Critique de livre: Lucky: How Joe Biden Barely Won the Presidency

Pourquoi le Parti démocrate ne pourra jamais être réformé

Le Parti démocrate se classe, aux côtés des conservateurs en Angleterre, comme le plus ancien parti politique capitaliste du monde. Cette décennie, il entrera dans son troisième siècle d’existence, portant derrière lui un bilan de grands crimes sociaux.

À ses débuts, c’était le parti d’Andrew Jackson et du déplacement des autochtones. Dans son enfance, il a mené une guerre pour l’expansion puis la défense de l’esclavage. Son jeune âge a été marqué par la répression violente de la classe ouvrière au lendemain de la guerre civile et une couverture «humanitaire» à l’apparition sanglante de l’impérialisme américain sur la scène mondiale. Entrant dans la maturité au XXe siècle, le Parti démocrate a lancé deux guerres mondiales, largué deux bombes nucléaires et mené des guerres néocoloniales en Corée et au Vietnam. Au 21e siècle, il a remplacé la réforme sociale par une politique identitaire, a renfloué les banques et détruit de larges pans du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de l’Asie centrale.

En 2021, les Socialistes démocrates d’Amérique (DSA) soutiennent toujours que le socialisme ne peut venir que de l’intérieur de ce parti capitaliste. Ils disent: élisez de bons démocrates, placez de bonnes personnes dans les rouages de la machine de ce parti, et tout ira bien. Appliquez suffisamment de pression et après 200 ans, les démocrates verront enfin la lumière divine!

Lucky: How Joe Biden Barely Won the Presidency -

Quiconque croit encore à ce mythe devrait lire le récent récit d’Amie Parnes et Jonathan Allen sur les élections de 2020 intitulé Lucky: How Joe Biden Barely Won the Presidency (Chanceux: Comment Joe Biden a remporté la présidence de justesse). Lucky montre comment la classe dirigeante, à travers le Parti démocrate, met à profit plus de 200 ans d’expérience pour accomplir sa tâche principale: écraser l’opposition de gauche et faire en sorte que les intérêts des travailleurs n’aient aucun impact sur la politique étrangère ou intérieure de l’État.

Le livre est basé sur des entretiens avec le personnel des principales campagnes primaires démocrates, alors prenez une poignée de pilules anti-nausées et jetez un coup d’œil derrière le rideau. Ce qui rend Lucky remarquable, c’est que son caractère révélateur est totalement involontaire. Parnes et Allen sont si complaisants, sans originalité et si profondément ancrés dans le milieu de la politique du Parti démocrate qu’ils ne se rendent pas compte que leur tentative d’hagiographie est en fait une mise à nue dévastatrice.

Parnes et Allen décrivent sans critique un parti composé de personnes qui traitent la pandémie de coronavirus et les souffrances massives qu’elle a provoquées avec une indifférence presque totale. Les auteurs citent la confidente d’Obama-Biden Anita Dunn, expliquant qu’elle «a dit à un associé ce que les responsables de la campagne pensaient mais ne diraient jamais en public à propos des effets de la maladie sur le succès de Biden. «La COVID est la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée.»

De même, l’assassinat par la police de George Floyd n’est significatif que par son impact immédiat sur les campagnes électorales: «Les assassinats par la police et les manifestations violentes ont creusé un fossé clair entre les jeunes électeurs noirs et blancs», remarquent les auteurs. Ces gens sont hyperpragmatiques, indifférents et incapables de regarder au-delà des nouvelles. Il va de soi que personne n’a aucun principe politique et que tout le monde dira n’importe quoi pour se faire élire.

La seule constante est une hostilité viscérale au socialisme ou à tout ce qui ressemble à la politique de gauche.

«Ce ne sera pas le parti de Bernie», a déclaré Bill Clinton lors des primaires. Les auteurs, exprimant simultanément leurs propres craintes, notent que le Parti démocrate «voyait l’extrême gauche comme un obstacle à la reconquête du pouvoir et un groupe effrayant qui, si on lui donnait suffisamment d’autorité, en prendrait trop aux nantis et en donnerait trop aux démunis.» Lorsque Sanders semblait sur le point de gagner les plus grands États du Texas et de Californie lors du Super Mardi, les auteurs citent un «poids lourd du parti» sans nom affirmant: «une panique s’est installée». (Nous reviendrons momentanément sur l’opération de Caroline du Sud qui a écrasé la campagne de Sanders).

Les auteurs citent une profonde préoccupation démocrate à propos des sondages montrant qu’une majorité d’électeurs des primaires de l’Iowa soutenaient les politiques socialistes. Cela est devenu la fixation du parti.

Contrairement à la stratégie des DSA, plus il y avait de pression d’en bas, plus le parti devenait résolu dans ses efforts pour écraser la menace du socialisme. Voilà une leçon fondamentale de la politique du Parti démocrate.

Parnes et Allen écrivent que le Parti démocrate envisageait activement de soutenir Trump si Sanders remportait l’investiture. De nombreux chefs de parti, écrivent-ils, «n’étaient pas sûrs de ce qu’ils feraient si cela revenait à Trump et Sanders lors d’une élection générale. Fondées ou non, leurs craintes de perdre leur parti au profit du socialisme rivalisaient avec leurs craintes de voir Trump remporter un second mandat.»

La classe dirigeante n’avait pas peur de Sanders lui-même ni de ses collègues membres des DSA comme Alexandria Ocasio-Cortez, qui, notent les auteurs, «souhaitait de toute façon étendre son territoire politique au-delà des frontières de l’extrême gauche». Les dirigeants démocrates savaient que ce sont des joueurs d’équipe qui ne désobéiront pas aux ordres. Ce ne sont pas des figures de l’opposition, ils font partie de l’establishment politique et ils jouent un rôle essentiel dans sa défense.

En 2020, Sanders et les membres du Congrès des DSA n’ont pas été victimes d’un stratagème visant à les mettre à l’écart, ils étaient des participants actifs et conscients d'un plan visant à réprimer le véritable «groupe effrayant» – leurs propres partisans – qui les ont soutenus par erreur en les estimant d’authentiques opposants à l’inégalité sociale et à la guerre.

Les auteurs notent avec gratitude la souplesse de Sanders après la primaire de 2016, lorsqu’il a fait campagne avidement pour Hillary Clinton. Cette fois, Sanders a causé encore moins de problèmes avant la convention et a pratiquement disparu du scénario post-Super Mardi comme un acteur de feuilleton dans un différend contractuel. Il a passé la seconde moitié de 2020 à risquer tranquillement sa propre vie en pleine pandémie (il avait subi une crise cardiaque en 2019) et à parcourir le pays à fouetter ses propres partisans réticents pour qu’ils appuient Biden, qui l’a plus tard snobé du cabinet. Il n’y a aucune référence à des concessions que Sanders aurait pu obtenir de Biden après avoir remporté 10 millions de voix lors des primaires.

La politique d’identité a été la torpille qui a coulé la campagne de Bernie Sanders. Parnes et Allen commentent que «contrairement à Trump, qui a utilisé la race pour définir sa tribu politique, Biden l’avait utilisée comme point d’appui.»

Il y a une part de vérité derrière ce commentaire irréfléchi: la politique identitaire était un point d’appui utilisé par Biden pour se faire passer pour la gauche tout en faisant progresser de plus en plus de politiques de droite. Parnes et Allen écrivent: «Pour passer la primaire sans être trop poussé vers la gauche, [Biden] voulait trouver des moyens de signaler aux progressistes qu’il partageait des valeurs avec eux.» Ses collaborateurs craignaient qu’en collectant des fonds à Wall Street, il s’aliénerait les électeurs de gauche. Afin de «se dérober aux grands donateurs», il a dû «recruter du personnel plus diversifié aux niveaux supérieurs».

Un des principaux conseillers de Biden lui a dit: «Ayez une femme de couleur qui vous accompagne.» Parnes et Allen ajoutent: «Il voulait dire qu’il devrait être visuellement évident pour les électeurs que la représentation importait.» En d’autres termes, tromper les électeurs en prenant des photos avec des Noirs. C’est à ce niveau que pensent ces gens.

La «race» est une sorte de monnaie professionnelle utilisée par les courtisans du Parti démocrate pour promouvoir leur propre carrière et détruire leurs rivaux. Tout est un problème racial dans la mêlée sale au sommet de la pile d’ordures démocrates.

Les partisans de l’utilisation de Zoom étaient racistes parce que «les Noirs n’utilisent pas Zoom», a déclaré Simone Sanders, conseillère de Biden et ancienne assistante de Bernie Sanders. Les agents qui ont fait valoir qu’il était dangereux pour les campagnes de frapper aux portes lors des élections générales en raison de la pandémie étaient également racistes: «Un courant sous-jacent de tension raciale au sein du parti a bousculé la dynamique de la controverse sur le fait de cogner aux portes», écrivent Parnes et Allen, parce que les Blancs n’aiment apparemment pas que les gens frappent à leur porte.

À un moment donné, les conseillers se sont apparemment battus au sujet du degré de pigmentation de la peau de divers candidats potentiels au poste de vice-président. Parnes et Allen citent un conseiller en disant: «L’autre chose qui se passe, c’est que Stacey est une femme noire foncée et Kamala a la peau plus claire.»

L’absurdité comique de la politique identitaire du Parti démocrate a été révélée dans les efforts de Biden pour solliciter le soutien d’Al Sharpton pour consolider sa bonne foi parmi les électeurs noirs. «La bague du révérend Al devait être embrassée», expliquent Parnes et Allen, ajoutant (étrangement) que Biden voulait que Sharpton soit sa «moitié Sherpa et moitié veste pare-balles» parmi les électeurs noirs.

Voici la description que Parnes et Allen donnent de l’homme que le Parti démocrate présente comme représentant de tous les Noirs:

Autrefois acolyte potelé de Jesse Jackson qui a été rejeté par une grande partie de l’Amérique blanche comme un agitateur bruyant, Sharpton, soixante-quatre ans, a maintenant mangé du pain grillé sec, siroté du thé et soufflé des cigares dans Le Grand Havana Room de Manhattan aux côtés de cibles ponctuelles de ses protestations, comme l’ancien maire de New York Rudy Giuliani.

Des dizaines de millions de travailleurs noirs en difficulté peuvent être pardonnés s’ils ne pensent pas que fumer des cigares avec des fascistes est la terre promise dont le Dr King parlait à Memphis la veille de son assassinat. Sharpton et les principaux démocrates noirs comme James Clyburn de Caroline du Sud ne représentent pas plus les «Noirs» que Trump ne représente les «Blancs». Ce sont des égocentriques corrompus et des opposants aux travailleurs de toutes origines. Ils ont utilisé le nationalisme racial pour forcer la nomination de Biden, qui a défendu des projets de loi anticriminalité conduisant à l’incarcération de centaines de milliers de jeunes noirs pauvres.

Nulle part cela n’a-t-il été plus vivement démontré qu’en Caroline du Sud.

Le 29 février 2020, date de la primaire de cet État, Bernie Sanders avait remporté le caucus de l’Iowa, la primaire du New Hampshire et le caucus du Nevada. Il grimpait à l’échelle nationale dans les sondages et les électeurs primaires appuyaient massivement ses propositions pour des soins de santé universels et des impôts sur les riches.

Les auteurs reconnaissent qu’au début de ce printemps, le Parti démocrate avait mobilisé les bureaucraties syndicales dans un effort pour couler la campagne de Sanders sur une base anticommuniste. Les DSA soutiennent également que ces organisations propatronales défendent les intérêts des travailleurs.

L’opération consistant à utiliser les syndicats pour écraser Sanders était en plein déploiement au Nevada, où UNITE HERE a déclaré à Sanders: «Medicare pour tous allait un peu trop loin.» De même, le «Syndicat des travailleurs culinaires a informé ses membres qu’il s’opposait à Medicare pour tous». Les menaces des bureaucrates visaient à intimider les travailleurs qui votaient dans les caucus en personne.

Parnes et Allen expliquent que «la décision de caucus pour Sanders signifiait s’opposer aux mêmes délégués syndicaux qui négociaient des contrats avec la direction et influençaient les promotions, les salaires et les avantages sociaux des travailleurs. Le message du syndicat était clair: n’importe qui sauf Bernie. Et, dans un caucus, il n’y avait pas de scrutin secret.

Néanmoins, les travailleurs de Las Vegas et de Reno ont répudié les bureaucraties et Sanders a remporté le caucus d’État par une écrasante avance. Il était sur le point de gagner les États les plus peuplés lors du Super Mardi. Cela a effrayé davantage le Parti démocrate.

Quatre jours avant le vote de la Caroline du Sud, lors d’un débat à Charleston coorganisé par le Congressional Black Caucus, Biden a lancé une litanie d’appels raciaux et a conclu en s’engageant à nommer une femme noire au premier siège ouvert à la Cour suprême. Le lendemain matin, le membre du Congrès James Clyburn a annoncé son approbation de Biden dans un appel racial ouvert: «Nous connaissons Joe, mais surtout, il nous connaît.»

Après que Biden ait remporté la primaire de Caroline du Sud, la machine démocrate est passée à l’action, présentant le vote dans ce petit État républicain sûr comme une preuve définitive que les électeurs noirs veulent Biden et que la primaire doit donc prendre fin. Le siège de la campagne de Biden avait préparé une liste des «élites démocrates qui aimaient Biden mais soutenaient d’autres candidats. C’étaient ces personnes sur lesquelles on pouvait s’appuyer pour faire pression sur leurs propres favoris pour qu’ils quittent la course à un moment crucial.»

Barack Obama «a fait une série d’appels aux rivaux de Biden après la Caroline du Sud», écrivent Parnes et Allen, alors que l’État et le parti décidaient que la primaire était terminée.

Peut-être depuis la véranda de son manoir nouvellement acheté de 12 millions de dollars sur Martha’s Vineyard, Obama a appelé Amy Klobuchar, qui «était assez intelligente pour savoir qu’il n’appelait pas pour l’encourager à se battre pour chaque dernier vote.» Il a appelé Pete Buttegieg et lui a dit: «Pete, tu n’auras jamais plus d’influence que maintenant.»

Même le nonagénaire Jimmy Carter a été appelé pour mettre le holà sur la campagne de Buttegieg, l’invitant dans une taverne accueillante de Géorgie et lui ordonnant de mettre fin à sa course. Klobuchar et Buttegieg ont rapidement abandonné et donné leur appui à Biden, tandis qu’Elizabeth Warren est restée dans la course pour siphonner les votes progressistes de Sanders. En conséquence, Sanders a été écrasé lors du Super Mardi.

Sanders a accepté son destin pathétique sans même un gémissement. Dans un débat en tête-à-tête avec Biden plus tard ce printemps, Parnes et Allen décrivent comment le socialiste autoproclamé a agi comme un ailier fidèle du sénateur du Delaware de Citibank: «Sanders a fait valoir ses arguments mais n’a pas attaqué sérieusement Biden. Il était quasiment impossible pour un candidat à la traîne de rattraper son retard sans toucher le favori, mais Sanders savait que personne dans le parti n’était d’humeur pour une lutte acerbe en pleine crise de santé publique et économique.

Le livre fournit d’autres informations intéressantes. Nous apprenons que Biden a un tempérament irlandais et qu’il s’endort assez tôt le soir venu, de sorte que les assistants ont tenté d’éviter les départs tardifs des débats télévisés. On nous dit que David Sirota de Jacobin a reçu un salaire de 150.000 $ en tant que membre du personnel de Sanders, où ses responsabilités consistaient en grande partie à renforcer Sanders sur Twitter: pas étonnant que les DSA soient à l’aise au sein du Parti démocrate! Hillary Clinton, qui ne cesse de rôder, a également entretenu à plusieurs reprises l’idée d'entrer dans la primaire en tant que candidate de l’unité, tout comme John Kerry. Parnes et Allen décrivent comment Kerry a décidé qu’il ne se présenterait pas cette fois-ci:

Peut-être que je suis en train de me faire des put**** d’illusions, a déclaré Kerry, alors qu’il commençait à considérer concrètement les implications d’une candidature tardive à la présidence. «Je devrais abandonner Bank of America», où il siégeait au conseil d’administration. «Je devrais renoncer à mes conférences.» Il venait juste de finir de payer sa maison, disait-il, et aurait «assez pour vivre» – quelques millions de dollars en banque – pour «être en mesure de voir si je fais l’affaire» comme candidat.

Pensées profondes d’un homme d’État.

Voilà à quoi ressemble le Parti démocrate à l’intérieur. Il n’y a pas de division entre les démocrates «de l’establishment» et ceux du «non-establishment». Le Parti démocrate est l’establishment, c’est l’État, c’est la CIA, l’armée et le FBI. C’est une institution à travers laquelle la classe capitaliste maintient son autorité, réprime l’opposition sociale et pille le monde au nom des sociétés. Les vrais socialistes n’ont que du mépris pour ceux qui disent aux travailleurs et aux jeunes que le chemin du socialisme passe par ce cloaque de réaction politique.

(Article paru en anglais le 23 mars 2021)

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