Les États-Unis lèvent de façon provocante les restrictions sur les contacts avec Taïwan

Le gouvernement Biden a annoncé vendredi dernier qu’il assouplissait considérablement les restrictions sur les contacts entre responsables américains et taïwanais. Il supprime ainsi les protocoles en place depuis que les États-Unis et la Chine ont établi des relations diplomatiques officielles en 1979. Une étape majeure dans la remise en cause de la politique de la «Chine unique» – acceptée à l’époque par les États-Unis – qui reconnaissait effectivement Pékin comme gouvernement légitime de toute la Chine, y compris Taïwan.

Cette annonce montre clairement que le gouvernement Biden entend intensifier la confrontation agressive des États-Unis avec la Chine sur tous les fronts – diplomatique, économique et militaire – qui avait commencé avec le pivot vers l’Asie du gouvernement Obama et fut intensifiée avec Trump. Le gouvernement Trump avait pris une série de mesures provocatrices visant à renforcer les liens des États-Unis avec Taïwan, notamment en augmentant les ventes d’armes. Dans les derniers jours de son mandat, il avait levé toutes les restrictions sur les contacts avec les responsables taïwanais, civils ou militaires.

L'annonce faisait suite à un réexamen de la politique du gouvernement Trump. Un bref communiqué de presse du Département d'État a salué Taïwan comme 'une force du bien au sein de la communauté internationale', affirmant que les nouvelles directives encourageraient l'engagement des États-Unis avec Taïwan et refléteraient 'l'approfondissement de nos relations non officielles.' Bien que la politique de la 'Chine unique' soit respectée du bout des lèvres, il est clair que les nouveaux protocoles ouvrent largement la voie à des liens bien plus étroits.

La présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, au centre, se rend à sa cérémonie d’investiture à Taipei, Taïwan, le mercredi 20 mai 2020 (Bureau présidentiel de Taïwan via AP).

Le Département d’État n’a pas encore rendu public les détails des nouveaux arrangements, sauf certains – selon toute vraisemblance les moins controversés – qui furent communiqués aux médias. Selon le Financial Times, les responsables américains pourront accueillir régulièrement des responsables taïwanais dans les bâtiments gouvernementaux et les rencontrer dans les bureaux économiques et culturels taïwanais faisant office d’ambassades et de consulats. Les responsables américains pourront également assister à des événements à Twin Oaks, un domaine de 17 acres [près de 7 hectares] appartenant à Taïwan et utilisé par ce dernier. Certaines restrictions restent en place, notamment l’obligation d’arborer le drapeau taïwanais pendant les réunions avec les responsables américains.

Le gouvernement Biden justifie son rapprochement avec Taïwan en multipliant les allégations d’«agression chinoise» et les affirmations non fondées que Pékin envisagerait activement une invasion militaire de Taïwan. Pékin considère Taïwan comme une «province renégate» avec laquelle il cherche à se réunifier pacifiquement, mais a averti à plusieurs reprises qu’il répondrait militairement à toute déclaration unilatérale d’indépendance de Taipei.

Dans une interview accordée hier à l’émission «Meet the Press» de la chaîne NBC, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a déclaré : «ce qui nous préoccupe réellement, ce sont les actions de plus en plus agressives du gouvernement de Pékin à l’encontre de Taïwan, qui font monter la tension dans le détroit». Il a averti que quiconque tenterait de modifier par la force le statu quo dans le Pacifique occidental commettrait une «grave erreur».

En réalité, les États-Unis sont en train de bouleverser ce statu quo, en remettant en question la base des relations entre les États-Unis et la Chine, qui ont maintenu une paix fragile dans le détroit de Taïwan au cours des 40 dernières années. Washington renforce désormais ses relations avec Taïwan – qu’il a reconnu faire partie de la Chine – et ignore les objections chinoises. On utilise cyniquement les allégations d’«agression chinoise» pour justifier une plus grande collaboration des États-Unis avec Taïwan – des mesures conçues pour provoquer une réaction de la Chine.

Les craintes de Pékin de voir les États-Unis transformer Taïwan en base d’opérations contre la Chine ont été renforcées par les actions du gouvernement Trump. Celui-ci avait notamment organisé la première visite à Taïwan d’un responsable américain de niveau gouvernemental, celle l’année dernière du secrétaire à la santé Alex Azar. Il avait aussi fait pression sur le géant de la haute technologie «Taiwan Semiconductor Manufacturing Company» pour qu’il cesse de vendre des puces informatiques au chinois Huawei. Ces inquiétudes ont encore été aggravées par le Parti démocratique progressiste au pouvoir à Taïwan, qui prône une plus grande indépendance de l’île.

Le gouvernement Biden a pris une série de mesures qui signalent son intention de renforcer rapidement les liens avec Taïwan:

* Biden a été le premier président américain à inviter l’ambassadeur taïwanais de fait à Washington à assister à son investiture présidentielle. Hsiao Bi-khim a assisté à la cérémonie de prestation de serment en janvier.

* En mars, Joseph Young, l’ambassadeur américain par intérim au Japon, a accueilli son homologue taïwanais dans sa résidence de Tokyo et a rendu cette visite publique sur Twitter.

* Le mois dernier également, l’ambassadeur des États-Unis à Palau, accompagné du président de Palau, a été le premier ambassadeur américain en exercice à se rendre à Taïwan depuis 1979. Palau est l’une des 15 nations dans le monde à entretenir des liens diplomatiques officiels avec Taipei plutôt qu’avec Pékin.

* Le 30 mars, l’American Institute in Taiwan, qui fait office d’ambassade officieuse des États-Unis à Taipei, ainsi que le Taipei Economic and Cultural Representative Office, ont organisé un forum virtuel réunissant des responsables américains et taïwanais de haut niveau pour discuter de l’extension de la participation de Taïwan aux forums de l’ONU et à d’autres forums internationaux, des mesures auxquelles Pékin s’oppose vigoureusement.

* Comme l’a dit la semaine dernière Bonnie Glaser du «Centre for Strategic and International Studies» au New York Times, Blinken a récemment exhorté par téléphone le président du Paraguay à maintenir les liens diplomatiques officiels de son pays avec Taïwan. En d’autres termes, le gouvernement Biden agit en opposition directe à la politique de ‘Chine unique’ en promouvant activement les liens avec Taïwan.

* Plus provocateur encore, le ministère taïwanais des Affaires étrangères a annoncé le mois dernier qu’il s’apprêtait à signer un protocole de coopération avec les États-Unis sur la collaboration de leurs garde-côtes. Bien que les garde-côtes soient distincts de la marine, le protocole revêt un caractère quasi militaire et est dirigé en particulier contre la Chine.

Ces mesures apparemment mineures constituent en fait des violations importantes de protocoles de longue date mis en place après 1979 pour prévenir les affrontements et les conflits dans ce qui est la plus explosive poudrière d’Asie. En outre, dans les coulisses, les milieux militaires et stratégiques de Washington font pression pour nouer des liens beaucoup plus forts avec Taïwan et chambarder les relations avec la Chine.

En 1979, alors que le gouvernement Carter reconnaissait la politique de la Chine unique et établissait des relations diplomatiques avec la Chine, le Congrès a adopté la Loi sur les relations avec Taiwan, que Carter a signée. Celle-ci prévoit la vente d’armes défensives à Taïwan et offre une vague garantie de venir en aide à Taïwan en cas d’agression chinoise.

Les gouvernements américains successifs ont tenté de résoudre la quadrature du cercle en maintenant ce qu’on déclara être une «ambiguïté stratégique». La Chine ne pouvait pas savoir si les États-Unis soutiendraient ou non Taïwan en cas de guerre, mais en même temps Washington faisait pression sur Taipei pour qu’il ne déclare pas son indépendance et ne provoque pas de guerre. Aujourd’hui, on réclame une «clarté stratégique», c’est-à-dire une garantie formelle des États-Unis de soutenir Taïwan en cas de conflit avec la Chine.

Ainsi, Richard Haass, président de l’influent «Council on Foreign Relations» (Conseil des relations extérieures), a écrit dans un essai paru dans Foreign Affairs en septembre dernier que l’ambiguïté stratégique avait «fait son temps». Le temps était venu « pour les États-Unis d’introduire une politique de clarté stratégique: une politique qui rend explicite le fait que les États-Unis répondraient à toute utilisation de la force par la Chine contre Taïwan,» écrit-il.

Le gouvernement Biden n’a pas formellement adopté une telle formule. Lorsqu’on lui a demandé hier sur NBC si les États-Unis répondraient militairement à une action chinoise contre Taïwan, Blinken a éludé la question. Il s’est contenté de dire, «tout ce que je peux vous dire, c’est que nous nous sommes sérieusement engagés à ce que Taïwan puisse se défendre.» En fait, le gouvernement Biden va déjà dans cette direction. Peu après l’inauguration de Biden il avait déclaré son engagement envers Taïwan être «solide comme le roc».

Loin de réduire les dangers d’une guerre avec Taïwan contre la Chine comme l’a soutenu Haass, la coopération militaire renforcée des États-Unis avec Taïwan ne fait qu’accroître les tensions et les risques de conflit. C’est exactement ce à quoi se prépare le Pentagone en faisant pression pour une augmentation considérable des dépenses militaires dans la région inde-pacifique en vue d’une guerre contre la Chine. Cela comprend le stationnement de missiles offensifs à portée intermédiaire sur la «première chaîne d’îles» bordant la Chine qui comprend le Japon, les Philippines et notamment Taïwan.

(Article paru d’abord en anglais le 12 avril 2021)

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