«Ils nous considèrent comme des produits jetables»: un livreur d’Amazon à New York s'exprime

Alors qu'Amazon continue de consolider sa domination sur le commerce de détail en ligne, le géant du commerce électronique a également cherché à réduire ses coûts en se développant agressivement dans le secteur de l’expédition, en particulier la livraison au dernier kilomètre. Presque du jour au lendemain, Amazon a mis en place un réseau de livraison massif qui s’occupe aujourd'hui des deux tiers de ses propres colis. D'ici l'année prochaine, les analystes prévoient que le volume de ses colis dépassera celui des entreprises de logistique traditionnelles comme UPS et Fedex.

Amazon a rapidement développé son réseau en franchisant des livraisons locales à des entrepreneurs tiers, système qu’elle a commencé à proposer en 2018. Aujourd'hui, une grande partie des chauffeurs de livraison d'Amazon ne sont pas des employés d'Amazon, mais des employés de ces entrepreneurs locaux.

Camions de livraison Amazon Prime à Gainesville, Floride (Source: Wikimedia Commons)

Le recours à des conducteurs sous contrat présente de nombreux avantages pour Amazon. Dans le cadre de ces accords, le mastodonte de la vente au détail n'est pas responsable du paiement des salaires et des avantages des chauffeurs. Amazon peut donc nier toute responsabilité pour les mauvaises rémunérations, les faibles avantages sociaux, les conditions et les vitesses de travail dangereuses. Amazon décline également toute responsabilité juridique quant à l'application des limites de temps de conduite et des autres réglementations du travail. Elle exige des efforts surhumains de la part des conducteurs tout en rejetant le blâme sur les entrepreneurs pour les accidents qui en résultent.

Michael, 22 ans, est chauffeur pour Amazon dans le comté de Rockland, New York, juste à l'extérieur de la ville de New York. Il s'est entretenu avec l'International Amazon Workers Voice (La voix internationale des travailleurs d’Amazon) au sujet des conditions auxquelles il est confronté. Il livre des colis pour Amazon depuis septembre 2020. Il est employé par un prestataire logistique tiers (3PL), BLMS Logistics, et non par Amazon. Le véhicule qu’il utilise est un fourgon de location de Budget.

Par rapport aux salaires horaires de ses précédents emplois de barman et de livreur pour Uber Eats, les 17,50 dollars offerts par Amazon sont les plus élevés. «En gros, je suis là pour l'argent. Je n'ai pas vraiment d'ami là-bas et je ne le recommanderais pas à quelqu'un d'autre. Ils nous considèrent comme des produits jetables.»

Pendant les dix semaines précédant les vacances, Michael a fait une moyenne de 150 arrêts par jour. Son record était de 172 arrêts en une journée. En comparaison, le chauffeur d'UPS fait en moyenne 125 arrêts par jour, selon un rapport de Reuters datant de 2018.

Un arrêt peut impliquer la livraison de plusieurs colis. Les chauffeurs sont payés pour livrer tous les colis chargés dans leur véhicule au début de chaque quart de travail, et non en fonction du nombre d'heures qu'il faut pour les livrer. Si un chauffeur ne réussit pas à livrer tous ses colis souvent, Amazon trouve un moyen de se débarrasser de lui.

Au début de chaque quart de travail, les conducteurs doivent se connecter à une application qui suit leurs déplacements et les pénalise pour les excès de vitesse. Un travailleur ayant commis deux infractions est licencié. «Si vous n'êtes pas à la hauteur, ils se débarrassent de vous. Pendant les vacances, ils avaient 50 à 60 personnes, et si vous étiez en stand-by, vous étiez quand même payé pour une demi-journée. Mais après les vacances, ils coupent beaucoup de monde.»

Après avoir conduit pendant une demi-heure pour se rendre sur le stationnement de plus d’un hectare du centre de distribution Amazon à Mahwah, dans le New Jersey, où on lui attribue une camionnette, Michael se voit souvent attribuer un itinéraire de livraison pour son retour dans le comté de Rockland, près de son domicile. Après son service, il ramène la camionnette à Mahwah et roule pendant 30 minutes pour rentrer chez lui, soit une moyenne de 10 heures de route par jour.

«Pour être honnête avec vous, je ne fais que tolérer», dit-il, «des maisons inaccessibles, des routes qui traversent des quartiers [mal famés] ... Je n'ai jamais été menacé, mais un de mes amis a eu une rencontre raciste dans une communauté fermée où le gars a dit à la compagnie d'envoyer quelqu'un qui n'était pas noir.»

Diplômé en 2016 de l’école secondaire Ramapo, Michael vient de terminer un diplôme en sciences sociales et humaines au collège communautaire Rockland Community College de Spring Valley, dans l'État de New York. «Je n'aime pas être à l'école, mais j'ai une quête de connaissances. J'ai pensé que je pourrais rejoindre l'Académie navale pour pouvoir être en mer pendant quatre ans et voyager.»

Mais il n'est pas sûr de vouloir faire partie d’un gouvernement qui, selon lui, ne conduit pas des politiques qui soient dans l'intérêt de tous. «Je n'ai pas confiance dans ce système. Les gens parlent de 'notre société', mais elle n'est pas unifiée. Biden a peut-être été élu, mais il n'y a pas de retour en arrière. Trop de choses ont changé, trop de choses ont été remarquées pour revenir en arrière. Surtout pour ma génération, qui est dans la fleur de l'âge. Nous avons besoin de quelque chose de mieux que cela. ... Nous sommes les personnes qui font tout le travail. Ce n'est pas juste que les milliardaires détiennent tout l'argent.»

Michael a soutenu les protestations du printemps dernier au sujet de l'assassinat de George Floyd. «Le policier était sur son cou pendant huit minutes entières pendant que les gens regardaient! C'était terrible, inhumain! Le monde est devenu fou! C'était inspirant de voir que les protestations étaient composées de personnes de toutes les origines ethniques, partout dans le monde. Mais l'autre côté, c'est que la police est toujours là pour faire son travail. Il y a une séparation entre eux et les gens qu'ils sont censés protéger.»

Michael soutient la campagne menée par le World Socialist Web Site pour former des comités de la base (Article en anglais) sur les lieux de travail dans tout le pays. «En tant que jeune, j'estime que nous méritons un salaire équitable, un niveau de vie décent, de ne pas avoir autant de dettes pour notre éducation. Je veux pouvoir vraiment vivre, faire quelque chose de valable qui aide les gens. Je veux obtenir plus d'informations sur ces comités de la base.

«Les conditions sont terribles, quel que soit l'endroit où vous travaillez. Si vous me demandez la marche à suivre, tout d'abord, nous devons être mieux payés, et nous tous – USPS, UPS, FedEx – devrions être payés de la même façon, puisque nous faisons le même travail. Ils livrent même un pourcentage des colis d'Amazon. Deuxièmement, nous devons contrôler notre propre sécurité. Comme vous l'avez dit, plus de 20.000 travailleurs d'Amazon ont attrapé la COVID, et un nombre inconnu d'entre eux sont morts.»

Par rapport aux conditions à l'intérieur des centres d’expédition d’Amazon, «les conducteurs se débrouillent plutôt bien avec les protocoles, la distanciation sociale, etc., mais pour ce qui est des conditions, je ne me sens pas en sécurité.

«Nous prenons un risque chaque fois que nous entrons dans l'entrepôt», a-t-il poursuivi. «Disons que sur 100 à 150 travailleurs à l'intérieur, au moins 10 à 15 ont la COVID, mais ils ne veulent pas que quelqu'un le sache, car ils devraient alors fermer. Mais ils ne le feront pas, parce qu'ils perdraient de l'argent. Il n'y a pas de jours de congé chez Amazon. Même dans une tempête de neige comme aujourd'hui, ils vous envoient un SMS pour vous demander de vous arrêter pendant une heure, plutôt que de décider à l'avance d'annuler les quarts de travail. Ils prennent ces décisions sur un coup de tête.»

(Article paru en anglais le 6 mars 2021)

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