À la demande du patronat indien, le gouvernement Modi laisse la pandémie se propager

La pandémie de COVID-19 se répand maintenant en Inde comme une traînée de poudre, menaçant une catastrophe de proportions bibliques ou, pour être plus précis, capitalistes du 21e siècle.

Mardi, les autorités sanitaires indiennes ont fait état de 259.170 nouvelles infections, ce qui n’est que légèrement inférieur au chiffre record de 273.802 enregistré samedi. Le nombre quotidien de nouveaux cas de COVID-19 en Inde a dépassé 200.000 chaque jour depuis le 15 avril. Cela fait six jours consécutifs.

Le nombre de décès dus au COVID-19 a augmenté de plus de 1.000 par jour depuis le 14 avril, bien que de nombreux reportages suggèrent qu’il s’agit d’une sous-estimation importante. Mardi, le bilan quotidien du COVID-19 a établi un nouveau record: 1.761 décès ont été officiellement attribués au virus, portant le total à plus de 182.000.

Des personnes font la file pour subir un test de dépistage du COVID-19 dans un hôpital public de Jammu, en Inde, le 19 avril 2021 (AP Photo/Channi Anand)

Malgré la vague d’infections et de décès, le gouvernement indien du Bharatiya Janata Party (BJP), dirigé par Narendra Modi, est catégorique: il n’imposera pas de confinement national pour stopper la propagation du COVID-19, qui est alimenté, comme partout dans le monde, par de nouveaux variants plus contagieux et mortels.

Lundi, la ministre indienne des Finances, Nirmala Sitharaman, s’est entretenue avec les dirigeants des principaux groupes de pression du monde des affaires et les PDG de certaines des plus grandes entreprises du pays, dont Maruti Suzuki et Tata Steel, afin de les rassurer sur le fait que le gouvernement de l’Union continuera à privilégier les profits des sociétés au détriment des vies humaines.

Sitharaman a déclaré qu’il «n’y a pas de plan [pour un] confinement national». Animesh Saxena, président de la Fédération indienne des micro, petites et moyennes entreprises (FISME), a déclaré à l’Economic Times of India que «l’accent serait mis sur la création de petites zones de confinement pour arrêter la propagation [du virus]. Elle nous a demandé quelles étaient nos préoccupations pour qu’elle puisse y répondre.»

R.C. Bhargava, directeur de Maruti Suzuki, le plus grand constructeur automobile indien, s’est dit satisfait de la décision du gouvernement de laisser le virus se propager. Il a déclaré au Telegraph de Kolkata: «Je ne pense pas que le confinement soit la réponse appropriée cette fois-ci. [Il] fera plus de mal que de bien».

Dans un discours national télévisé mardi soir, le premier ministre Modi a délivré à peu près le même message que sa ministre des Finances. Seulement, loin de vouloir «répondre» aux préoccupations du peuple indien, il lui a effectivement dit de vivre avec la menace de nombreux décès et de continuer à se débrouiller seul face à une crise socio-économique sans précédent.

Reformulant le mantra capitaliste selon lequel «le remède ne doit pas être pire que le mal», Modi a déclaré que l’Inde devait être «sauvée» non pas de la pandémie, mais d’un confinement visant à stopper l’avancée du virus et à sauver des vies! «Dans la situation actuelle, nous devons sauver le pays du confinement», a déclaré Modi.

«Je demande également aux États, poursuit-il, d’utiliser le confinement comme dernière option. Nous devons faire tout notre possible pour éviter le confinement et nous concentrer uniquement sur les microzones de confinement.»

Aussi pénible que soit la situation actuelle en Inde, tout porte à croire que la croissance exponentielle des infections et des décès dus au COVID-19 ne fait que commencer:

*Il y a actuellement plus de 2 millions de cas actifs de COVID-19, soit presque quatre fois plus que les 580.327 cas recensés au 1er avril.

* Le virus fait une poussée dans plusieurs régions, du Maharashtra à l’ouest, de Delhi et de l’Uttar Pradesh au nord, au Chhattisgarh au centre-est, et au Karnataka et au Tamil Nadu au sud.

* Le système de santé publique indien est en train de s’effondrer sous le poids de l’augmentation du nombre de cas.

Les hôpitaux sont déjà submergés par des pénuries de personnel, de lits de soins intensifs et de médicaments anti-COVID-19, tels que le Remdesivir et le Tocilizumab. Plusieurs États et le territoire de la capitale nationale de Delhi, qui compte le plus grand nombre de cas de COVID-19 par habitant du pays, sont confrontés à de graves pénuries d’oxygène.

«Cela ne fonctionne plus, le Maharashtra est en train de couler et d’autres États vont suivre», a déclaré le Dr Jalil Parkar, pneumologue de haut niveau à l’hôpital Lilavati de Mumbai, à la journaliste de NDTV Barkha Dutt. «C’est pire que la Seconde Guerre mondiale.»

La pénurie de médicaments et d’oxygène est si grave que certains hôpitaux demandent désormais aux patients et à leurs familles de se procurer ces produits directement auprès des revendeurs.

L’augmentation du nombre de cas de COVID-19 dépasse de loin la campagne de vaccination du gouvernement. Alors que les infections ont commencé à augmenter en février et début mars, Modi et son gouvernement ont cavalièrement rejeté les appels à l’action pour stopper la propagation du virus, affirmant que la réponse à la contagion se trouverait dans la campagne de vaccination indienne, qui est la meilleure au monde. Le ministre de la Santé, Harsh Vardhan, s’est même vanté de manière fatale que l’Inde était en «phase finale» de la pandémie.

La campagne de vaccination tant vantée est maintenant en lambeaux. Au lundi 19 avril, seulement 8% des 1,4 milliard d’habitants de l’Inde avaient reçu une injection de vaccin, et un peu plus de 17 millions de personnes, soit 1,3% de la population indienne, étaient entièrement vaccinées.

En outre, alors que l’Inde est le plus grand producteur de vaccins au monde, l’approvisionnement en vaccins est à sec. Et ce, malgré l’interdiction réactionnaire des exportations imposée par le gouvernement Modi, qui aura un impact dévastateur sur les nombreux pays à revenu faible ou intermédiaire qui comptaient sur la production indienne pour la totalité ou une grande partie de leurs vaccins.

Parce qu’ils ont perdu ou craignent de perdre leur emploi et de se retrouver sans le sou à cause des mesures de confinement locales, les travailleurs migrants commencent à fuir les grandes villes comme Delhi et Mumbai. Cette situation fait craindre une nouvelle propagation du virus dans les zones rurales de l’Inde, où les services de santé publique sont pratiquement inexistants.

En mars et avril derniers, plus de 10 millions de travailleurs migrants sont rentrés dans leurs villages dans une migration de masse chaotique provoquée par le confinement désastreux du gouvernement BJP, qui, sans aucun avertissement ni aucun soutien social, a soudainement privé des centaines de millions de personnes de leurs moyens de subsistance.

Lundi après-midi, 50.000 personnes seraient descendues dans les dépôts de bus de Delhi à la recherche d’un moyen de rentrer chez elles. «Nous savons très bien, après l’année dernière, que personne ne s’occupera de nous et c’est pourquoi je rentre chez moi», a déclaré un travailleur à NDTV. «Quand nous sommes à la maison», a déclaré une femme attendant un bus pour le Bundelkhand, «nous savons au moins que nous pouvons demander de l’aide à quelqu’un et que nos enfants ne mourront pas de faim. L’année dernière, nous avons dû faire la queue et mendier de la nourriture.»

Alors que les autorités indiennes tentent criminellement de minimiser l’importance de l’émergence de nouveaux variants du COVID-19, ces derniers ont rendu la pandémie plus virulente et modifié le profil des personnes gravement malades et mourantes.

Comme ailleurs, la vague actuelle d’infections frappe beaucoup plus de personnes dans la fleur de l’âge. Selon les données du programme intégré de surveillance des maladies du gouvernement de l’Union, 31,5.% des hospitalisations liées au COVID-19, soit près d’un tiers, concernent des personnes âgées de 39 ans ou moins, les enfants et les adolescents représentant 5,8% des personnes hospitalisées.

Outre les trois principaux variants mondiaux – les souches britannique, sud-africaine et brésilienne de COVID-19 – qui circulent toutes dans le deuxième pays le plus peuplé du monde, l’Inde a vu apparaître un virus dit «doublement mutant» qui combine deux mutations identifiées ailleurs.

Dans le Maharashtra, qui a enregistré une moyenne de près de 55.000 infections par jour au cours de la semaine dernière, les tests indiquent que le double mutant était responsable de 20% de toutes les nouvelles infections de la semaine dernière, et de plus de 60% dans certains districts.

Bien que le variant indien à double mutation ait été identifié pour la première fois à la fin de l’année dernière et que certains épidémiologistes aient rapidement établi un lien avec le pic d’infections de février, le gouvernement, fidèle à son indifférence à l’égard de la santé de la population, a fait séquencer génétiquement moins de 1% des échantillons positifs du COVID-19 le mois dernier, ce qui empêche de suivre correctement l’impact des variants.

Déterminé à défendre les profits et les richesses de l’élite indienne, le gouvernement hindouiste et suprématiste du BJP ne prendra même pas les mesures les plus minimales pour protéger la population face à cette catastrophe en cours. Mardi, la Haute Cour de Delhi a souligné que le gouvernement n’avait pas ordonné immédiatement la suspension des livraisons d’oxygène à toutes les industries, sauf celles qui sont essentielles, afin que les hôpitaux puissent être réapprovisionnés. Notant que l’ordonnance gouvernementale interdisant l’utilisation industrielle de l’oxygène ne prendra effet que jeudi, la Cour s’est sentie obligée de réprimander le gouvernement en déclarant: «L’industrie peut attendre. Les patients ne le peuvent pas. ... Des vies sont en jeu. Allez-vous dire à un patient d’attendre jusqu’au 22 avril pour avoir de l’oxygène?»

Cependant, le gouvernement Modi n’est pas le seul responsable de la catastrophe qui frappe l’Inde. L’ensemble de la classe dirigeante et de l’establishment politique a du sang sur les mains. Le Maharashtra et Delhi, les deux États les plus durement touchés, sont dirigés par les adversaires politiques apparents du BJP, mais ils ont poursuivi la même politique meurtrière consistant à donner la priorité aux profits des sociétés sur la vie des travailleurs. Les médias bourgeois, comme le reste des grandes entreprises, se sont déchaînés contre les confinements. Ils invoquent avec cynisme le sort des centaines de millions d’Indiens dont les maigres revenus ont encore diminué à cause de la pandémie, pour ensuite célébrer la fortune grandissante des milliardaires indiens comme preuve de l’essor du capitalisme indien.

En effet, pendant que les travailleurs et les ouvriers indiens étaient ravagés par la pandémie et ses retombées économiques, la classe dirigeante s’est gavée. Selon la liste des milliardaires de Forbes pour 2021, le nombre de milliardaires indiens en dollars est passé de 102 à 144 l’année dernière et leur richesse a «presque doublé pour atteindre 596 milliards de dollars».

La lutte contre la pandémie en Inde, comme partout dans le monde, est une lutte de classe. Elle requiert la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière pour faire appliquer un programme socialiste qui place les vies humaines et les besoins sociaux avant le profit capitaliste, et qui s’approprie les richesses de l’élite capitaliste pour financer les mesures de santé publique et les aides sociales nécessaires pour arrêter la propagation du virus jusqu’à ce que la population puisse être vaccinée.

(Article paru en anglais le 21 avril 2021)

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