L’establishment politique brésilien et les médias d’entreprise présentent l’armée comme une opposition à Bolsonaro

Mardi, le président fasciste du Brésil, Jair Bolsonaro, a limogé le commandement militaire du pays afin de consolider son emprise sur l’État en prévision de mesures dictatoriales contre la classe ouvrière. Celà dans un contexte de propagation catastrophique de la pandémie de COVID-19 et d’intensification dramatique de la crise sociale.

Depuis lors a commencé à apparaître, en réponse à cet épisode sinistre, dans toutes les fractions de l’establishment politique et des médias d’entreprise un consensus qui est sans précédent dans l’histoire du Brésil: le commandement militaire brésilien s’était fait limoger parce que l’armée de terre, la marine et l’armée de l’air étaient attachées à la démocratie et ne violeraient pas la Constitution.

Jair Bolsonaro. (Crédit: Wikimedia Commons)

Le Brésil est actuellement l’épicentre mondial de la pandémie de COVID-19, le rythme de plus de 3.000 décès quotidiens est en train de s’y accélérer et devrait atteindre 5.000 décès entre avril et mai. Le système de santé est dans un état d’effondrement, les hôpitaux sont débordés, et au moins un cimetière de Sao Paulo ouvre les vieilles tombes pour faire place au flot des nouveaux cadavres.

La crise économique résultant de la pandémie de COVID-19 a jeté 22 millions de Brésiliens dans la pauvreté, et le chômage a atteint le niveau record de 14,2 pour cent au premier trimestre.

Les tensions au sein de la classe dirigeante, qui n’a pas de solution progressiste à la crise, augmentent de jour en jour. Craignant profondément les conséquences d’une situation sociale explosive, toutes les fractions politiques se sont ralliées à l’évaluation faite par le quotidien conservateur Estado de São Paulo. Celui-ci écrivait dans son éditorial du 1er avril: «… face à l’impression que son gouvernement perdait du soutien, le président a décidé de faire pression sur les chefs des forces armées pour qu’ils choisissent un camp ou la Constitution. Les militaires ont évidemment choisi la Constitution.»

La rédaction du journal y traite le limogeage de l’ensemble du haut commandement comme un non-événement en raison du rôle constitutionnaliste supposé de l’armée. Le lendemain, le journal écrit dans un article intitulé «Ignorez le président»: «Il ne faut pas perdre son temps à corriger les de Bolsonaro sur l’état de siège».

Les «inepties» que ce journal invite le public à ignorer est l’affirmation du président que toute restriction de l’activité économique décrétée par les autorités locales pour endiguer la vague de décès dus au COVID-19 équivaut à un «état de siège». La réponse appropriée, selon Bolsonaro, est d’assumer lui-même des pouvoirs dictatoriaux afin de renverser les autorités locales.

Le jour même du limogeage du commandement militaire, l’allié de Bolsonaro à la Chambre des représentants, le major Victor Hugo, a tenté de faire passer une mesure qui incluait les pandémies parmi les situations dans lesquelles le président pourrait décréter un «état de mobilisation». L’«état de mobilisation» est une mesure de guerre qui permet au président de diriger la production des entreprises publiques et privées mais surtout de prendre le contrôle des 560.000 membres des 27 corps de police militaire contrôlés par l’État.

Le vote d’urgence, finalement bloqué par le président de la Chambre des représentants, Arthur Lira, était la concrétisation juridique des déclarations publiques de Bolsonaro et de ses alliés au Congrès que «ses forces armées» n’appliqueraient pas les mesures de confinement anti-COVID-19.

Lundi, moins de 24 heures avant le renvoi du haut commandement, le chef du Panel constitutionnel de la Chambre, un ultra-loyaliste de Bolsonaro, avait tweeté qu’un épisode psychotique d’un soldat de la police militaire dans l’État de Bahia représentait le début d’une mutinerie des forces de sécurité contre les autorités locales. Celui-ci avait fait irruption dans une section de plage bloquée pour réduire la contagion du COVID-19, criant des slogans populistes confus sur le fait de «ne pas arrêter les travailleurs» et tirant des coups de fusil en l’air. Il fut abattu brutalement par une escouade des forces spéciales.

La veille, dans la ville industrielle de Juiz de Fora, dans l’État du Minas Gerais, un membre du conseil municipal du Parti travailliste brésilien (PTB), allié de Bolsonaro, le sergent de la police militaire Mello Casal, déclara dans une émission en direct sur Facebook qu’une «milice» était prête à attaquer la garde municipale de la ville. L’État de Bahia et la ville de Juiz de Fora est dirigée par le Parti des travailleurs (PT) qui a répondu à l’incitation fasciste du PTB en publiant sur les réseaux sociaux une vidéo montrant des agents de la garde municipale armés et en uniforme et criant des slogans en faveur de la loi et de l’ordre.

Un autre élément vital de cette crise que la presse bourgeoise veut que le peuple «ignore», est que le limogeage des chefs militaires, dont le général Fernando Azevedo e Silva, qui dirigeait le ministère de la Défense, a été décidé la veille de la commémoration par l’armée du coup d’État militaire de 1964, soutenu par les États-Unis et inaugurant un régime sanguinaire de 21 ans. Le premier acte du nouveau ministre de la Défense, l’ex-chef d’état-major de Bolsonaro, le général Walter Braga Netto, a été d’ordonner une célébration ouverte du coup d’État de 1964 dans les casernes du pays.

L’ordre militaire de Braga Netto s’inscrit dans la lignée des célébrations ordonnées par Bolsonaro depuis son arrivée au pouvoir en 2019, que les commandants limogés ont approuvées pendant deux années consécutives. Les deux précédentes commémorations du 31 mars présentaient le coup d’État comme le résultat d’un mouvement populaire contre le gouvernement bourgeois-nationaliste du président João Goulart, du Parti travailliste brésilien. Cette année, cependant, c’est la première fois depuis 1985 qu’on a utilisé le mot «célébration» dans l’«ordre du jour» militaire. Après avoir faussement revendiqué le «soutien» populaire à la prise de pouvoir par les militaires, on concluait que «les événements du 31 mars devaient donc être compris et célébrés».

Plus tard dans la journée, le quotidien Folha de São Paulo a révélé que Braga Netto avait modifié le discours préparé deux jours plus tôt par l’ex-ministre de la Défense Azevedo e Silva, et présenté à Bolsonaro le jour du licenciement des généraux, excluant une référence aux forces armées en tant qu’«institutions de l’État» et y incluant la conclusion d’une célébration.

Exprimant les tensions extraordinaires dans les rangs de l’armée, les commandements militaires de la capitale et de l’est ont dû lancer des ordres impératifs pour que les soldats et les officiers ne discutent pas publiquement ou sur les réseaux sociaux du limogeage du haut commandement.

Les médias bourgeois et l’establishment politique prennent ces ordres-baillons pour argent comptant comme une défense des normes constitutionnelles. Ils ignorent soigneusement le révisionnisme historique promu par Bolsonaro et pleinement soutenu par les commandants limogés, selon lequel le coup d’État était le résultat d’une «pression d’en bas».

L’ancien commandant de l’armée, le général Eduardo Villas Bôas, qui a récemment écrit un livre de mémoires, a décrit la marche prolongée vers la dictature au Brésil depuis 2013. Il a utilisé précisément l’idée de «pression d’en bas» pour justifier son tweet de 2018 menaçant d’un coup d’État au cas où la Cour suprême du Brésil (STF) accorderait à l’ancien président du Parti des travailleurs (PT) Luiz Inácio Lula da Silva une motion d’habeas corpus qui lui permettrait de faire campagne aux côtés du candidat du parti et principal rival de Bolsonaro aux élections cette année-là.

Cette même ligne révisionniste historique adoptée par le haut commandement a été adoptée par le vice-président de Bolsonaro, le général Hamilton Mourão. Il a tweeté le 31 mars: «En ce jour, il y a 57 ans, la population brésilienne, soutenue par les forces armées, a empêché le Mouvement communiste international de mettre ses griffes sur le Brésil. Force et honneur!»

Vendredi 26 mars, le gouverneur du Maranhão, du Parti communiste (PCdoB), Flávio Dino, l’un des dirigeants les plus en vue de la prétendue opposition politique à Bolsonaro, a déclaré que remplacer Bolsonaro par Mourão reviendrait à «substituer la civilisation à la barbarie».

Le principal parti d’opposition, le PT, a lui aussi pleinement adopté la ligne que l’armée était le rempart de la démocratie. Son leader parlementaire, Elvino Bohn Gass, a déclaré que le limogeage du commandement militaire «était un message que les forces armées ne sont pas au service d’une tentative de coup d’État».

De l’Estado de São Paulo – qui a ouvertement soutenu le coup d’État de 1964 — au Parti des travailleurs, l’establishment politique brésilien tente de dissimuler l’ampleur réelle de la crise du régime bourgeois et la possibilité d’un soulèvement d’en bas par une classe ouvrière brésilienne de plus en plus rétive.

Leur promotion d’une armée prétendument «constitutionnaliste» fait écho à la crise du gouvernement Goulart avant 1964. À l’époque, la droite «légale» représentée entre autres par l’Estado de São Paulo, prédisait que les militaires effectueraient un coup d’État chirurgical, rendant le pouvoir aux civils après l’éviction de Goulart. Pour sa part, le Parti travailliste (PTB), soutenu par le Parti communiste stalinien, faisait confiance aux éléments «nationalistes» et «constitutionnalistes» au haut commandement pour maîtriser les humeurs fascistes attisées par l’opposition de Goulart. Le résultat a été 21 ans de terreur d’État, de torture et de meurtres qui se sont propagés du Brésil à toute l’Amérique latine.

On ne peut permettre à la classe dirigeante brésilienne et à ses militaires de répéter ces crimes. La classe ouvrière doit tirer les leçons du coup d’État de 1964 ainsi que de la politique du PT et de ses satellites de la pseudo-gauche. Toutes ces tendances ont ouvert la voie au rétablissement de l’armée comme force politique décisive dans le pays. Une nouvelle direction révolutionnaire doit se construire en tant que section brésilienne du Comité international de la Quatrième Internationale.

(Article paru d’abord en anglais le 3 avril 2021)

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