L'UE lève l'immunité parlementaire de l'ancien premier ministre de la Catalogne Carles Puigdemont

Le Parlement européen a levé l'immunité de trois parlementaires catalans, dont l'ancien premier ministre régional catalan, Carles Puigdemont. C'est là une première étape pour obtenir leur extradition vers Madrid, où ils risquent d’etre condamnés à dix ans de prison pour avoir appelé à des manifestations pacifiques et à un référendum sur l'indépendance de la Catalogne en octobre 2017.

Carles Puigdemont (source: govern.cat)

Lors d'un vote mardi, 404 députés européens (eurodéputés) des blocs libéral, conservateur et social-démocrate ont soutenu une résolution parrainée par le groupe des conservateurs et réformistes européens (CRE), qui comprend le parti fasciste Vox. Ce vote a levé l'immunité de Puigdemont et des anciens députés européens Antoni Comín (ancien ministre régional catalan de la Santé) et Clara Ponsatí (ancienne ministre de l'éducation). Il y eut 247 voix contre ; 42 députés se sont abstenus. Le Parti socialiste espagnol au pouvoir (PSOE), le Parti populaire de droite, les partis Citoyens et Vox ont voté pour.

Cette décision sans précédent est un avertissement à la classe ouvrière européenne. Les principaux partis européens gouvernementaux ont fait bloc pour adopter une résolution émanant du principal parti fasciste espagnol et visant à persécuter les législateurs catalans. Elle est appuyée par le PSOE avec la complicité active du parti de pseudo-gauche Podemos. L'UE a ainsi donné sa bénédiction politique à la campagne fasciste anti-catalane de Madrid, le principal moyen par lequel la classe dirigeante espagnole est intervenue pour déplacer l’axe politique vers la droite.

Dans le contexte de l’hécatombe résultant de sa politique d '«immunité collective» dans la pandémie – c'est-à-dire du principe que les profits doivent primer sur la vie humaine alors que plus de 800 000 personnes sont déjà mortes en Europe – la classe dirigeante européenne soutient la campagne anti-catalane. Derrière cela il y a le fait que la bourgeoisie européenne est au bout du compte d'accord avec Madrid sur la nécessité de construire des États policiers dans toute l'Europe. La cible principale n'est pas ici la perspective bourgeoise et sécessionniste banqueroutière des nationalistes catalans, mais le militantisme montant et les grèves chez les travailleurs et les jeunes

Le rapport présenté par l'eurodéputé bulgare Angel Dzhambazki, tristement célèbre en Bulgarie pour son agitation anti-LGBT et anti-Rom, a été approuvé le mois dernier par la Commission des affaires juridiques du Parlement européen. Quinze eurodéputés de la commission ont voté pour, huit contre, avec deux abstentions.

Après l'adoption du rapport de Vox, le gouvernement du PSOE l'a repris. Iratxe García, chef du bloc social-démocrate au Parlement européen, l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates, a déclaré peu après le vote: «Je tiens à remercier le travail que la délégation socialiste espagnole a accompli ces derniers mois pour garantir le succès que nous avons réalisé lors de ce vote aujourd'hui. «

Quelques heures après le vote, le juge à la Cour suprême espagnole Pablo Llarena – le juge qui mène la persécution des nationalistes catalans depuis 2017 – a demandé à la Cour de justice de l'UE (CJUE) une décidion préliminaire sur comment interpréter un ordre d'extradition pour les députés européens conformément au droit de l'UE.

Cela vise à empêcher la justice belge de rejeter les mandats d'arrêt européens contre les trois eurodéputés catalans. En janvier, les tribunaux belges avaient refusé d'extrader un autre ancien membre du gouvernement régional catalan de Puigdemont, Lluís Puig. Le juge belge a rejeté les demandes de la Cour suprême de Madrid, déclarant qu'elle n'avait pas le pouvoir de demander l'extradition et de juger Puig. De plus, selon lui, rien ne garantissait que la Cour suprême espagnole respecterait les droits fondamentaux de Puig, tels que la présomption d'innocence.

La justice espagnole, soutenue par l'ensemble de l'appareil d'État, espère que la Cour de justice de l'UE soutiendra sa campagne anti-catalane, annulant les décisions de la cour belge. Llarena pourrait émettre un nouveau mandat d'arrêt européen si la décision de la CJUE soutient son dossier. En outre, quelques minutes après la décision du Parlement européen, un tribunal espagnol a révoqué le régime de prison ouverte accordé à sept prisonniers politiques catalans, faussement condamnés pour leur implication dans le référendum de 2017 et les manifestations pacifiques.

Le soutien de l'UE à la campagne anti-catalane démasque aussi les nationalistes catalans. Après le vote de mardi, Puigdemont a déclaré: «La démocratie européenne a perdu. Nous avons perdu notre immunité, mais le Parlement européen a perdu beaucoup plus. C'est clairement une persécution politique. »

En fait, l'UE a continuellement soutenu les politiques d'État policier de Madrid depuis la répression massive du référendum catalan en 2017, qui a vu plus de 1000 électeurs pacifiques blessés. Cela n'a pas empêché les nationalistes catalans de continuer à promouvoir l'illusion que l'UE «démocratique» interviendrait pour mettre un terme aux mesures d'État policier de la bourgeoisie espagnole en Catalogne. L'UE est en fait en train d’intensifier son soutien à la campagne policière de Madrid.

En Espagne, le principal parti séparatiste catalan, la Gauche républicaine de Catalogne (ERC), continue d'être un pilier essentiel du gouvernement minoritaire PSOE-Podemos – votant pour les budgets de l'État espagnol – alors même que le gouvernement continue d'incarcérer plusieurs de ses hauts responsables, y compris le leader de l'ERC, Oriol Junqueras.

Les nationalistes catalans sont des éléments pro-austérité, pro-OTAN, craignant bien plus la classe ouvrière que la persécution par Madrid.

Ils se sont joints aux dénonciations hystériques des manifestations de jeunes contre l'incarcération du rappeur Pablo Hasél par le gouvernement PSOE-Podemos. La campagne ‘Loi et Ordre’ menée par Vox a reçu le plein soutien des nationalistes catalans. Miquel Sàmper, ministre régional de l'Intérieur du gouvernement catalan (Ensemble pour la Catalogne - JxCat) de Puigdemont a déclaré hystériquement que «le communisme combatif» et un «grand nombre de criminels de droit commun» dirigeaient ces manifestations.

Après que des centaines de milliers de personnes ont manifesté à Barcelone contre l'emprisonnement de nationalistes catalans en 2019, les partis et associations nationalistes catalans n'appellent pas à des manifestations significatives contre la décision de l'UE. De toute évidence, ils craignent que les manifestations des jeunes ne rencontrent et ne radicalisent l'opposition généralisée aux mesures d'État policier de la bourgeoisie espagnole.

La levée de l'immunité des dirigeants catalans démasque surtout, une fois de plus, la faillite de Podemos. Bien qu'il ait essayé de se couvrir en votant contre la résolution au Parlement européen, il est partenaire du gouvernement PSOE-Podemos qui a soutenu la résolution de Vox dans l'UE. Podemos fait lui-même partie du régime d'État policier qui émerge rapidement en Espagne.

En juillet 2019, Iglesias, le dirigeant de Podemos, a promis une «loyauté totale» au PSOE sur toutes les questions d’État, y compris la politique étrangère et donc la répression étatique en Catalogne. Des mois plus tard, lorsqu'une douzaine de dirigeants catalans ont été frauduleusement inculpés de sédition, Iglesias a déclaré: «Tout le monde doit respecter la loi et accepter le verdict.» À l'époque, les rues des villes de Catalogne étaient remplies de dizaines voire de centaines de milliers de manifestants.

Des partis pseudo-de gauche similaires accélèrent la tendance à des formes de gouvernement d'État-policier à travers l'Europe. L’allié français de Podemos, La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, a voté au parlement plusieurs dispositions de la loi « anti-séparatisme » réactionnaire et antimusulmane. Le Parti de gauche allemand s'est associé à la campagne anti-migrants menée par l'État et l'appareil policier allemands.

Alors que la pandémie a initialement provoqué une accalmie de la campagne anti-catalane, elle a soudainement été attisée ces derniers mois sur fond d’opposition croissante à la politique d '«immunité collective» du gouvernement PSOE-Podemos sur la pandémie, qui a fait plus de 100 000 morts et 3,2 millions d’infectés en Espagne.

En octobre (article en anglais), la police espagnole a ridiculement affirmé que la Russie prévoyait d'envahir la Catalogne en 2017 pour soutenir les sécessionnistes, avançant des allégations loufoques et non fondées que le Kremlin aurait proposé à Puigdemont de déployer 10.000 soldats dans la région. Le même mois, la Cour suprême espagnole confirma une interdiction de fonction publique de 18 mois contre le premier ministre régional catalan Quim Torra, suite à des fausses accusations de ‘désobéissance’, entraînant sa destitution.

Au cours des derniers mois, Podemos est devenu le principal instrument par lequel un establishment au pouvoir de plus en plus fascisant met en œuvre sa politique. Le gouvernement Podemos adopte de plus en plus le programme de Vox. Il persécute (article en anglais) sans relâche les migrants, incarcère des dirigeants catalans et des rappeurs (article en anglais) et dénonce les manifestations de jeunes. Dans le même temps, il inonde les entreprises et les banques de 140 milliards d'euros, grâce au soutien de Vox au parlement, et minimise les menaces de coup d'État de la part de sections de l'armée, qui discutent de leur soutien au meurtre de «26 millions» de gens de gauche.

Le rôle de Podemos dans la campagne anti-catalane confirme les avertissements du WSWS: les prétentions de Podemos à représenter une faction «progressiste» de l'establishment politique espagnol sont des mensonges politiques. La classe ouvrière ne peut pas «faire pression» sur les «populistes de gauche» de Podemos pour obtenir des concessions sociales, une politique moins cruelle et moins répressive, ou une approche scientifiquement fondée pour combattre le coronavirus. Ils sont eux-mêmes étroitement associés à la campagne menée par la bourgeoisie pour adopter des formes autoritaires de gouvernement.

(Article paru en anglais le 13 mars 2021)

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