Le gouvernement marocain et sa police agressent violemment des enseignants qui manifestent

Mardi et mercredi derniers, la police antiémeute et des policiers en civil marocains ont monté une violente répression contre une manifestation pacifique de milliers d’enseignants dans la capitale, Rabat.

Les enseignants protestaient contre les conditions des contrats temporaires à durée déterminée avec lesquels des dizaines de milliers d’entre eux ont été embauchés depuis 2016. Selon les termes de ces contrats, les enseignants ont des pensions plus faibles, une sécurité d’emploi moindre et ne peuvent obtenir de postes dans des écoles d’autres régions du pays. Avant 2016, ils étaient embauchés en tant que fonctionnaires relevant du ministère de l’Éducation nationale. Les enseignants ont averti que l’objectif de ces mesures était de mettre fin au système d’éducation publique au Maroc.

Manifestation des enseignants à Rabat, Maroc, la semaine dernière

Mardi et mercredi, des milliers d’éducateurs ont donc rejoint une marche de protestation dans la capitale et tenté d’organiser un sit-in de protestation pacifique devant le bâtiment du parlement et le ministère de l’Éducation.

Prenant pour prétexte la pandémie de coronavirus, le gouvernement a affirmé que la manifestation constituait un danger pour la santé publique et a ordonné à la police de disperser la foule violemment. Des vidéos largement partagées sur les réseaux sociaux montrent la police antiémeute qui chargeait la foule des travailleurs. Dans d’autres vidéos, on peut voir des policiers en civil agresser des enseignants et les frapper à coups de pied.

La police marocaine agressant un enseignant

On a partagé sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #protect_teachers_in_morcco, des images d’enseignants ensanglantés et battus dans les rues. Les médias ont rapporté que la police avait suivi des enseignants qui rentraient à l’hôtel et les avait arrêtés, au motif qu’ils s’étaient rendus dans la capitale pour participer aux manifestations. Le syndicat de l’éducation a indiqué que le gouvernement avait interdit aux enseignants de réserver des chambres d’hôtel pendant la période précédant la manifestation.

L'un des enseignants battu par la police

Si le gouvernement a affirmé qu’il s’opposait à la manifestation en raison de craintes sur la propagation du virus, il a violemment réprimé des manifestations similaires qui ont eu lieu régulièrement à partir de 2018.

Un enseignant travaillant au Maroc, qui s’est entretenu avec un journaliste pour cet article, a décrit les conditions des éducateurs dans le pays.

Les enseignants «restent des “enseignants contractuels” bien qu’ils fassent le même travail que les enseignants officiels», a-t-il déclaré. «Il est important d’indiquer que le nombre total de ces enseignants a atteint plus de 102.000 à ce jour… Nous étions obligés d’être des enseignants contractuels. En fait, on n’avait pas de choix… De nombreux enseignants ont été contraints de signer les contrats sans même avoir eu le temps de lire les [termes]. Par conséquent, on nous a présenté seulement deux choix: ces contrats ou le chômage».

«Nous n’avons pas les mêmes droits… La retraite, par exemple, est une question importante qui marque la différence entre les enseignants contractuels et les enseignants officiels. Peu importe combien de temps nous, enseignants contractuels, travaillons. Notre retraite sera faible et ne pourra pas dépasser 350 euros par mois, alors que les fonctionnaires peuvent avoir jusqu’à 1.200 euros».

«En tant qu’enseignants contractuels, nous n’avons pas le droit de devenir professeurs d’université, même si nous avons toutes les qualifications requises pour ces emplois. Au contraire, les autres enseignants ne rencontreront aucun problème s’ils veulent postuler pour enseigner à l’université.»

En outre, les enseignants contractuels sont confinés à travailler dans la région où on les a embauchés. «Par conséquent, il y a beaucoup de couples mariés qui vivent dans des conditions difficiles, dans lesquelles les couples sont parfois originaires de différentes régions du pays.»

Il ajoute que le système d’enseignement contractuel vise, «à long terme, à effacer l’emploi public dans l’enseignement, ce qui est le but ultime du gouvernement marocain.»

Un manifestant blessé lors de l'attaque de la police

Les grèves de l’enseignement au Maroc ont coïncidé avec les manifestations et les grèves massives du Hirak qui ont éclaté dans l’Algérie voisine, déclenchées par l’annonce de la cinquième candidature d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence. Les manifestations ont forcé la destitution de Bouteflika, le régime restant au pouvoir.

La violente répression policière reflète les craintes immenses de la classe dirigeante marocaine qu’une nouvelle vague de protestations puisse déclencher un mouvement plus large dans l’ensemble de la classe ouvrière de la région. Les conditions de pauvreté et d’inégalité sociale dans le pays, qui étaient déjà explosives, se trouvent encore exacerbées par la pandémie de coronavirus.

Le chômage officiel a bondi de 9,2 pour cent en 2019 à 11,9 pour cent en l’espace d’un an. Le nombre total de chômeurs est monté de 30 pour cent pour atteindre presque un million et demi, du à des licenciements à grande échelle dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche.

Les jeunes ont été les plus touchés. Le chômage a augmenté de 6,2 pour cent et atteint à présent 31,2 pour cent chez les 16 à 24 ans. La Banque mondiale a estimé que la pandémie avait entraîné une contraction de 6,3 pour cent de l’économie marocaine pour 2020.

(Article paru d’abord en anglais le 23 mars 2021)

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