L'armée du Myanmar abat 114 manifestants: le bilan journalier le plus meurtrier

Samedi, au cours d’une répression sanglante, la police et les troupes du Myanmar ont tué par balles au moins 114 personnes alors que les manifestations se poursuivaient dans tout le pays contre le coup d’État militaire du 1er février qui a renversé le gouvernement élu dirigé par Aung San Suu Kyi. Selon le dernier décompte de l’Association d’assistance aux prisonniers politiques, au moins 423 personnes ont été tuées depuis le coup d’État.

Comme la junte renforce sa censure, les détails de ce qui se passe dans les rues du Myanmar sont de plus en plus limités. Depuis le 18 mars, les derniers journaux indépendants du régime ont suspendu leurs publications, laissant la population dépendante des médias en ligne et des médias sociaux, qui ont également été frappés par les restrictions et les fermetures imposées par la junte.

Des manifestants prennent position derrière une barricade de fortune alors que des policiers antiémeute armés se rassemblent à Yangon, au Myanmar, lundi 8 mars 2021. (Photo AP)

Dans son bilan des violences commises par les militaires, Myanmar Now a confirmé que le plus grand nombre de victimes s’était produit dans les deux plus grandes villes: 28 morts à Yangon et 38 à Mandalay. Les meurtres se sont toutefois étendus à l’ensemble du pays, ce qui témoigne de l’ampleur du mouvement de protestation contre le coup d’État. La publication Internet a fourni quelques détails sur les événements survenus dans les townships de Yangon:

  • Au moins quatre personnes ont été tuées et plusieurs autres blessées dans la banlieue de Dala lorsque les troupes ont ouvert le feu sur des manifestants qui se trouvaient devant un poste de police pour demander la libération de deux femmes.
  • Quatre personnes ont été tuées par balle à Insein lors d’une répression de la protestation.
  • Un bébé d’un an a été blessé après avoir reçu une balle en caoutchouc dans l’œil dans le quartier de Mayangone à Yangon.

À Mandalay, on compte parmi les victimes une jeune fille de 13 ans qui a été abattue à Meikhtila, dans sa maison, après que les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des zones résidentielles. Elle fait partie des six enfants âgés de 10 à 16 ans qui ont été tués samedi dans le pays.

Des dizaines de décès ont été signalés dans d’autres villes telles que Dawei et Kawthaung dans la région de Tanintharyi, Monywa, Sagaing et Shwebo dans la région de Sagaing, Myingyan et Sintgaing à Mandalay, Kyaikhto dans l’État Mon et Pathein dans la région d’Irrawaddy.

«The Irrawaddy» a fourni de plus amples détails sur les événements survenus dans le canton d’Insein à Yangon, où les habitants ont érigé des barrages routiers aux premières heures du samedi. Les policiers et les soldats sont entrés en action et les tueries ont commencé dès 6 h. Les habitants d’Insein se sont défendus avec tout ce qu’ils pouvaient trouver, des briques cassées aux lance-pierres, en passant par les cocktails Molotov et les piles de pneus en feu.

Une infirmière qui faisait partie d’une équipe médicale locale a déclaré à la publication que parmi les morts et les blessés se trouvaient un livreur d’eau potable et d’autres passants. Elle a traité les militaires de «diables», demandant: «Comment un être humain peut-il se comporter de la sorte? Je ne trouve même pas de mots appropriés pour décrire leur brutalité.»

Des reportages font état de violents combats entre l’armée et diverses milices ethniques, principalement dans le nord du pays. On estime que 3.000 personnes ont traversé la frontière pour se réfugier en Thaïlande après que des avions militaires ont bombardé des zones contrôlées par la milice de l’Union nationale karen (KNU), tuant au moins trois civils.

La répression militaire brutale s’est poursuivie dimanche alors que les manifestations ont repris dans un certain nombre de villes et de villages. Des témoins oculaires ont rapporté que les forces de sécurité ont ouvert le feu lors des funérailles d’un étudiant de 20 ans à Bago, près de Yangon. Bien que les victimes n’aient pas été confirmées, 12 autres personnes ont été tuées dimanche dans des fusillades ailleurs au Myanmar.

Les meurtres de samedi ont eu lieu alors que la junte célébrait la Journée des forces armées du Myanmar, avec un défilé militaire dans la capitale, Naypyitaw. Lors de ce défilé, le chef de la junte, le généralissime Min Aung Hlaing, a déclaré de manière absurde que l’armée protégerait le peuple et lutterait pour la démocratie.

L’armée a tenté de justifier sa prise de pouvoir en prétextant que les élections nationales de novembre dernier, remportées à une écrasante majorité par la Ligue nationale pour la démocratie (LND) de Suu Kyi, avaient été truquées. Elle a également affirmé que les jeunes manifestants sont trompés par des «sbires étrangers»: là encore sans aucune preuve.

Les États-Unis et leurs alliés cherchent clairement à exploiter la situation au Myanmar à leurs propres fins. Les meurtres de samedi ont provoqué un déluge de protestations diplomatiques. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a affirmé dans un tweet qu’il était «horrifié par le bain de sang perpétré par les forces de sécurité birmanes, montrant que la junte est prête à sacrifier la vie du peuple pour servir une minorité».

Dans un étalage stupéfiant d’hypocrisie, les chefs militaires des États-Unis et de 11 alliés américains, dont l’Australie, le Canada, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Corée du Sud et la Nouvelle-Zélande, ont publié une déclaration qui condamne le recours à la force contre des manifestants non armés. «Une armée professionnelle suit les normes internationales de conduite et est responsable de protéger – et non de blesser – les personnes qu’elle sert», a-t-elle déclaré sur un ton moralisateur.

Toutes ces puissances sont responsables de crimes de guerre, y compris le meurtre de civils, dans les guerres d’agression illégales menées par l’impérialisme américain en Afghanistan, en Irak et ailleurs.

Le gouvernement Biden intensifie une autre campagne sur les «droits de l’homme» dans le but de promouvoir ses intérêts stratégiques au Myanmar et dans la région indopacifique au sens large. Cette campagne est dirigée en particulier contre la Chine et la Russie, qui ont manifesté leur soutien à la junte en envoyant des représentants à la parade militaire de samedi.

Les États-Unis ne s’intéressent pas aux droits démocratiques au Myanmar, ou nulle part d’ailleurs. Biden était vice-président du gouvernement Obama qui a négocié un accord pourri entre Suu Kyi et les militaires pour la libérer en 2010 et permettre des élections sur la base d’une constitution antidémocratique. Suu Kyi est devenue l’ambassadrice itinérante d’un régime dominé par l’armée, comme en témoigne sa défense des atrocités commises par l’armée contre la minorité musulmane des Rohingyas en 2017.

Le gouvernement Obama a considéré l’accord comme une réussite diplomatique majeure, car le Myanmar, qui était étroitement aligné sur la Chine, a modifié sa position de politique étrangère en faveur des États-Unis. Tout à coup, dans la propagande de Washington, le Myanmar n’était plus «un État voyou» mais «une démocratie en développement» et les relations américaines se sont développées à tous les niveaux – y compris avec les militaires du pays. L’intervention d’Obama au Myanmar faisait partie de son plus vaste «pivot vers l’Asie» contre la Chine, y compris des préparatifs de guerre.

Aujourd’hui, le gouvernement Biden, qui intensifie sa confrontation avec la Chine, voit l’occasion d’exercer à nouveau des pressions, notamment en imposant des sanctions, pour façonner un régime à Naypyitaw plus aligné sur Washington. Les États-Unis sont parfaitement disposés à utiliser à nouveau Suu Kyi et à ignorer sa défense des crimes commis par l’armée contre les Rohingyas. Suu Kyi et sa LND représentent les sections de la classe capitaliste du Myanmar qui sont hostiles à la domination économique de l’armée et qui s’orientent vers l’Occident pour obtenir un soutien.

La volonté de Suu Kyi de faire l’apologie des atrocités commises par l’armée met en évidence la faiblesse politique du mouvement de protestation contre le coup d’État du 1er février. Même si de larges couches de la population, y compris des sections de la classe ouvrière, participent au mouvement de protestation, les dirigeants de l’opposition limitent ses objectifs au rétablissement d’un gouvernement dirigé par Suu Kyi qui a démontré à plusieurs reprises sa volonté de sacrifier les droits démocratiques et de s’adapter à l’armée .

Une véritable lutte pour la démocratie doit s’attaquer aux problèmes sociaux urgents auxquels font face les travailleurs et qui ont été exacerbés par la pandémie de COVID-19: chômage, bas salaires et conditions d’exploitation, pauvreté extrême. Toutes les sections de la bourgeoisie, y compris celles représentées par la NLD, sont hostiles à un mouvement de masse de la classe ouvrière qui commence à formuler ses propres revendications de classe qui ne peuvent être satisfaites que par la lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan et des politiques socialistes.

(Article paru en anglais le 29 mars 2021)

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