Des émeutes éclatent au Sénégal après l’arrestation d’Ousmane Sonko

Depuis mercredi dernier des affrontements ont éclaté entre jeunes et forces de l’ordre faisant 5 morts après l’arrestation d’Ousmane Sonko, pressenti comme un des principaux concurrents de la présidentielle de 2024. Ces émeutes soulignent la radicalisation des jeunes et des travailleurs sénégalais et en Afrique de l’Ouest, touchés par la dégradation des conditions de vie depuis le début de la pandémie et par la guerre française au Mali.

Les troubles qui secouent la capitale sénégalaise sont les plus graves depuis 2011, lorsque le président de l’époque Abdoulaye Wade avait comme projet de changer la Constitution afin d’assurer son élection et le passage du pouvoir à son fils après son départ. L’impérialisme français avait alors soutenu l’installation de Macky Sall, toujours au pouvoir. L’arrestation de Sonko a fait exploser un mécontentement plus large qui fait monter la lutte des classes dans les pays d’Afrique de l’Ouest, au Maghreb et internationalement.

Ousmane Sonko, chef du parti des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), arrivé troisième à l’élection présidentielle de 2019, est visé depuis début février par une plainte pour viols et menaces de mort à l’encontre d’une jeune employée d’un salon de beauté. Sonko dénonce « un complot » et une « tentative de liquidation politique » de la part de Sall, destinée, selon lui, à porter atteinte à son éventuelle candidature en 2024. Sonko est le troisième opposant à être arrêté après Karim Wade et Khalifa Sall, eux aussi écartés par d’autres ennuis judiciaires.

Convoqué le 8 février à la gendarmerie, Sonko refuse de s’y rendre en raison de son immunité parlementaire qui fut finalement levée le 26 février. Convoqué devant le juge d’instruction le 3 mars, Sonko affirme ne « pas faire confiance à la justice » et appelle ses soutiens à rester mobilisés. Suite à cette convocation, il est placé en garde à vue pour « troubles à l’ordre public et participation à une manifestation non autorisée ».

L’arrestation de Sonko a été le facteur déclencheur d’une mobilisation bien plus large que ses simples partisans entraînant des jeunes ainsi que des travailleurs sénégalais. Des échanges de jets de pierres et des tirs de gaz lacrymogènes entre des groupes de jeunes et la police ont entraîné la mort d’un homme de 20 ans, Cheikh Coly.

Dans un communiqué, le Mouvement de défense de la démocratie (M2D), une coalition d’opposants, a appelé à trois jours de manifestations à partir de lundi pour réclamer «la libération immédiate de tous les prisonniers politiques illégalement et arbitrairement détenus », le rétablissement du signal suspendu de deux chaînes de télévision accusées d’avoir diffusé « en boucle » des images des troubles, et une enquête sur ce qu’il appelle un « complot » du pouvoir.

Samedi, la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a condamné les violences survenues ces derniers jours au Sénégal, appelant « toutes les parties à la retenue et au calme ». L’organisation a également invité « les autorités à prendre les mesures nécessaires pour apaiser les tensions et garantir les libertés de manifester pacifiquement, conformément aux lois en vigueur ».

Dimanche, les autorités sénégalaises ont annoncé la suspension de l’école sur tout le territoire à partir de lundi et pour une semaine. En plus des deux chaînes privées coupables, selon le gouvernement, d’avoir diffusé « en boucle » des images de violence, les réseaux sociaux, les partages de photos et de vidéos ainsi que les applications de messageries ont subi des restrictions.

Les jeunes ont scandé des slogans tels que « Nous voulons notre liberté et nous n’avons pas peur », « Ousmane Sonko est l’espoir de la jeunesse », et « On en a marre, le président Macky Sall doit se ressaisir et prendre soin du peuple ». Selon l’Agence France-Presse, « des groupes de jeunes scandant ‘Libérez Sonko !’ ont harcelé en jetant des pierres les très nombreux policiers, dans les nuages de lacrymogènes et les déflagrations de grenades assourdissantes ».

Sam Diop, un instituteur de 45 ans qui a parlé au Monde, a dit ne pas être un partisan d’Ousmane Sonko mais qu’ « il faut le libérer, même de façon provisoire, car ça va mal tourner. … Il y a de la frustration et même de la haine. Les Sénégalais en ont ras-le-bol de cette situation ».

A la télévision, le ministre de l’Intérieur a averti qu’il mettrait en œuvre « tous les moyens nécessaires pour ramener l’ordre » et a accusé Sonko d’avoir « lancé des appels à la violence » et à « l’insurrection ». Toutes les personnes qui commettraient des actes criminels « seront traduites en justice », a-t-il poursuivi, évoquant également « un possible allègement du couvre-feu sanitaire ».

Ces manifestations, qui ont la sympathie d’une large masse de la population sénégalaise, s’inscrivent dans l’éruption qui révèle la radicalisation des jeunes et des travailleurs, dans ce pays et en Afrique de l’Ouest, contre la dégradation des conditions de vie des masses depuis la pandémie et l’intervention militaire de l’impérialisme français et mondial dans la région.

Les mesures de restrictions pour faire face à la Covid-19 ont dégradé les conditions de vie. Le secteur de la pêche, secteur clé de l’économie sénégalaise qui représente 16 pour cent des recettes totales des exportations nationales en 2018 et 600 000 emplois directs et indirects, est mis en difficulté par le couvre-feu.

Le secrétaire exécutif de l’Association ouest-africaine pour le développement de la pêche artisanale indiquait en avril 2020 que « certains ont déjà des problèmes pour nourrir leurs familles, car les travailleurs du secteur informel n’ont pas la culture d’économiser et vivent au jour le jour ».

La colère des manifestants au Sénégal est aussi dirigée contre des entreprises originaires de la France, qui a installé Sall au pouvoir 2011 et qui en toute vraisemblance a donné son accord pour l’arrestation de ses opposants. A Mbao, dans la grande banlieue, de nombreuses personnes ont été aperçues sortant les bras chargés de marchandises d’un supermarché Auchan. Au moins quatorze magasins Auchan ont été attaqués et dix « pillés », selon la direction du groupe, et Air France a interrompu son activité.

La force motrice des manifestations au Sénégal est la lutte contre l’impérialisme français et international. La France mène des opérations militaires néocoloniales en Afrique de l’Ouest et au Sahel pour maintenir ses intérêts dans la région en maintenant des régimes fantoches. Après l’intervention de l’Otan en Libye, la France sous Hollande mène une guerre au Mali, qui s’est intensifiée sous Macron, où stationnent plusieurs milliers de soldats contre les rebelles s’accompagnant d’une hausse de massacres ethniques.

Sonko est incapable de répondre aux aspirations démocratiques des jeunes et des travailleurs au Sénégal, ni de résoudre la crise sociale et économique provoquée par la politique d’immunité collective menée par les USA et l’Union européenne face à la pandémie de COVID-19.

La lutte pour les droits démocratiques au Sénégal nécessite la mobilisation de la classe ouvrière sénégalaise et internationale avec derrière elle les masses opprimées dans une lutte pour le socialisme contre l’impérialisme français et international.

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