Attaque contre une installation nucléaire iranienne liée à Israël

On a largement attribué à Israël l’attaque de dimanche sur la principale installation d’enrichissement d’uranium de l’Iran à Natanz. Elle menace de faire dérailler les pourparlers qui visent à relancer l’accord nucléaire de 2015, connu sous le nom de Plan global d’action conjoint (JCPOA), avec Téhéran que le gouvernement Trump a unilatéralement abandonné en 2018, tout en intensifiant la guerre clandestine qui dure depuis des années entre l’Iran et Israël.

L’incident, dont on croyait au début être le résultat d’une cyberattaque, puis ensuite attribué à une explosion, a détruit le système électrique spécialement protégé qui alimente en électricité des milliers de centrifugeuses souterraines de l’installation d’enrichissement nucléaire d’Ahmadi Roshan, le principal programme d’enrichissement de l’Iran.

Dans cette photo du 10 avril 2021, le président iranien Hassan Rouhani, deuxième à partir de la droite, écoute le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique Ali Akbar Salehi durant la visite d’une exposition sur les nouvelles réalisations nucléaires de l’Iran à Téhéran, en Iran. (Bureau de la présidence iranienne via AP, Dossier)

Situé à Natanz, dans le désert de la province centrale d’Ispahan, le programme iranien d’enrichissement de l’uranium est soumis à la surveillance des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique. L’Iran a déclaré à plusieurs reprises que son programme nucléaire était uniquement destiné à des fins civiles. Il a déclaré que, bien qu’il ait l’intention de reprendre progressivement les activités nucléaires interdites par l’accord – depuis janvier, l’Iran a acquis 55 kg d’uranium enrichi à 20 pour cent de pureté – il fera immédiatement marche arrière dès que les sanctions seront levées.

Les médias iraniens ont rapporté que les services de renseignement avaient identifié la personne qui avait provoqué la panne d’électricité sur le site, ce qui implique une infiltration physique, et qu’ils prenaient des mesures pour l’arrêter.

Bien qu’Israël ait refusé de commenter son implication, des responsables américains et israéliens ont déclaré au New York Times qu’Israël avait joué un rôle. Les médias israéliens ont cité des sources de renseignement qui ont attribué l’attaque au Mossad, l’agence d’espionnage israélienne.

Téhéran a qualifié l’incident de «terrorisme nucléaire», indiquant qu’il pensait qu’Israël en était à l’origine. L’Iran a aussi affirmé que les responsables cherchaient à faire dérailler les efforts qui visent à rétablir l’accord nucléaire de 2015: un accord auquel pourraient se rallier les États-Unis, sous certaines conditions, selon le président Joe Biden.

Le chef de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique, Ali Akbar Salehi, a déclaré que l’explosion n’était pas un accident, mais un acte de sabotage. Salehi a réfuté les informations selon lesquelles l’explosion retarderait de neuf mois le programme nucléaire iranien à Natanz, affirmant qu’il fonctionnerait à 50 pour cent de sa capacité.

Le ministre des Affaires étrangères, Javad Zarif, a déclaré lundi que «les sionistes veulent se venger en raison de nos progrès dans la voie de la levée des sanctions… Ils ont dit publiquement qu’ils ne le permettront pas. Mais nous nous vengerons des sionistes», selon la télévision d’État iranienne.

En plus de ses ramifications géopolitiques, l’explosion était incroyablement imprudente d’un point de vue environnemental. Quelles que soient les opérations nucléaires menées à Natanz, la perte d’énergie électrique pendant un certain temps aurait pu avoir de graves conséquences. Lors de la catastrophe de Fukushima en 2011 au Japon, le tremblement de terre et le tsunami qui a suivi ont mis hors service toute l’énergie électrique de la centrale nucléaire, y compris les générateurs de secours qui assurent le fonctionnement des systèmes de refroidissement. Le résultat était la deuxième pire fusion nucléaire de l’histoire, rivalisant avec Tchernobyl.

Le porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, Saeed Khatibzadeh, a déclaré: «Toutes les centrifugeuses qui sont tombées en panne sur le site de Natanz étaient de type IR-1», la première génération de machines d’enrichissement iraniennes, plus vulnérables aux pannes, et Khatibzadeh a insisté sur le fait qu’elles seraient remplacées par des machines plus perfectionnées. La veille de l’explosion, l’Iran a marqué sa Journée nationale de la technologie nucléaire en mettant en marche une chaîne de 164 centrifugeuses IR-6 avancées et testant des centrifugeuses IR-9 qui sont 50 fois plus rapides que les anciennes IR-1 qui constituent la majeure partie de la capacité de Natanz.

Khatibzadeh a déclaré que l’incident n’avait causé aucune contamination ou blessure, mais qu’il pouvait être considéré comme un «acte contre l’humanité», ajoutant que l’Iran se vengerait au «moment opportun». Il a déclaré: «La réponse pour Natanz est de se venger d’Israël», et «Israël recevra sa réponse par sa propre voie».

L’explosion a eu lieu le jour même où le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, rencontrait le ministre israélien de la Défense, Benny Gantz, puis a tenu une réunion privée avec le premier ministre Benjamin Netanyahu. C’était la première visite officielle en Israël d’un membre du gouvernement Biden.

Dans une déclaration commune dimanche, Gantz s’est engagé à coopérer avec le gouvernement Biden sur la question de l’Iran, promettant que la sécurité d’Israël serait préservée dans le cadre de tout nouvel accord sur le nucléaire iranien auquel Washington parviendrait. Il a déclaré: «Nous travaillerons en étroite collaboration avec nos alliés américains pour veiller à ce que tout nouvel accord avec l’Iran garantisse les intérêts vitaux du monde et des États-Unis, empêche une dangereuse course aux armements dans notre région et protège l’État d’Israël».

Bien qu’Austin n’ait rien dit sur l’Iran, il a rassuré Israël sur le fait que le gouvernement Biden continuerait à assurer «l’avantage militaire qualitatif» d’Israël au Moyen-Orient dans le cadre d’un «engagement fort envers Israël et le peuple israélien.» Il a insisté sur le fait que «notre relation bilatérale avec Israël en particulier est centrale pour la stabilité et la sécurité régionales au Moyen-Orient. Au cours de notre rencontre, j’ai réaffirmé au ministre Gantz que notre engagement envers Israël est durable et à toute épreuve.»

Bien que les responsables israéliens et américains n’aient pas voulu dire si le gouvernement américain avait été averti de l’attaque, ou si l’on avait programmé l’attaque pour coïncider avec la visite d’Austin, il est inconcevable que l’attaque ait été planifiée sur Natanz sans que Washington en soit informé et sans son approbation. En effet, le rôle de Tel-Aviv est d’effectuer le sale boulot de Washington dans la région, permettant ainsi à Washington de nier toute responsabilité.

Lundi, comme s’il agissait sur commande, un porte-parole de la Maison-Blanche s’est abstenu de condamner l’attaque tout en niant toute implication des États-Unis en déclarant: «Les États-Unis ne sont impliqués d’aucune manière et nous n’avons rien à ajouter aux spéculations sur les causes».

Il s’agit de la deuxième attaque d’Israël contre Natanz au cours des derniers mois, après une explosion et un incendie dans l’installation en juillet dernier qui visait à perturber l’enrichissement de l’uranium et la recherche. En 2010, les États-Unis et Israël ont entravé le programme nucléaire iranien avec le virus Stuxnet qui aurait détruit un cinquième des centrifugeuses iraniennes, tandis qu’Israël orchestrait une série d’assassinats de scientifiques nucléaires iraniens en 2010 et 2011. Puis, en novembre de l’année dernière, Israël a assassiné Mohsen Fakhrizadeh, un éminent scientifique iranien qui a mis en place le programme nucléaire du pays il y a deux décennies.

Israël mène depuis des années une guerre secrète contre l’Iran, lançant des centaines de frappes sur des cibles liées à l’Iran, y compris le Hezbollah libanais, dans la Syrie voisine, un opposant depuis le début de la guerre par procuration menée par les États-Unis pour renverser le régime du président syrien, Bachar al-Assad.

La semaine dernière, cette stratégie a été étendue à une offensive navale, avec l’attaque en mer Rouge du cargo MV Saviz, la propriété de la compagnie publique «Islamic Republic of Iran Shipping Lines». Cette attaque fait suite aux révélations du Wall Street Journal, citant des responsables américains, selon lesquelles Israël a attaqué au moins une douzaine de navires à destination de la Syrie au cours des deux dernières années et demie. Parmi ces navires, la plupart transportaient du pétrole iranien, tandis que certains transportaient des armes destinées aux alliés de Téhéran, dont le Hezbollah, en Syrie.

Les révélations du New York Times sur l’implication d’Israël dans l’explosion de Natanz renforcent la probabilité d’une riposte iranienne, d’autant plus que des élections présidentielles sont prévues en juin. La faction qui entoure le président Hassan Rouhani, qui a signé l’accord JCPOA, risque d’être défaite par la faction conservatrice dite «dure», qui était et reste opposée à l’accord.

L’Israël et le Mossad calculent que Rouhani est désireux d’obtenir un allègement des sanctions américaines qui ont ruiné l’économie iranienne et qu’il évitera donc toute escalade majeure. Danny Yatom, ancien chef du Mossad, a déclaré à la station de radio gérée par l’armée israélienne: «Dès que des responsables israéliens sont cités, les Iraniens doivent se venger», ajoutant: «Certaines actions doivent rester dans l’ombre.»

Netanyahou a pour sa part insisté sur le fait qu’il ne devrait pas y avoir de retour à l’accord nucléaire «dangereux» de 2015, déclarant dimanche: «La lutte contre l’Iran et ses mandataires et l’armement iranien est une mission géante. La situation qui existe aujourd’hui ne dit rien de la situation qui existera demain».

Alors que les négociations sur l’accord nucléaire doivent reprendre mercredi à Vienne, Netanyahou est déterminé à empêcher le gouvernement Biden de rejoindre le JCPOA et de lever les sanctions contre l’Iran, ou bien à défaut, de forcer Téhéran à accepter des restrictions plus strictes et plus longues sur ses ambitions nucléaires, ainsi que des restrictions sur son programme de missiles balistiques et son soutien aux milices régionales.

En outre, Netanyahou, qui tente désespérément de rassembler un gouvernement de coalition après une quatrième élection non concluante en deux ans afin de lui éviter une peine de prison quasi certaine pour corruption, pourrait miser sur le fait que la menace d’un conflit majeur avec l’Iran persuadera ses partenaires potentiels de rejoindre un gouvernement d’urgence.

(Article paru en anglais le 13 avril 2021)

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