Des forces spéciales américaines envoyées au Mozambique dans un contexte de guerre civile qui s’intensifie

Sur fond d'escalade d’un conflit armé au Mozambique, le Pentagone a envoyé des troupes d'opérations spéciales dans ce pays du sud-est de l’Afrique. Le déploiement de ces troupes, qualifiées de «formateurs» et de «conseillers» a été justifié au nom de l’éternelle «guerre contre le terrorisme». Il apporte une nouvelle confirmation de l'escalade mondiale du militarisme américain sous le gouvernement Biden, y compris sur le continent africain.

Annoncé à la mi-mars, ce déploiement américain est intervenu dans un contexte de forte escalade de la guerre civile qui se déroule dans la province septentrionale du Mozambique, Cabo Delgado. Le gouvernement mozambicain y est confronté à une insurrection parmi la population majoritairement musulmane de la région.

Un commandant des forces spéciales américaines s'adressant à des Marines mozambicains le 15 mars (Ambassade des États-Unis au Mozambique)

Les derniers combats étaient concentrés dans la ville de Palma, une plaque tournante de l'exploitation des champs de gaz naturel saisie par les rebelles fin mars, ce qui a provoqué la fuite d’environ 11000 personnes vers le port de Pemba, sur l’Océan Indien. Selon les Nations Unies, quelque 670 000 personnes ont été déplacées depuis le début des combats dans la région en 2017.

Le commandant Chongo Vidigal, chef des forces gouvernementales envoyées pour reprendre Palma aux rebelles, a déclaré dimanche aux médias que la zone était désormais «sûre». Une tentative antérieure d'amener des journalistes sur les lieux avait cependant été avortée après que l'hélicoptère qui les conduisait vers la ville ait essuyé des tirs.

L'objectif principal de l'opération militaire était de sécuriser le site d'un projet de gaz naturel liquéfié de 60 milliards de dollars initié par le géant énergétique français Total; celui-ci a exigé un périmètre sécurisé de 25 kilomètres comme condition à la poursuite de sa présence. N'ayant repris ses opérations que le 24 mars après avoir fermé ses installations suite à une offensive rebelle antérieure en début d'année, Total a de nouveau fermé ses portes, évacuant tous ses employés hors de la région. En plus de la transnationale énergétique française, l'ENI italienne et la société américaine ExxonMobil ont également des intérêts dans les réserves de gaz naturel du Mozambique, considérées comme parmi les plus importantes de la planète.

Quelques jours à peine avant l'envoi des forces spéciales américaines, le 11 mars, Washington avait désigné «ISIS-Mozambique» comme «organisation terroriste étrangère», ouvrant la voie à une intervention militaire américaine. L'ambassade des États-Unis à Maputo, la capitale du Mozambique, a déclaré que Washington «s'est engagé à soutenir le Mozambique avec une approche multiforme et holistique pour contrer et prévenir la propagation du terrorisme et de l'extrémisme violent».

L’appellation «ISIS-Mozambique» est une invention du Département d'État américain. Localement, les insurgés sont connus sous le nom d'al-Shabab, qui veut dire en arabe «la jeunesse», et n'ont aucun lien avec le groupe d'insurgés islamistes basé en Somalie, qui porte le même nom. Si l'État islamique a publié des vidéos revendiquant à tort la responsabilité des attaques de l'insurrection mozambicaine, il n'y a aucune preuve de liens opérationnels entre lui et la rébellion du nord-Mozambique, et encore moins de ce qu’elle est une menace de terrorisme international.

Le gouvernement du président Filipe Nyusi à Maputo a promu le label «terroriste» et Washington l'a adopté avec enthousiasme. Leur objectif est de dissimuler les racines politiques et sociales complexes du conflit et de justifier une campagne de contre-insurrection visant à défendre les intérêts de l’oligarchie nationale au pouvoir, des sociétés énergétiques transnationales et du capital financier mondial.

Les racines de l'insurrection à Cabo Delgado se trouvent dans les conditions de fortes inégalités sociales qui caractérisent le Mozambique, où, selon les chiffres publiés avant l'impact de la pandémie COVID-19, plus de la moitié de la population vit dans des conditions de pauvreté absolue. La richesse est monopolisée par une petite élite dirigeante dominée par le parti au pouvoir FRELIMO (Front pour la libération du Mozambique) et ses cohortes, et concentrée à Maputo.

Cabo Delgado est une des régions les moins développées du pays. Elle a vu des quantités croissantes de richesses extraites de sous son sol en lien avec le développement des projets de gaz naturel et l'extraction de rubis. Mais pratiquement aucune de ces richesses n'a profité aux masses pauvres. Les musulmans, qui sont une minorité au Mozambique, constituent plus de la moitié de la population de la province. La domination politique de la province a cependant été monopolisée par le groupe ethnique Makonde, majoritairement catholique, dont est issu le président Nyusi.

L'étincelle immédiate du conflit armé est survenue en 2017, après que le gouvernement eut tenté de réprimer une couche de jeunes musulmans dont certains avaient fait leurs études en Arabie saoudite et qui avaient cherché à introduire une forme plus stricte d'islam, défiant les religieux musulmans plus âgés ayant des liens avec le régime FRELIMO.

Le FRELIMO, considéré dans le passé comme l'un des mouvements nationalistes africains les plus radicaux, arriva au pouvoir en 1975 après une lutte armée de 10 ans contre le colonialisme portugais. L'indépendance était survenue après le renversement de la dictature portugaise de Salazar en 1974. Elle fut suivie cependant de 15 ans de guerre civile sanglante au cours de laquelle le régime d'apartheid de l’Afrique du Sud, le régime de la minorité blanche en Rhodésie et la Central Intelligence Agency américaine ont soutenu un mouvement contre-révolutionnaire connu sous le nom de RENAMO (Résistance nationale du Mozambique) dans un conflit sanglant qui fit un million de morts.

Que l’actuel FRELIMO du président Nyusi appelle à l’aide les mêmes forces contre lesquelles ce mouvement a combattu dans la lutte pour l'indépendance, afin de réprimer une insurrection, en dit long sur l'incapacité organique des mouvements nationalistes bourgeois à réaliser les aspirations des masses africaines pour la liberté face à la domination étrangère, la démocratie et la justice sociale. Comme en Afrique du Sud, au Zimbabwe et ailleurs sur le continent africain, les anciens «combattants de la liberté» et les marxistes autoproclamés du Mozambique se sont transformés en une bande de politiciens millionnaires corrompus et de capitalistes ‘compradores’.

Outre les troupes d'opérations spéciales américaines déployées au Mozambique, le Portugal, l'ancien maître colonial du pays, a annoncé qu'il enverrait au moins 60 «formateurs» de ses forces spéciales.

Les forces de sécurité mozambicaines se sont également fortement appuyées sur un entrepreneur militaire privé basé en Afrique du Sud, le Dyck Advisory Group (ou DAG), composé de mercenaires sud-africains commandés par Lionel Dyck, un ancien colonel de l'armée rhodésienne. Le DAG a été accusé par Amnesty International de crimes contre l'humanité, celui notamment d’avoir largué des ‘bombes barils’ sur des agglomérations, d’avoir tiré à la mitrailleuses depuis des hélicoptères sur des foules et d'avoir attaqué des écoles et des hôpitaux.

Si les troupes américaines sont allées au Mozambique sous prétexte de lutter contre le «terrorisme», le Pentagone agit sous le président Joe Biden selon les mêmes lignes directrices, fixées par la stratégie de sécurité nationale promulguée sous Trump début 2018. Celles-ci soulignaient que «la concurrence des grandes puissances – et non le terrorisme – [était] désormais le principal objectif de la sécurité nationale des États-Unis ».

L'Afrique constitue un champ de bataille clé dans cette «compétition de grandes puissances» entre les États-Unis et la Chine, qui connaît une forte escalade sous l'administration Biden. La Chine a dépassé les États-Unis en tant que premier partenaire commercial et créditeur du continent, tout en s'engageant dans des projets d'infrastructure de grande envergure dans le cadre de sa «Nouvelle route de la soie». Washington craint d'être exclu d'un marché et d'une source de matières premières stratégiquement importants et cherche à le compenser, comme ailleurs, par une intervention militaire ; les peuples d'Afrique devant en subir les conséquences.

(Article paru en anglais le 6 avril 2021)

Loading