La théorie du «Lab de Wuhan» promue par le New York Times et le Wall Street Journal

Un groupe de scientifiques a publié une lettre ouverte tentant de raviver la fausse affirmation que le coronavirus a été créé dans un laboratoire de Wuhan en Chine et qu'il a été lâché dans le monde par inadvertance (ou intentionnellement). Le corollaire de cette assertion est que la Chine est ainsi directement responsable de la pandémie et de la mort de plus de 2,5 millions d'êtres humains.

La lettre vise à discréditer le prochain rapport de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) sur les origines de la pandémie de COVID-19, qui, selon les scientifiques, exclurait une origine non naturelle de la maladie.

Un laboratoire de l’Institut de virologie de Wuhan [source: Chinatopix via AP] [AP Photo/Chinatopix]

La lettre, intitulée ‘Appel pour une enquête médico-légale internationale complète et sans restrictions sur les origines du Covid-19’ a été publiée bien en vue dans le New York Times, dans un article titré «Certains scientifiques mettent en question l’enquête de l’OMS sur les origines de la pandémie du coronavirus ». Comme le fait remarquer l'article, la lettre ouverte attaque la récente mission de l’OMS et de la Chine à Wuhan. Cette mission a enquêté davantage sur les origines du coronavirus et a trouvé si peu d’indices pour étayer la théorie mettant en cause le laboratoire qu’elle a déclaré qu'une telle piste d'enquête devrait être close.

Le Times, cependant, accepte largement sans critique l’argument de la lettre ouverte que l'enquête OMS-Chine était illégitime et écrit que «d'autres théories persistent» sur la nature du virus. Selon lui, il n'est «pas impossible que la propagation du virus soit lié à un accident de laboratoire. «

Le Wall Street Journal lui, est allé plus loin ; il a critiqué l'équipe OMS-Chine pour avoir reporté un rapport intérimaire sur ses conclusions, préférant se concentrer sur le rapport intégral qui sera publié dans les semaines à venir. Le journal a appelé à «une plus grande transparence» dans l’élaboration de ce rapport et a rejeté le commentaire de l'OMS selon lequel «un rapport de synthèse ne contient pas tous les détails» et que l'équipe préférait publier ses données en une seule fois.

Tout en affirmant qu'ils ont écrit leur lettre ouverte du point de vue ostensible de scientifiques préoccupés, un bref regard sur certains des signataires révèle les véritables motifs qui la sous-tendent. L'un de ses auteurs les plus éminents est Jamie Metzl, qui a indirectement suggéré que le gouvernement chinois avait piraté son site Web pour supprimer la lettre. Metzl était membre du Conseil de sécurité nationale du gouvernement Clinton et directeur adjoint du personnel de la Commission des relations extérieures du Sénat, dirigé par Joe Biden, alors sénateur.

Andre Goffinet lui, a suggéré dans un tweet que l'initiative COVAX de vaccination de l'OMS visant à fournir un accès au vaccin anti-coronavirus aux pays pauvres pourrait être «détournée par la Chine».

Certains des signataires font également partie du groupe «Équipe de recherche autonome radicale décentralisée enquêtant sur le COVID-19», un « collectif scientifique anarchiste » autoproclamé qui s'est réuni pour lutter contre la prétendue «tromperie des grands médias quant aux origines du COVID-19». Son affirmation principale est que l'Institut de virologie de Wuhan a supprimé les données montrant que le SRAS-CoV-2 avait déjà été rencontré, peut-être même dès 2012, et que des échantillons de cas de pneumonie pris au cours de cette période se sont échappés, provoquant à terme la pandémie.

Bien que le groupe n'ait pas beaucoup d'influence dans la communauté scientifique en général, il a été agressivement mis en avant par les médias, en particulier le Washington Post. Il a été mis en vedette dans un article du Post du 5 février affirmant qu'une manière «plausible» par laquelle le virus aurait été lâché serait à partir de l'un des «six établissements de Wuhan dotés de laboratoires BSL-3 pour la manipulation d'agents infectieux», épinglant ainsi l'Institut virologique de Wuhan.

La remarque la plus incendiaire a été faite par le premier signataire, Colin D. Butler, qui a tweeté: «L'OMS aurait-elle apaisé le régime nazi? L'OMS a certainement apaisé le PCC.»

En des termes qui auraient pu être écrits par un assistant de Trump, la lettre affirme qu'«il n'y a pas encore de preuves démontrant une origine entièrement naturelle de ce virus» et qu’il était donc nécessaire d'enquêter davantage sur «une hypothèse d'accident lié à la recherche ». Elle rejette les remarques du responsable de l’équipe de l’OMS, le Dr Peter Embarek, et d’autres membres de l’équipe en affirmant que les «limitations structurelles» rendaient «pratiquement impossible [….] de mener une enquête complète et sans restriction sur toutes les hypothèses pertinentes de l’origine de SRAS-Cov-2»

La lettre appelle également «la communauté internationale» à exiger la norme impossible que l'OMS prouve deux points négatifs : que la Chine n'a pas fabriqué le virus dans un laboratoire et qu'il n'y a pas eu d'ingérence du gouvernement chinois lors de la dernière mission. Faute de quoi, une autre enquête, dirigée par les États-Unis ou par d'autres puissances occidentales, doit être menée. Vraisemblablement, les signataires se porteraient volontaires pour remplir divers rôles.

Le contenu de la lettre ainsi que les opinions des personnes impliquées constitue également la ligne du gouvernement Biden. Dans le prolongement clair de la politique de Trump, immédiatement après la conférence de presse OMS-Chine sur la mission, l'administration Biden a dénoncé avec fureur l'ensemble de son travail. «Nous sommes profondément préoccupés par la manière dont les premières conclusions de l'enquête COVID-19 ont été communiquées et avons des réserves sur le processus utilisé pour les atteindre», a écrit la Maison Blanche dans un communiqué le 13 février.

La déclaration du gouvernement Biden visait l'une des principales conclusions de l’enquête, résumée succinctement par le chef de la délégation Embarek. Celui-ci a fait remarquer que «les résultats suggèraient que l'hypothèse d'incidents de laboratoire est extrêmement peu susceptible d'expliquer l'introduction du virus dans la population humaine. » Embarek a également noté: «Tout le travail qui a été fait sur le virus et la tentative d'identifier son origine continue de pointer vers un réservoir naturel.»

Les commentaires d'Embarek, et les conclusions de la mission OMS-Chine dans son ensemble, concordent avec le vaste corpus de recherches indépendantes de l'Organisation mondiale de la santé qui montre également clairement que le coronavirus a naturellement évolué. Une étude rédigée par des biologistes américains et britanniques, publiée dans Nature au printemps dernier, déclare sans équivoque: «Nos analyses montrent clairement que le SRAS-CoV-2 n'est pas une fabrication de laboratoire ou un virus délibérément manipulé.» Une autre étude d'un groupe de médecins américains écrit dans le New England Journal of Medicine que «le SRAS-CoV-2 ne s'est pas échappé d'un bocal».

(Article paru en anglais le 6 mars 2021)

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