Des dizaines de personnes sont assignées à comparaître en vertu de la loi brésilienne sur la «sécurité nationale» pour avoir qualifié Bolsonaro de «génocidaire»

Alors que la catastrophe de la COVID-19 au Brésil fait rage de façon incontrôlée – atteignant une moyenne en rapide augmentation de 77.000 cas et de 2500 décès par jour, pour un total de 12,5 millions de cas et 312.000 décès – le gouvernement du président fasciste Jair Bolsonaro est en train de mettre sur pied rapidement un État policier.

Rien qu’au cours du mois dernier, plus de 30 personnes ont été assignées à comparaître en vertu de la Loi de sécurité nationale anti-subversion du pays, un texte de loi draconien promulgué sous le dernier président de la dictature militaire de 1964-1985 soutenue par les États-Unis, dans le but déclaré de donner aux militaires le contrôle des futurs gouvernements civils.

Le 19 mars, le quotidien conservateur Estado de S. Paulo rapportait qu’au cours des deux premières années du gouvernement Bolsonaro, le recours à cette loi avait connu une expansion stupéfiante de 285 %, avec un total de 77 enquêtes sur des violations présumées de la Loi, par rapport à 20 au cours des deux années précédentes.

Jair Bolsonaro (Source: Marcelo Camargo/Agência Brasil)

La récente vague de répression a commencé le 4 mars, lorsque João Reginaldo Jr., 24 ans, a été pris pour cible en raison d’un message publié sur les réseaux sociaux à l’occasion d’une visite présidentielle officielle dans sa ville, le centre agro-industriel d’Uberlândia, dans l’État du Minas Gerais. Reginaldo Jr. avait demandé sur Twitter si quelqu’un voulait devenir un «héros national» pendant la visite du président, suggérant qu’une manifestation publique d’opposition attirerait un large soutien.

Reflétant l’extrême sensibilité de Bolsonaro aux conditions sociales explosives du Brésil, où 22 millions de personnes supplémentaires ont été jetées dans la pauvreté, ce tweet a été considéré comme une menace à la sécurité nationale. L’unité de renseignement de la police militaire de l’État de Minas Gerais a placé Reginaldo Jr. en détention à 22h le même jour, soit six heures à peine après son tweet, qui avait suscité 400 réponses, dont certaines suggérant une opposition violente au gouvernement. Bien que Reginaldo Jr. ne soit suivi que par 150 personnes, son message a été partagé 1000 fois. Au siège de la police fédérale locale, Reginaldo Jr. a été interrogé sur ses liens avec des partis politiques ou des organisations étudiantes, ce qu’il a nié. Il a ensuite été jeté en prison pour n’être libéré que le lendemain.

Le 18 mars, un groupe d’avocats d’Uberlândia suivant l’affaire avait déjà identifié 25 personnes, en grande majorité des jeunes, assignées à comparaître dans le cadre de l’affaire sans avoir connaissance d’éventuels délits dans lesquels elles étaient impliquées, simplement pour avoir réagi au message original de Reginaldo Jr. ou l’avoir retweeté.

Le 18 mars également, cinq militants du Parti des travailleurs (PT) ont été arrêtés dans la capitale Brasilia par la police militaire locale et emmenés au commissariat de la police fédérale, accusés d’avoir violé la Loi sur la sécurité nationale en associant Bolsonaro au nazisme et au génocide. Leur «crime» a été d’avoir déployé pendant à peine une minute une banderole portant une caricature de Bolsonaro peignant une croix gammée sur la croix rouge d’un hôpital, avec la légende «génocidaire».

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Manifestation fasciste devant la maison de Bolsonaro à Rio de Janeiro le 22 mars (YouTube)

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La caricature avait été réalisée par le dessinateur Aroeira en juin 2020, au plus fort de la première vague de la pandémie au Brésil, et avait été partagée sur les médias sociaux par Ricardo Noblat, un chroniqueur du puissant groupe médiatique Globo. Le 15 juin, tous deux ont été accusés par le ministre de la Justice André Mendonça d’avoir faussement accusé le président de s’associer au nazisme, ce qui constitue en soi un délit en vertu de la Loi sur la sécurité nationale.

L’adjoint local de la police fédérale à Brasilia a fini par classer l’affaire contre les militants du PT après que des députés du parti aient afflué au commissariat.

Dans une autre affaire très médiatisée, trois jours plus tôt, le 15 mars, une personnalité YouTube de 33 ans connue sous le nom de Felipe Neto, dont les chaînes de médias sociaux comptent plus de 41 millions d’adeptes, a été citée à comparaître sur la base d’accusations similaires par la Division des cybercrimes de la police de l’État de Rio de Janeiro. Celle-ci a lancé un mandat d’arrêt à son encontre pour avoir commis un «crime contre l’honneur du président de la République prévu par la Loi sur la sécurité nationale». Le motif de l’accusation était l’utilisation répétée par Neto du terme «génocidaire» pour désigner Bolsonaro et sa gestion sociopathe de la pandémie de la COVID-19 au Brésil.

Comme cela a été révélé par la suite, l’accusation avait été portée par nul autre que le fils de Bolsonaro, Carlos, conseiller municipal à Rio. L’enquête a été suspendue trois jours plus tard, le 18 mars, par un juge qui a estimé que les questions de sécurité nationale ne pouvaient être traitées par la police de Rio et devaient être confiées à la police fédérale.

Alors que l’affaire contre les militants du PT a été classée sans suite grâce à l’intervention du parti, et que l’affaire de Felipe Neto est suspendue en grande partie en raison de son importante présence sur les médias sociaux au Brésil – des moyens de défense que ne partagent pas les 25 jeunes inconnus inculpés à Uberlândia – la campagne de peur reliée à la «sécurité nationale» du mois de mars pose les plus graves dangers. Elle révèle non seulement l’accélération de la mise en place d’un État policier sous le poids de la vaste crise qui frappe la bourgeoisie, mais montre également les sentiments fascistes qui sont cultivés parmi les forces de police d’État de rang inférieur et qui constituent la masse la plus solide de l’extrême droite au Brésil.

Dans les trois affaires du mois de mars, des personnes ont été assignées à comparaître, inculpées ou détenues par les forces de police étatiques. Étant donné que les enquêtes ou les mesures d’application de la loi sur la sécurité nationale font partie du cadre juridique fédéral, ces actions s’apparentent à des démonstrations de loyauté envers le futur dictateur brésilien Bolsonaro, face à son isolement politique croissant. La police militaire brésilienne, basée sur l’État, tue plus de 6000 Brésiliens par année et est pratiquement à l’abri de toute poursuite dans le cadre de son système de justice militaire distinct.

Bolsonaro a fait de l’appel aux forces de sécurité à «ne plus obéir aux ordres absurdes» l’un de ses slogans, faisant référence à l’exécution de mandats de perquisition et de saisie liés à des enquêtes de corruption contre lui-même, sa famille ou ses associés politiques. Le 8 mars, il déclarait «mon armée ne descendra pas dans la rue pour faire appliquer les décrets des gouverneurs», faisant référence aux légères restrictions de l’activité économique imposées par les autorités locales au Brésil afin d’éviter un bilan encore plus horrible de la COVID-19.

Le 8 mars, Bolsonaro a déclaré à ses partisans que les couvre-feux limités imposés dans certaines villes équivalaient à un «état de siège». Il a menacé de «réagir» en imposant son propre état de siège afin de garantir une activité économique sans restriction et de laisser le virus se propager sans contrôle. «La population brésilienne est-elle prête à une action du gouvernement fédéral sur ce front?» a-t-il demandé.

En réponse directe aux appels de Bolsonaro, le 22 mars, jour de l’anniversaire du président, des dizaines de fascistes vêtus de treillis et de bérets rouges, se présentant comme des membres de l’infanterie aéroportée – la branche de l’Armée à laquelle appartenait Bolsonaro dans les années 1970 et 1980 – ont défilé devant son domicile à Rio de Janeiro. Une vidéo de l’activité comprenait des menaces de guerre civile pour la défense de Bolsonaro. «Si vous voulez destituer notre président, n’oubliez pas qu’il n’est pas seul», prévient le narrateur de la vidéo. S’adressant aux «gauchistes», le narrateur conclut: «Vous êtes mieux de rassembler ce que vous avez de mieux si vous voulez essayer.»

En réponse à une question du réseau TV Globo, le commandant militaire du secteur de l’Est a déclaré qu’il n’y avait «aucun lien entre notre institution et l’événement mentionné», ajoutant que «l’Armée brésilienne ne tolère aucun type de comportement illicite de la part de ses membres». Il n’a toutefois pas tenté de nier que les personnes impliquées dans la marche fasciste étaient bien des parachutistes en service actif.

Des éléments véreux de la police ont également répondu aux appels lancés par le Club militaire de Rio de Janeiro – une organisation qui depuis 133 ans orchestre des coups d’État militaires au Brésil – pour que la Loi sur la sécurité nationale soit utilisée contre la gauche. Cet appel a été lancé en réponse à la décision de la Cour suprême du Brésil (STF) d’arrêter le député fédéral Daniel Silveira, un ancien soldat de la police militaire de Rio de Janeiro et fidèle de Bolsonaro, qui avait demandé la fermeture du tribunal.

Dimanche, cette lutte politique entre les différents représentants politiques de la classe dirigeante pour savoir qui est le plus loyal envers l’appareil militaire a franchi une nouvelle étape, en réponse à ce que les autorités ont décrit comme un épisode psychotique d’un soldat de la police militaire dans l’État de Bahia, dirigé par le Parti des travailleurs (PT). Le soldat, Wesley Soares Góes, a pénétré dans une section de la plage délimitée dans le cadre des restrictions de la COVID-19 de l’État et a commencé à tirer en l’air, en criant qu’il «ne permettrait pas la violation de la dignité et de l’honneur des travailleurs» et «je ne vais plus arrêter les travailleurs; je ne suis pas entré dans la police pour arrêter les pères de famille».

Après plusieurs heures de négociations, Góes a commencé à tirer sur les troupes d’opérations spéciales de la BOPE envoyées pour le saisir, et a été brutalement abattu de 10 balles. Bien que l’on ne sache pas encore ce qui a poussé Góes à s’emporter, l’extrême droite a immédiatement tenté d’exploiter l’épisode, le présentant comme un martyr de la lutte contre le confinement. L’épisode a été cité par nul autre que le chef de la commission constitutionnelle de la Chambre des représentants, Bia Kicis, un loyaliste de Bolsonaro, qui a tweeté que c’était le début d’une mutinerie des forces de la police militaire de l’État contre les gouverneurs, concluant par le cri de ralliement de Bolsonaro de «ne plus obéir aux ordres absurdes»!

Les derniers développements mettent à nu la criminalité politique de la complaisance et du rejet des menaces de coup d’État militaire par la plus grande force d’opposition du pays, le Parti des travailleurs (PT), et son principal dirigeant, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, politiquement réhabilité par l’annulation récente des condamnations pour corruption qui l’empêchaient d’être élu. Lula a profité de son discours de réhabilitation au siège du syndicat ABC des métallurgistes, le 10 mars, pour déclarer qu’il «ne pouvait pas prendre au sérieux» les appels à la répression lancés par le Club militaire. Dans une profession de foi promilitaire, il a déclaré que «ceux qui ont besoin d’armes sont nos forces armées, notre police, qui vont dans les rues pour combattre le crime avec des revolvers rouillés de calibre 38». Ce discours a été prononcé dans le contexte d’une menace de grève de la police contre Bolsonaro, saluée par le PT avec l’accusation que Bolsonaro avait «trahi» son électorat de l’appareil répressif d’État.

Avec une hypocrisie stupéfiante, le Parti des travailleurs feint de s’indigner de la persistance de la loi dictatoriale dont il avait supervisé l’application lorsque l’opposition massive au parti avait éclaté en 2013. Le PT est le principal responsable de la mise en place d’une solution de secours draconienne au cas où la loi détestée serait annulée par le pouvoir judiciaire. Il a considérablement élargi le cadre des poursuites contre l’opposition politique avec la promulgation de la Loi antiterroriste de 2016, que ses gouverneurs veulent étendre pour inclure le geste de mettre le feu à des bus et le blocage des rues, tactiques courantes des manifestants en réponse aux répressions policières souvent mortelles.

La préoccupation primordiale du PT est d’éviter l’éruption d’une opposition de masse à Bolsonaro, qui pourrait balayer le PT même, car politiquement responsable de son ascension et complice de ses crimes. Dans les États du nord-est où il est au pouvoir, le PT mène en effet la même politique d’immunité collective meurtrière. Parallèlement, la soi-disant opposition du PT laisse Bolsonaro libre de faire éclore ses conspirations au vu et au su de tous.

Toutes ces forces réagissent à l’agitation croissante de la classe ouvrière, qui n’est pas prête à accepter la mort, l’appauvrissement et la répression de masse. Pour aller de l’avant dans leurs luttes, les travailleurs doivent se libérer du carcan politique qui leur est imposé par le PT, faire le bilan du rôle que ce parti a joué dans la préparation de la crise actuelle, et construire une section du Comité international de la Quatrième Internationale comme nouvelle direction politique.

(Article paru en anglais le 30 mars 2021)

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