qui subordonnent toutes décisions aux besoins des grandes sociétés et de l’oligarchie financière.

Le salaire minimum fédéral actuel de 7,25 dollars – soit environ 15.000 dollars annuels avant impôts pour un travailleur célibataire – n’est qu’un régime de misère. Les 12 ans ou presque écoulés depuis la dernière augmentation est la plus longue période sans hausse d’une histoire qui remonte à la première promulgation d’un salaire minimum avec la Loi sur les normes de travail équitables de 1938, lors des batailles de classe explosives de la Grande Dépression.

Ce gel prolongé du salaire minimum n’est pas un accident. La période qui a suivi la crise économique et la récession de 2008-2009 fut caractérisée par une énorme redistribution des richesses vers le haut – de la majorité de la population vers le sommet de la société. Un transfert réalisé par le gouvernement démocrate de Barack Obama et accéléré par son successeur, le républicain Donald Trump.

De 2009 à 2020, l’inégalité sociale a grimpé en flèche. Cette période a connu la plus longue hausse boursière de l’histoire des États-Unis, l’indice boursier «S&P 500» a plus que triplé. La richesse totale des milliardaires américains a grimpé en flèche, passant d’environ treize cents milliards de dollars à quelque quatre mille milliards de dollars.

La hausse vertigineuse de la valeur des actions et de la fortune des super-riches repose sur deux processus : sur l’offre quasi illimitée d’argent bon marché de la Réserve fédérale et des banques centrales, en hausse considérable depuis le début de la pandémie ; et sur l’intensification dramatique de l’exploitation de la classe ouvrière, illustrée par la restructuration de l’industrie automobile par Obama en 2009, réduisant de moitié les salaires des nouveaux employés.

Ces conditions de bas salaires, perpétuées par les démocrates et les républicains à travers la compression du salaire minimum et d’autres moyens, sont devenues cruciales pour les opérations du capitalisme américain, pour le gonflement artificiel des valeurs boursières, et pour le maintien et la croissance des fortunes de l’oligarchie financière.

La fonction de l’aile dite progressiste du parti démocrate et de ses supporteurs pseudo de gauche, comme les DSA, le magazine Jacobin et l’Alternative socialiste, est d’essayer de dissimuler cette réalité fondamentale. Ils essaient de convaincre les travailleurs et les jeunes que des réformes progressistes peuvent encore être réalisées sous le capitalisme en général, et avec les démocrates en particulier.

Sanders, Ocasio-Cortez et les dirigeants des DSA ont soutenu Biden en 2020 et l’ont présenté comme une alternative aux politiques réactionnaires de Trump. Faisant campagne pour le candidat démocrate au Sénat de Géorgie, Jon Ossoff, Sanders a présenté le contrôle du Sénat par les démocrates comme la voie vers des réformes de grande envergure. «Un salaire minimum de 15 dollars, la lutte contre le changement climatique et l’expansion des soins de santé sont en jeu dans les élections sénatoriales d’aujourd’hui», a-t-il tweeté.

Il a fallu moins de deux mois pour que cette affirmation soit démolie, comme toutes les garanties politiques frauduleuses de Sanders avant. Biden et les démocrates ne sont ni capables ou désireux d’améliorer le niveau de vie des travailleurs, ni de s’attaquer de manière significative au changement climatique, ni de stopper la machine de guerre américaine, ni de résoudre aucun des grands problèmes sociaux auxquels l’humanité est confrontée.

Contrôlant la Maison-Blanche et les deux chambres du Congrès, les Démocrates défendront agressivement les mêmes intérêts de classe fondamentaux que leurs homologues républicains, ceux de la classe dominante capitaliste. Cela comprendra à la fois des attaques de plus en plus brutales contre les travailleurs à l’intérieur – dont les tentatives de réouverture des écoles et des lieux de travail en pleine pandémie – et les agressions impérialistes prédatrices et potentiellement catastrophiques à l’extérieur, comme le montrent les bombardements en Syrie la semaine dernière.

La seule alternative est celle basée sur la classe ouvrière, sur le développement de la lutte des classes et sur un programme socialiste. La destruction du niveau de vie des travailleurs et l’enrichissement grotesque de la classe dominante posent objectivement la nécessité d’exproprier les oligarques et de placer grandes sociétés et banques sous le contrôle démocratique des travailleurs, et de redistribuer cette immense richesse selon le besoin social, dans le cadre d’une lutte pour le socialisme à l’international.

(Article paru d’abord en anglais le 1er mars 2021)

Loading