Débrayages généralisés au Myanmar contre le coup d’État militaire du 1er février

De grandes manifestations ont eu lieu lundi dans les principales villes du Myanmar, dont Yangon et Mandalay, et dans d’autres villes du pays, pour demander la fin du régime militaire. Les magasins, les entreprises, les usines et les bureaux du gouvernement sont restés fermés suite à un appel à un arrêt de travail prolongé dans tout le pays. Des milliers de personnes ont rejoint les manifestations malgré la répression sanglante de l’armée et de la police au cours de la semaine dernière, qui a fait au moins 60 victimes.

Les manifestants prennent position derrière une barricade de fortune alors que des policiers antiémeute armés se rassemblent à Yangon, au Myanmar, le lundi 8 mars 2021. (Photo AP)

Dimanche soir, les forces de sécurité ont occupé au moins 20 universités, écoles et hôpitaux publics, notamment à Yangon, Mandalay, Magway, Monywa et Ayeyarwady. Selon l’Irrawaddy, la police et les soldats ont ouvert le feu et utilisé des grenades à percussion dans le but d’intimider les personnes qui s’étaient rassemblées devant un hôpital universitaire dans le township de Yangon, au nord d’Oakkalapa, pour s’opposer à son utilisation par les militaires.

Dans des conditions de forte censure, y compris la détention de dizaines de journalistes depuis le coup d’État du 1er février, les détails des grèves et des manifestations de lundi sont sommaires.

Le Bangkok Post a rapporté: «Dès lundi matin, les travailleurs et autres manifestants ont défilé dans les rues de grandes villes comme Yangon et Mandalay, selon les médias locaux. La plupart des banques sont restées fermées, même si la banque centrale du Myanmar les avait exhortées à reprendre leurs activités».

Selon le Nikkei Asia: «La plupart des banques et des entreprises [à Yangon] étaient fermées lundi et les transports sont restés en grande partie suspendus, car de plus en plus de sociétés, locales et étrangères, ont déclaré qu’elles arrêtaient leurs activités. Le géant danois du transport maritime A.P. Moller-Maersk, qui traite d’importantes cargaisons à destination et en provenance de Yangon, a déclaré qu’il avait suspendu toutes ses opérations pendant au moins une semaine jusqu’au 14 mars».

La chaîne de télévision, France 24, a rapporté que deux manifestants ont été tués lorsque les forces de sécurité ont tiré des grenades paralysantes, des gaz lacrymogènes et des balles réelles dans la ville de Myitkyina, au nord du pays. Un témoin a déclaré à Reuters que les deux personnes avaient reçu une balle dans la tête et étaient mortes sur le coup. Une troisième personne a été tuée lors d’une manifestation dans la ville de Phyar Pon dans le delta de l’Irrawaddy, selon les médias locaux.

France 24 a cité des témoins à Yangon qui ont rapporté que «seuls quelques petits salons de thé étaient ouverts… Les grands centres commerciaux étaient fermés et les usines ne tournaient pas». Elle a également rapporté que des manifestations dans la ville de Dawei, dans le sud du pays, ont eu lieu sous la protection de l’Union nationale karen, l’un des groupes ethniques armés du pays qui sont engagés dans des conflits de longue date avec les militaires.

Un groupement de 18 fédérations syndicales et associations de travailleurs a lancé un appel commun dimanche pour «un arrêt de travail prolongé à l’échelle nationale pour sauver notre démocratie». Les syndicats qui couvrent les secteurs des travailleurs de l’industrie, de l’agriculture, de l’habillement, des transports, des chemins de fer, des mines et de l’énergie ont appelé les dirigeants civiques et les travailleurs, syndiqués ou non, à se joindre aux grèves.

«Poursuivre les activités économiques et commerciales comme d’habitude, et retarder un arrêt général de travail ne fera que profiter aux militaires qui répriment l’énergie du peuple du Myanmar. Le moment est venu d’agir pour défendre notre démocratie», disait la déclaration. Elle appelle à l’expansion du vaste mouvement de désobéissance civile (CDM) pour mettre en œuvre un «arrêt complet et prolongé de l’économie du Myanmar».

Le CDM, qui a débuté parmi les enseignants, le personnel médical et les fonctionnaires du gouvernement, a eu un impact sur la capacité de la junte à fonctionner. Un article de Frontier Myanmar publié lundi explique que bien que le CDM «en soit venu à englober des protestations de rue et des boycottages publics de produits militaires, il a pour base une grève de dizaines de milliers de fonctionnaires, qui a commencé parmi les médecins deux jours après le coup d’État».

«Dans tout le pays, les médecins, les infirmières, les enseignants, les cheminots et le personnel de divers ministères et entreprises ont refusé de travailler, afin de rendre impossible le gouvernement de la nouvelle junte. Des employés du secteur privé dans des secteurs tels que les banques et les transports, considérés comme essentiels à la survie du régime, les ont rejoints».

L'article explique que le mouvement a été en partie inspiré par des soulèvements internationaux, notamment en Tunisie en 2010 et 2011. Bien qu'il soit difficile d'évaluer l'étendue globale de la participation, un directeur général adjoint du ministère de l'électricité et de l'énergie a déclaré à Frontier Myanmar qu'entre 50 et 90 % de l'ensemble du personnel des 11 départements du ministère avait rejoint le MDP, ce qui pourrait avoir contribué à une coupure de courant à l'échelle nationale le 5 mars.

La junte, qui cherche désespérément à mettre fin à la rébellion des fonctionnaires, a menacé une nouvelle fois ce week-end de licencier tous ceux qui ne se sont pas présentés au travail lundi. Un médecin a déclaré à Frontier Myanmar: «Je ne me soucie pas de savoir si ma décision va avoir un effet; je suis prêt à affronter le pire. L’objectif est de se battre pour le retour d’un gouvernement élu. Nous continuerons avec le CDM jusqu’à ce que cela arrive».

Les arrêts de travail généralisés signalés lundi témoignent de la détermination de la classe ouvrière à résister au régime militaire face à une répression de plus en plus brutale. Les manifestants sont tués ou blessés par balle dans les rues, tandis que les forces de sécurité mènent des descentes nocturnes et arrêtent les militants. Dimanche, un responsable local de la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), Khin Maung Latt, est mort en garde à vue de blessures qui laissent fortement penser qu’il a été gravement torturé.

Les travailleurs et les jeunes font preuve d’un courage considérable face à des policiers et des troupes lourdement armés, comme cela a été le cas lors des précédentes révoltes contre le régime militaire. La faiblesse fatale des mouvements de protestation passés a été leur domination politique par la NLD et sa dirigeante Aung San Suu Kyi. Ces dernières craignent plus la menace que représente un mouvement de masse de la classe ouvrière pour le pouvoir bourgeois que le menace que posent les généraux.

En 1988, un énorme mouvement de grève a mis à genoux la junte militaire qui dirigeait le pays depuis des décennies. Suu Kyi, saluée en Occident comme une «icône de la démocratie», a joué le rôle crucial qui a permis aux militaires de réprimer la classe ouvrière. Au point culminant du mouvement, Suu Kyi est intervenue pour inciter les manifestants à croire en la promesse d’élections de l’armée et à «ne pas perdre leur affection pour l’armée». Ses actions ont donné à l’armée un répit bien nécessaire pour préparer une répression sauvage dans laquelle des milliers de personnes ont été tuées. Après avoir stabilisé son régime, l’armée a ignoré les résultats des élections de 1990 et a arrêté Suu Kyi et d’autres dirigeants de la NLD.

Au cours de la dernière décennie, après un accord conclu entre les États-Unis et l’armée, Suu Kyi et la NLD ont servi de façade politique aux militaires. Alors que la NLD a formé le gouvernement après les élections de 2016, les militaires ont conservé les leviers du pouvoir en remplissant le parlement avec ses membres nommés. Aussi ils ont gardé le contrôle des principaux ministères, notamment la défense, la police et les frontières. Suu Kyi a tristement défendu les atrocités commises par l’armée contre la minorité musulmane Rohingya.

Les travailleurs ne peuvent faire confiance à Suu Kyi et à sa NLD, qui représentent une fraction de la bourgeoisie rivale de l’armée. Ils ne peuvent pas faire confiance d’ailleurs aux syndicats qui, bien qu’opposés à la junte, cherchent à détourner la marée montante de l’opposition dans les bras de la NLD. La lutte pour de véritables droits démocratiques est liée à la lutte pour les droits sociaux de la classe ouvrière. Les travailleurs font face à une crise économique et sociale de plus en plus profonde, exacerbée par la pandémie COVID-19. Cela nécessite la mise en place d’organisations indépendantes de la classe ouvrière et une lutte pour le socialisme au Myanmar et au niveau international.

(Article paru en anglais le 9 mars 2021)

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