Avec la grève annoncée le 26 avril au Port de Montréal, la lutte des débardeurs entre dans une phase critique

Le syndicat représentant les quelque 1150 débardeurs du Port de Montréal, le local 375 du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), a annoncé une grève générale illimitée à compter du lundi 26 avril dès 7h le matin.

Du point de vue de la bureaucratie syndicale, cette annonce ne signifie aucunement le début d’une contre-offensive ouvrière contre l’assaut patronal sur les débardeurs. C’est plutôt une manœuvre pour sauver la face après une série de provocations de la part de l’employeur, l’Association des employeurs maritimes (AEM).

Lors d’une conférence de presse tenue le 24 avril pour annoncer la grève, le président du local 375, Michel Murray, s’est engagé à annuler celle-ci «sur le champ» si l’AEM levait ses dernières mesures, tout en réitérant que la priorité du syndicat était d’être à la table des négociations.

Une rencontre de «médiation» est d’ailleurs prévue lundi: ce mécanisme impliquant le gouvernement fédéral et mis en place avec la collaboration des syndicats pour imposer les demandes patronales sous une fausse apparence de neutralité, pourrait bien être utilisé pour tuer dans l’œuf le mouvement de grève.

De plus, vendredi, la ministre du Travail, Filomena Tassi, a inscrit le dépôt d’un projet de loi antigrève à l’ordre du jour parlementaire, un préavis de 48 heures qui permettrait son adoption dès mardi matin.

Travailleurs du port de Montréal faisant du piquetage pendant la grève de 12 jours d’août dernier. (Source: SCFP)

Les débardeurs, sans contrat de travail depuis décembre 2018, mènent une lutte déterminée contre les tentatives de l’AEM d’imposer des changements régressifs à leurs conditions de travail.

Malgré trois votes en faveur de la grève depuis la fin de la convention collective, ce n’est qu’en juillet 2020 qu’une grève a eu lieu. Sabotée par le syndicat après seulement 12 jours, celle-ci a tout de même démontré l’énorme pouvoir social des débardeurs.

La grève, qui a complètement stoppé les activités dans le deuxième port en importance au Canada, par où transitent environ 100 milliards de dollars de marchandises chaque année, aurait coûté 600 millions de dollars aux grossistes selon les associations patronales. Malgré cela, le SCFP s’est empressé d’y mettre fin et de conclure une «trêve» de 7 mois avec la partie patronale pendant laquelle aucun moyen de pression n’était permis.

Le 21 mars 2021, la journée même où la «trêve» prenait fin, les débardeurs ont rejeté une offre de contrat remplie de concessions avec une écrasante majorité de 99.7%. En réponse, l’association patronale a multiplié les provocations et les attaques, de même que les appels pressants à une intervention d'Ottawa pour illégaliser toute grève des débardeurs.

Le 29 mars, l’AEM a acheté une publicité dans tous les grands quotidiens de Montréal afin de dénoncer les «conditions généreuses» des débardeurs, dans le but de dresser l’opinion publique, et en particulier les autres travailleurs, contre les débardeurs.

Le 10 avril, elle a annoncé un lock-out partiel, sous la forme du retrait de la garantie de revenus et la cessation de la rémunération des heures non travaillées.

Puis, le 22 avril, l’AEM a annoncé qu’elle modifierait les horaires de travail à compter du 26 avril, éliminant les quarts de travail pour les remplacer par un horaire en présence continue.

La réaction du SCFP à chacune de ces attaques contre les débardeurs a été l’annonce de timides mesures de protestation, accompagnées d’une attitude de soumission face à l’employeur.

Après l’annonce du lock-out partiel du 10 avril, survenue après quelques jours de négociations en présence de «médiateurs» fédéraux, Murray a soutenu qu’il avait bon espoir d’en arriver à une entente. «Nous croyons toujours à la négociation et attendons impatiemment un retour à la table», a insisté le chef syndical, alors même que la partie patronale venait de s’en prendre vicieusement aux débardeurs.

Le SCFP a ensuite envoyé un avis de grève partielle touchant les heures supplémentaires et le travail de fin de semaine, tout en rassurant le monde des affaires quant à son caractère inoffensif. «Nous mettons de la pression sur l’employeur sans trop déranger les clients qui attendent leurs marchandises», a insisté le syndicat. Ce dernier en a profité pour complimenter l’AEM en déclarant que «pour la première fois en sept mois, l’employeur a véritablement négocié».

Ces appels pathétiques à l’employeur font partie de la stratégie d’isolement et de démobilisation des débardeurs qui a été mise en œuvre par le syndicat depuis le début du long conflit de travail.

Les bureaucrates du SCFP craignent avant tout que l’opposition des débardeurs ne serve d’étincelle à un vaste mouvement de résistance ouvrière aux attaques patronales et aux mesures d’austérité capitaliste.

C’est pourquoi ils font tout pour confiner la courageuse lutte des travailleurs du port de Montréal dans le cadre juridique du Code canadien du travail et des «relations de travail». Ce régime légal favorise l’employeur et subordonne les actions des travailleurs à une série de règles et formalités qui visent à les isoler et à les maintenir dans une camisole de force.

La classe dirigeante, elle, présente un front uni contre les débardeurs. Associations patronales, grands médias et politiciens à tous les niveaux ont publiquement dénoncé les «conséquences économiques» de la grève – c’est-à-dire son impact sur les profits de la grande entreprise – et exigé l’intervention du gouvernement fédéral de Justin Trudeau.

Le 13 avril, l’Administration du Port de Montréal a publié une lettre ouverte dénonçant les effets du conflit sur «les milliers d’importateurs et exportateurs». Malgré un appel pour la forme à la négociation, la lettre constituait, avec ses références aux «services essentiels et prioritaires» et aux «infrastructures stratégiques», un appel clair à une loi spéciale.

La même journée, une coalition d’associations patronales et du monde des affaires – comprenant notamment la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat et Manufacturiers et exportateurs du Québec – tenait une conférence de presse pour dénoncer la grève partielle alors en cours. Une de ses principales demandes était que la ministre fédérale du Travail agisse avec «fermeté» et «exige un retour immédiat aux activités normales».

Cette dernière, quant à elle, a confirmé à plusieurs reprises qu’elle examine toutes les options pour mettre fin au conflit. Lors du rejet de l’offre patronale le 21 mars dernier, les médias avaient rapporté qu’un projet de loi spéciale avait été présenté à Trudeau et fait l’objet d’une discussion au sein de son cabinet ministériel. Avec le préavis déposé vendredi par la ministre Tassi, il ne fait aucun doute que le gouvernement libéral se prépare à criminaliser la lutte des débardeurs.

Il aurait alors le plein appui des autres partis de la grande entreprise qui siègent à la Chambre des Communes – non seulement les Conservateurs et le Bloc Québécois, mais aussi le NPD social-démocrate, dont l’opposition verbale à une telle mesure n’est que du théâtre politique étant donné son engagement, maintes fois réitéré, à soutenir le gouvernement libéral minoritaire.

Le gouvernement du Québec a lui aussi exigé l’adoption d’une loi spéciale. Le ministre de l’Économie Pierre Fitzgibon, un millionnaire qui combine ses lucratives affaires avec son rôle de ministre, a écrit dimanche: «Je supporte le dépôt du projet de loi pour régler le conflit», tout en ajoutant avec arrogance que «deux grèves en un an n’est pas un scénario acceptable».

Cette campagne coordonnée de la classe dirigeante s’explique par la crainte que les attaques de l’AEM contre les débardeurs ne provoquent une réaction de toute la classe ouvrière. La classe dirigeante compte sur les syndicats pour étouffer la colère de leurs membres et isoler leur lutte. Mais elle est aussi consciente que dans le contexte où la pandémie de COVID-19 a grandement exacerbé des relations de classe déjà tendues, elle ne peut laisser aucun répit aux travailleurs, sans quoi elle risque une explosion sociale.

Les débardeurs représentent une section stratégique de la classe ouvrière ayant un immense poids social à cause de sa position centrale dans la chaîne de transport et d’approvisionnement. Comme pour les autres sections de travailleurs qualifiés, les gains obtenus dans le passé au prix de luttes acharnées sont maintenant la cible d’une offensive mondiale de la grande entreprise sur les emplois, les salaires, les régimes de pension et les conditions de travail.

Lors du lock-out des travailleurs de l’Aluminerie Bécancour (ABI) en 2019, par exemple, le premier ministre François Legault, lui-même un millionnaire, était publiquement intervenu pour dénoncer les salaires supposément «trop élevés» dans l’industrie manufacturière au Québec.

Face à cette stratégie de classe mondiale de la grande entreprise et son recours à l’appareil répressif de l’État capitaliste, les débardeurs du Port de Montréal doivent se tourner vers la classe ouvrière internationale et se préparer à une lutte politique ouvrière – y compris la désobéissance à la loi-matraque en préparation.

La première étape sur cette voie est de former un comité de la base pour retirer le contrôle de leur lutte des mains de la bureaucratie syndicale. Celle-ci a amplement démontré que son seul objectif est de conclure une entente pourrie acceptant les principales demandes patronales, ou de se soumettre à une loi spéciale si cela s’avère nécessaire pour imposer les concessions.

Un comité indépendant de la base devra plutôt lancer un appel énergique à tous les travailleurs en vue d’une lutte commune pour défendre les emplois et les conditions de travail de tous. Les débardeurs du Port de Montréal doivent se tourner vers leurs frères et sœurs de classe dans tout le Canada et à l’échelle internationale, notamment au Port de Los Angeles où les chauffeurs de camion sont récemment entrés en lutte (article en anglais).

C’est seulement ainsi qu’ils pourront faire de leur lutte le coup d’envoi d’une contre-offensive de la classe ouvrière en son ensemble contre l’austérité capitaliste, la campagne meurtrière de retour au travail de l’élite dirigeante en pleine pandémie et sa criminalisation des grèves et des luttes des travailleurs.

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