Manifestations contre le couvre-feu au Québec:

Sur quelle base faut-il s’opposer à la réponse désastreuse du gouvernement Legault à la pandémie?

De concert avec ses homologues provinciaux et le gouvernement fédéral de Justin Trudeau, le gouvernement du Québec met en péril nombre de vies humaines sous le prétexte qu’il faut garder «l’économie ouverte», c’est-à-dire préserver le flot ininterrompu des profits vers la grande entreprise.

Répondant aux exigences d’une aristocratie financière qui s’est fabuleusement enrichie depuis le début de la crise, le premier ministre François Legault rejette toute mesure sanitaire et économique qui pourrait endiguer la pandémie de COVID-19. Il insiste en particulier pour garder ouvertes les écoles et les entreprises non essentielles, bien qu’elles aient été identifiées par d’innombrables études scientifiques comme des foyers majeurs du coronavirus.

Alors que le Canada entre dans une troisième vague très dangereuse de la pandémie, avec une forte hausse des infections et des hospitalisations sous l’impact de nouveaux variants plus contagieux, c’est la classe ouvrière qui en paie le prix fort. Bien que celle-ci ait maintes fois exprimé son opposition, elle reste politiquement muselée par la complicité des syndicats procapitalistes dans la campagne de l’élite dirigeante pour le retour au travail et la réouverture des écoles.

C’est dans ce contexte social explosif, dominé par une gestion désastreuse de la pandémie par l’élite dirigeante, qu’on voit l’émergence d’un ras-le-bol chez certains jeunes. Ce sentiment de frustration sociale prend néanmoins une forme politique confuse, qui ouvre grand la porte aux éléments anti-masque et anti-confinement associés à l’extrême droite.

Ces forces ultra-réactionnaires ont été impliquées, à des degrés divers, dans une série de manifestations qui ont éclaté après la décision du gouvernement Legault de faire commencer le couvre-feu à 20h00 au lieu de 21h30 dans plusieurs régions de la province.

Le dimanche 11 avril, plus d’une centaine de jeunes réunie au Vieux-Port de Montréal ont défié le couvre-feu dans une manifestation qui s’est terminée par le saccage de quelques commerces et sept interpellations policières. Plus tôt cette journée avait eu lieu l’arrestation de David Menzies, un dirigeant de Rebel News, après une provocation orchestrée par ce groupe fascisant pro-Trump qui avait donné son appui et vraisemblablement participé à la manifestation.

Deux jours plus tard, le mardi 13 avril, une quarantaine de personnes ont défilé dans la ville de Québec pour dénoncer le couvre-feu et des règles sanitaires dites «abusives».

En tête de la manifestation du 18 avril à Montréal, on pouvait voir cette banderole avec l’inscription suivante : «Ensemble pour des mesures sanitaires et solidaires! Non au couvre-feu» (crédit: André Querry).

Puis le dimanche 18 avril, plusieurs centaines de jeunes se sont rassemblés au parc Jeanne-Mance de Montréal avant de descendre dans la rue pour «dénoncer l’imposition d’un couvre-feu ... qui porte gravement atteinte à nos libertés». Malgré la mise en garde des organisateurs contre «les manipulations insensées des conspirationnistes qui sont exploitées par l'extrême droite», l’absence d’une perspective basée sur la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière a justement fait le jeu de l’extrême droite.

Même lorsqu’ils sont animés des meilleures intentions, ceux qui dénoncent le caractère arbitraire du couvre-feu passent sous silence l’essentiel, à savoir qu’il est utilisé par le gouvernement Legault pour justifier le rejet des mesures sanitaires nécessaires pour stopper la pandémie – confinement généralisé, fermeture complète des écoles et des lieux de travail non essentiels, campagne massive de vaccination.

Même si l’efficacité de ces mesures est prouvée par la science et l’expérience historique, elles sont rejetées d’un revers de main parce qu’elles entrent en conflit avec des intérêts de classe bien définis.

L’élite dirigeante veut garder l’économie «ouverte» pour continuer à s’enrichir sur le dos des travailleurs. Elle crie au meurtre devant la nécessité, en cas de confinement, de débloquer des ressources pour assurer un enseignement à distance de qualité à tous les enfants et une pleine compensation financière aux parents-travailleurs et aux petits commerçants forcés de rester chez eux. Pour l’aristocratie financière, il s’agirait là d’une déduction inacceptable sur ses propres marges de profit.

Le couvre-feu s’inscrit dans le cadre des mesures inefficaces, contradictoires, vénales et hypocrites qui caractérisent la réponse du gouvernement Legault depuis le début de la pandémie. Certains jeunes se demandent à quoi peut servir un couvre-feu si les écoles qu’ils fréquentent ou les entreprises où ils travaillent demeurent ouvertes malgré des éclosions régulières de COVID-19 dans ces milieux.

Mais, il faut lancer un avertissement clair. Les appels anti-couvre-feu qui fusent aujourd’hui sont dominés par la confusion et la désorientation politiques. Ils restent détachés d’un programme visant à mobiliser la classe ouvrière pour combattre la pandémie sur une base scientifique. C’est pour cette raison qu’ils sont exploités par des éléments ultra-réactionnaires à leurs propres fins.

On a vu, par exemple, l’ex-président américain Donald Trump chercher à s’accrocher au pouvoir par des appels «anti-confinement» adressés à des milices fascistes, qu’il a ensuite lancées contre le Capitole dans son coup de force raté du 6 janvier. On a également vu des manifestations violentes de groupes d’extrême droite en Europe, notamment aux Pays-Bas, contre toute mesure de confinement. Et en juillet dernier au Québec, une manifestation de travailleurs de la santé contre les conditions de travail intolérables a été envahie par des ultra-nationalistes brandissant des pancartes contre le confinement.

La perspective qui doit animer une opposition progressiste à la politique criminelle du gouvernement Legault sur la pandémie n’est pas une lutte pour la levée du couvre-feu, mais la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière autour d’un ensemble cohérent de mesures énergiques, basées sur la science, visant à éradiquer le coronavirus.

Celles-ci comprennent: le dépistage de masse; le traçage des contacts; une campagne massive et accélérée de vaccination; des investissements majeurs dans le système de santé publique pour traiter toutes les victimes de COVID-19 et maintenir intégralement les autres soins de santé; la fermeture complète des entreprises non essentielles et des écoles, tout en garantissant un enseignement en ligne de qualité aux enfants et une pleine compensation financière aux parents-travailleurs forcés de rester à la maison pour les garder.

L’implantation de ces mesures vitales requiert une lutte politique pour mobiliser la classe ouvrière au Québec, dans tout le Canada et internationalement, contre le système capitaliste dont la faillite sanitaire, économique et morale a été mise à nu par le coronavirus.

Ce qui bloque une telle lutte politique indépendante des travailleurs, c’est l’appareil bureaucratique constitué par les syndicats. Ils ont été transformés, au cours des dernières décennies, en véritable agence du patronat servant à étouffer la résistance ouvrière et à imposer les coupures d’emplois, baisses de salaires et autres attaques exigées par la grande entreprise. Or, c’est à ces syndicats procapitalistes, de plus en plus discrédités aux yeux de leurs membres, que les éléments de la pseudo-gauche cherchent à attacher politiquement la classe ouvrière.

Un exemple flagrant est fourni dans un article publié le 14 avril par La Riposte socialiste, un groupe soi-disant marxiste qui fait partie de Québec Solidaire (QS). Accueillant chaleureusement la manifestation contre le couvre-feu qui venait d’avoir lieu à Montréal, l’article conclut: «Les syndicats et QS ont le devoir d’organiser un mouvement de masse contre le couvre-feu et pour de véritables mesures pour freiner la pandémie».

Dans cette seule phrase, La Riposte réussit à dépeindre sous des couleurs progressistes un mouvement politiquement confus qui profite à l’extrême droite, tout en insistant pour que cette expression hautement déformée de la colère sociale latente – et à fortiori tout véritable mouvement d’opposition des travailleurs – reste sous le contrôle des forces mêmes qui imposent aux travailleurs la politique réactionnaire de l’élite dirigeante.

Depuis le début de la crise du coronavirus, les centrales syndicales soutiennent entièrement la campagne criminelle de l’élite dirigeante pour un retour au travail et une réouverture complète des écoles sous le prétexte de préserver «l’économie», c’est-à-dire les profits.

Au début de la pandémie en avril 2020, le Congrès du travail du Canada (CTC) et Unifor, le plus grand syndicat canadien du secteur privé, ont publié une déclaration commune avec le ministère fédéral du Travail, l'Association des banquiers du Canada et la Fédération canadienne de l'entreprise indépendante où ils affirment que travailleurs et patrons «partagent des objectifs communs», notamment de s’assurer que «les entreprises canadiennes sont prêtes à revenir en force».

Quant à Québec Solidaire, ce parti des classes moyennes aisées qui prône le nationalisme québécois réactionnaire et cherche à s’intégrer encore plus à l’establishment dirigeant, sa position sur la pandémie est indissociable de celle du premier ministre Legault.

Pas plus tard que le 13 avril, QS a endossé une fois de plus la politique criminelle et hypocrite du gouvernement de droite de la CAQ (Coalition Avenir Québec) en appuyant à l’Assemblée nationale une motion qui «réitère sa confiance envers toutes les mesures sanitaires en vigueur recommandées par la Santé publique, y compris l’imposition d’un couvre-feu».

L’article de La Riposte sert aussi de couverture politique à une certaine orientation anarchiste sous-jacente aux manifestations anti-couvre-feu, à savoir les appels à l’«action directe» et aux affrontements avec la police. Ils reflètent le point de vue démoralisé de certaines couches des classes moyennes, hostiles à la classe ouvrière et animées d’un profond individualisme qui les rend vulnérables aux agents provocateurs et aux appels hypocrites de l’extrême droite pour la «liberté».

Les jeunes révoltés avec raison contre la gestion catastrophique de la pandémie par le gouvernement Legault ne pourront donner une expression progressiste à leur colère qu’en rejetant la politique procapitaliste des syndicats, le nationalisme québécois réactionnaire de QS et l’anarchisme individuel que cherchent à légitimer des éléments de la pseudo-gauche tels que La Riposte.

Ils doivent plutôt œuvrer pour la mobilisation indépendante de la classe ouvrière – la seule force sociale internationale ayant la capacité et l’intérêt objectif à mettre fin à la pandémie et à sauver des millions de vies, dans une lutte politique indépendante pour réorganiser l’économie afin de satisfaire les besoins sociaux et non le profit individuel.

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