Sur fond de tensions croissantes, les États-Unis imposent des sanctions à la Russie

Le président américain Joe Biden a imposé jeudi par décret un nouvel éventail de sanctions sur la Russie. Les États-Unis expulsent 10 diplomates russes et sanctionnent plus d’une trentaine d’entreprises. Les sanctions visent non seulement le secteur de l’énergie, mais aussi toute entreprise impliquée dans le financement américain d’obligations de l’État russe ou l’octroi de crédits à des institutions financières contrôlées par l’État russe.

Fait à noter, les États-Unis ont exclu des nouvelles sanctions le gazoduc russo-allemand Nord Stream 2. Ce gazoduc fait l’objet d’une opposition farouche de la part des partis démocrate et républicain, des membres de l’OTAN tels que la Pologne et les États baltes, ainsi que de l’Ukraine. Il est fortement tributaire des revenus tirés du transit du gaz russe par son territoire vers l’Europe. Toutefois, les représentants du gouvernement allemand ont plaidé à plusieurs reprises contre les sanctions américaines à l’encontre du projet, insistant sur le fait que l’Allemagne allait continuer à poursuivre ce projet. En début de semaine, le secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, s’est rendu en Allemagne pour discuter du cantonnement de 500 soldats américains supplémentaires dans le pays.

Photo d’un navire de guerre américain prise le lundi 15 février 2021 (AP Photo/Mohammad Farooq)

Le décret de Biden stipule que les allégations non prouvées d’ingérence russe dans les élections américaines et le piratage de la société SolarWinds constituent des «activités étrangères nuisibles du gouvernement de la Fédération de Russie». Il accuse également le gouvernement russe de porter atteinte à «la sécurité dans des régions et des pays importants pour la sécurité nationale des États-Unis». Le décret qualifie ces actions de «menace inhabituelle et extraordinaire à la sécurité nationale, la politique étrangère et l’économie des États-Unis».

Sur cette base, Biden a également déclaré «une urgence nationale pour faire face à cette menace». La dernière fois que les États-Unis ont invoqué une «urgence nationale» pour sanctionner la Russie, c’était le 6 mars 2014, au plus fort de la crise ukrainienne. Cette crise fut déclenchée par le coup d’État soutenu par les États-Unis et l’Allemagne à Kiev le 18 février 2014, qui s’appuyait principalement sur des sections de l’oligarchie et de l’extrême droite ukrainienne. Comme l’expliquait le WSWS à l’époque, le coup d’État avait créé «la crise internationale la plus dangereuse depuis la crise des missiles de Cuba d’octobre 1962».

L’OTAN a immédiatement publié une déclaration approuvant les sanctions américaines et qualifiant les «actions de la Russie» de «menace pour la sécurité euro-atlantique». L’alliance, qui s’est agressivement étendue aux frontières de la Russie au cours des trois dernières décennies et qui a soutenu de multiples coups d’État dans des pays comme l’Ukraine et la Géorgie, a hypocritement appelé la Russie à «cesser immédiatement son comportement déstabilisateur».

En réponse aux sanctions, la Russie a convoqué l’ambassadeur américain John Sullivan pour ce que le Kremlin a appelé une «conversation difficile». À la suite de la dénonciation publique par Biden du président russe Vladimir Poutine comme un «tueur» en mars, la Russie avait également rappelé son ambassadeur aux États-Unis. On suppose qu’en représailles aux sanctions, la Russie expulsera bientôt le personnel diplomatique américain.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que, compte tenu des sanctions, le sommet entre Biden et Poutine, proposé par Biden mardi, ne se tiendrait pas de sitôt. Mais, il ne l’a pas non plus exclu totalement.

Les nouvelles sanctions américaines interviennent dans un contexte de dangereuse aggravation des tensions militaires et géopolitiques dans la région de la mer Noire. En mars, le gouvernement ukrainien a adopté une stratégie qui vise à «reprendre la Crimée». C’est dans ce contexte que s’est produit le récent embrasement des affrontements militaires entre l’armée ukrainienne et les séparatistes soutenus par la Russie dans l’est de l’Ukraine, où une guerre civile fait rage depuis 2014.

La péninsule, stratégiquement située dans la mer Noire et abritant la base navale de la flotte russe de la mer Noire, a été annexée par la Russie après le coup d'État. La déclaration de la «plate-forme de Crimée» et les discussions publiques sur une offensive qui vise à «reprendre» le Donbas, dans l'est de l'Ukraine, montrent clairement que le gouvernement ukrainien se prépare à une guerre totale contre la Russie, en comptant sur le soutien de l'OTAN.

Carte de la région de la mer Noire [Photo by Norman Einstein / CC BY-NC-SA 4.0]

Depuis lors, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a cherché à obtenir un soutien pour sa «plateforme de Crimée». Il a notamment exhorté les États-Unis et l’OTAN à accélérer l’admission de l’Ukraine au sein de l’alliance militaire. Jeudi, l’ambassadeur ukrainien en Allemagne, Andrij Melnyk, a averti que si l’Ukraine n’était pas rapidement admise dans l’OTAN, elle serait forcée de «se réarmer toute seule». S’adressant à Deutschlandfunk, il a déclaré que le gouvernement ukrainien «envisageait» l’acquisition d’armes nucléaires.

Vendredi, Zelensky doit rencontrer le président français Emmanuel Macron. Les médias russes ont rapporté que Macron et Zelensky pourraient notamment discuter d’un important accord de livraison d’avions de combat français Rafale, de Dassault, à l’armée de l’air ukrainienne, car l’Ukraine est mécontente de ce qu’elle considère comme la lenteur des livraisons d’avions de combat américains.

Peu avant que les États-Unis n’annoncent leurs nouvelles sanctions, des sources diplomatiques turques ont révélé à Reuters que les États-Unis avaient annulé le déploiement de deux navires de guerre en mer Noire à travers les détroits turcs, qui devait commencer le 14 avril. Cette mesure extraordinairement provocatrice avait suscité la colère des responsables du Kremlin. Le vice-ministre des Affaires étrangères, Sergei Ryabko, a averti les États-Unis de «rester à l’écart de la Crimée et de notre côte de la mer Noire… pour leur propre bien». L’annulation du déploiement reflète sans aucun doute la reconnaissance par Washington du fait que sa poursuite pourrait conduire à une escalade incontrôlable du conflit.

Toutefois, la situation dans la région de la mer Noire, qui revêt une importance géostratégique majeure pour les États-Unis dans leurs efforts pour affaiblir la Russie et la Chine, reste sur le fil du rasoir.

Le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a averti jeudi que les tensions n’avaient pas été «apaisées» malgré l’annulation du déploiement des navires de guerre américains. Quelques heures seulement après l’annonce des sanctions par les États-Unis, les médias ont laissé entendre que la Russie fermerait le détroit de Kertch, un passage maritime entre la mer d’Azov et la mer Noire, à partir du 26 avril et jusqu’en octobre 2021, afin de mener des exercices militaires. Le ministre ukrainien des Affaires étrangères a immédiatement émis une protestation, mais le gouvernement russe n’a pas confirmé la fermeture du détroit jusqu’à présent.

Peu après, l’état-major ukrainien a accusé la Russie sur sa page Facebook d’avoir violé «les règles du droit maritime international» dans la mer d’Azov. Sans fournir de détails ni de preuves, il a allégué que des «bateaux du FSB» [les services secrets internes de la Russie] avaient bloqué le passage de navires de la marine ukrainienne «en mission de combat» la veille. En 2018, le gouvernement ukrainien, alors dirigé par le milliardaire Petro Porochenko, a lancé une provocation majeure contre la Russie dans la mer d’Azov, à la suite d’un face-à-face dans le détroit de Kertch.

Les médias ukrainiens ont rapporté que le Service de sécurité de l’Ukraine (SBU) a également lancé des «exercices antiterroristes à grande échelle et en plusieurs phases» dans les régions de Kherson et Kharkov. Selon la Nezavisimaya Gazeta, les troupes et les équipements militaires ukrainiens sont désormais concentrés dans l’oblast de Kherson. La région de Kherson est située dans le sud de l’Ukraine, à proximité immédiate de la mer d’Azov et de la mer Noire, et au nord de la péninsule de Crimée. La région de Kharkov se trouve à l’est du pays, en bordure des territoires qui étaient sous contrôle de séparatistes soutenus par la Russie. Les deux régions sont fortement peuplées de russophones qui ont des liens familiaux et culturels étroits avec la Russie. Dans cette population, le coup d’État d’extrême droite à Kiev en 2014 était très impopulaire.

Les propres exercices militaires de la Russie à sa frontière sud devraient durer encore deux semaines. La Russie aurait également renforcé sa flotte de la mer Noire.

(Article paru en anglais le 16 avril 2021)

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