Israël augmente ses attaques contre l'Iran, ciblant un navire en mer Rouge

Dans un geste provocateur marquant une escalade délibérée de son offensive contre l’Iran, Israël a miné mardi matin en mer Rouge le cargo MV Saviz, qui appartient à la compagnie d’État «Islamic Republic of Iran Shipping Lines» (Les lignes maritimes de la République islamique d’Iran).

Cette action signale la détermination d'Israël à poursuivre son offensive navale contre l'Iran, malgré les représailles potentielles de Téhéran et le danger d'une escalade vers une guerre totale, alors que les grandes puissances rencontrent l'Iran à Vienne pour discuter d'un retour à l'accord nucléaire de 2015, connu sous le nom de Plan global d'action conjoint (JCPOA), abandonné unilatéralement par l'ancien président Trump.

MV Saviz (Crédit: MNA)

Le New York Times a cité un responsable américain anonyme qui a déclaré qu’Israël avait informé les États-Unis que sa marine avait attaqué le navire près de la côte de Djibouti, affirmant que l’attaque était en représailles à des frappes iraniennes antérieures sur des navires israéliens.

Selon le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, l’explosion de mardi, provoquée par «des mines à patelle fixées à la coque du navire n’ont entraîné que des dégâts mineurs». Il a ajouté que le Saviz était un «navire non militaire» qui contribue à «assurer la sécurité le long des lignes maritimes et à combattre les pirates» en mer Rouge et dans le détroit de Bab el-Mandeb, un point d’étranglement crucial pour la navigation internationale.

Des analystes américains et saoudiens affirment que le navire, présent en mer Rouge depuis fin 2016, est un «navire amiral» pour la flottille de navires du Corps des gardiens de la révolution iranienne en mer Rouge, et que des hommes en uniforme et une classe de petits bateaux utilisés par les Gardiens de la révolution iranienne ont été photographiés sur le pont du navire. Il jouerait un rôle crucial dans les efforts déployés par Téhéran pour échapper aux sanctions en transférant des cargaisons de pétrole en pleine mer vers des navires qui ne battent pas pavillon iranien.

L’attaque israélienne s’inscrit dans le cadre de l’offensive secrète menée depuis longtemps par les forces navales, aériennes, de sécurité et de renseignement d’Israël contre l’Iran.

Le mois dernier, le Wall Street Journal, citant des responsables américains, a révélé pour la première fois qu’Israël avait attaqué au moins une douzaine de navires à destination de la Syrie dans les des deux dernières années et demie, la plupart transportant du pétrole iranien, tandis que certains transportaient des armes destinées aux alliés de Téhéran, dont le Hezbollah, en Syrie. On présume que les fuites au Journal, comme celles du début de la semaine au Times, viennent de responsables opposés aux efforts d’Israël pour torpiller les pourparlers visant à rétablir l’accord nucléaire avec l’Iran et à isoler la Chine.

Selon un rapport du Ha'aretz, le nombre de pétroliers iraniens sabotés s’élèverait à une vingtaine, avec une perte pour Al Quds, le Hezbollah et les milices chiites estimée à 500.000 dollars sur deux ans et demi. Ces attaques, qui ont endommagé, mais délibérément évité de couler les navires, avaient pour double objectif de perturber l’approvisionnement en pétrole de l’Iran vers la Syrie et d’étouffer le flux de revenus vers les milices chiites et le Hezbollah qui soutiennent les forces du régime syrien. Le journal a également confirmé des affirmations syriennes et iraniennes antérieures concernant une explosion sur un pétrolier iranien en mer Rouge fin 2019.

De telles attaques militaires contre des navires civils dans les eaux internationales constituent des violations flagrantes du droit international, exposant potentiellement Israël à des poursuites internationales, bien que le Journal soit resté muet sur cette question. En aggravant les dangers pour la navigation, elles pourraient également entraîner une augmentation des primes d’assurance pour le commerce maritime dans la région.

L’attaque du MV Savid est la deuxième attaque contre un navire iranien depuis le reportage du WSJ le mois dernier, lorsque l’Iran a accusé Israël d’avoir endommagé un autre navire qui naviguait en mer Méditerranée.

À la suite des révélations du WSJ sur les attaques israéliennes, Téhéran ne pouvait plus fermer les yeux et a riposté par des attaques de missiles iraniens contre deux cargos qui appartiennent à Israël, l’un en mer d’Oman et l’autre en Méditerranée.

Les attaques clandestines d’Israël contre des navires iraniens ont ouvert un nouveau front dans ses opérations qui ont été menées en grande partie par voie terrestre et aérienne. Tel-Aviv a admis avoir lancé des centaines de frappes en Syrie sur des cibles liées à l’Iran, notamment le Hezbollah libanais, depuis le début de la guerre par procuration menée par les États-Unis pour renverser le régime du président syrien Bachar el-Assad, dans le cadre de sa campagne plus large qui vise à isoler l’Iran. Israël a également mené une série d’attaques à l’intérieur de l’Iran, y compris une explosion en juillet qui a détruit une usine d’assemblage de centrifugeuses avancées dans l’installation nucléaire de Natanz, et l’assassinat en novembre de Mohsen Fakhrizadeh, un éminent scientifique iranien qui a mis en place le programme nucléaire du pays il y a deux décennies.

Ces attaques furent menées dans le cadre de la campagne de «pression maximale» du gouvernement Trump contre l’Iran, lancée après que Washington a abrogé unilatéralement le JCPOA en 2018. Les sanctions économiques sur le pétrole, principale industrie d’exportation de l’Iran, ainsi que les sanctions secondaires – ce qui équivaut à un état de guerre – ont dévasté l’économie iranienne, tout en condamnant des millions d’Iraniens à la faim et à la maladie et fermant l’accès du pays aux médicaments et aux fournitures médicales vitales en pleine pandémie de COVID-19.

Le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, a déclaré plus tôt cette année que le gouvernement Trump avait imposé, réimposé ou renommé quelque 1.600 sanctions contre l’Iran, causant des dommages économiques directs et indirects d’une valeur de mille milliards de dollars au pays. Le régime de sanctions a également eu des répercussions régionales de grande ampleur, faisant du Liban – dont les banques servaient à acheminer de l’argent aux citoyens libanais et syriens, ainsi qu’au Hezbollah – l’une de ses principales victimes.

Mardi, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a souligné qu’il ne fallait pas revenir sur l’accord nucléaire «dangereux» de 2015, déclarant à son parti, le Likoud: «Parallèlement, nous devons continuer à repousser la belligérance iranienne dans notre région. Et cette menace n’est pas une question théorique. Je ne le dis pas de manière rhétorique. Nous devons agir face au régime fanatique de l’Iran, qui menace tout simplement de nous rayer de la surface de la terre.»

Alors que Nétanyahou est déterminé à saboter toute tentative du gouvernement Biden d’adhérer de nouveau au JCPOA et de lever les sanctions contre l’Iran, le New York Times a cité un responsable israélien qui a déclaré que les attaques faisaient partie de sa stratégie plus large pour forcer Téhéran à accepter des restrictions plus strictes et plus longues sur ses ambitions nucléaires, son programme de missiles balistiques et son soutien aux milices régionales.

Nétanyahou s’exprimait alors que l’Iran et les États-Unis menaient des discussions indirectes à Vienne sur les moyens de relancer l’accord auquel participaient les puissances européennes, la Chine et la Russie. Téhéran et Washington ont tous deux qualifié ces discussions de «constructives». Téhéran a souligné que l’Iran reviendrait à une conformité totale avec l’accord dès que Washington aura levé de manière vérifiable le réseau complexe de sanctions imposées à l’Iran depuis 2018, qui comprend de nombreuses catégories, certaines n’ayant aucun lien avec l’accord nucléaire.

La belligérance croissante de Nétanyahou contre l’Iran est conditionnée par l’ouverture lundi des séances de collecte des preuves dans le cadre de son procès longtemps retardé sur de multiples accusations de pots-de-vin, de corruption et d’abus de confiance, pour lesquelles il risque des années de prison s’il est reconnu coupable. Refusant de démissionner pendant qu’il se défend au tribunal, il a qualifié son procès d’«abus de pouvoir» de la part du bureau du procureur général, déclarant: «Voilà à quoi ressemble une tentative de coup d’État». Après avoir quitté la séance de lundi, il a accusé le ministère public d’avoir illégalement falsifié des preuves, et d’être engagé dans une «chasse aux sorcières» contre lui et une tentative de «coup de force» judiciaire.

Au cours des quatre dernières années, Nétanyahou s’est battu lors de quatre élections non concluantes, dans un contexte d’augmentation du chômage, de la pauvreté et des inégalités, afin de réunir une coalition gouvernementale suffisamment forte pour faire passer des lois qui lui accordent l’immunité contre les poursuites et des pouvoirs accrus qui auraient pour effet de neutraliser le système judiciaire, ce qui a incité ses détracteurs à mettre en garde contre une crise constitutionnelle imminente. Bien que, le président Reuven Rivlin a demandé à Nétanyahou, dont le parti Likoud est le plus grand parti de la Knesset, d’essayer de former un gouvernement, il est généralement admis qu’il n’y parviendra pas, ce qui précipiterait de nouvelles élections.

Dans de telles circonstances, Nétanyahou calcule que le fait de fomenter une guerre contre l’Iran peut servir à détourner les tensions sociales, économiques et politiques vers l’extérieur et lui permettre de maintenir son emprise sur le pouvoir, même si une telle guerre pourrait engloutir toute la région, voire le monde entier.

(Article paru en anglais le 9 avril 2021)

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