Après qu’un accident a provoqué l’explosion d’un réservoir d’oxygène, les récits de témoins oculaires et les clips vidéo des scènes terribles de l’incendie de l’hôpital traitant les patients du COVID-19 ont provoqué le choc et la colère dans tout l’Irak. Un mot-clic exigeant le limogeage du ministre de la Santé, Hassan al-Tamimi, a rapidement été diffusé sur Twitter.
L’incendie survenu samedi à l’hôpital Ibn Khatib, un établissement de soins intensifs dédié aux patients atteints du COVID-19 dans le quartier de Diyala Bridge, l’un des districts les plus pauvres de Bagdad, au sud-est de la ville, a fait au moins 82 morts et 110 blessés. Au moins 28 patients présentant des symptômes graves du virus et placés sous respirateur figurent parmi les morts.
Cette tragédie n’est que le dernier exemple horrible de l’impact dévastateur de décennies de sanctions, d’invasions et d’occupations illégales et de l’incitation délibérée à une guerre civile sectaire orchestrée et dirigée par les administrations américaines successives, qui ont réduit un pays autrefois prospère, doté de l’une des infrastructures sanitaires et sociales les plus avancées du monde arabe, à une pauvreté et une dégradation extrêmes.
Encore à ce jour, l’Irak souffre de la violence politique, des enlèvements et des extorsions aux mains de nombreuses milices, tandis que les accidents résultant de la négligence et de la décrépitude des infrastructures ont aggravé le sort du peuple irakien. En 2019, pour ne citer qu’un exemple, au moins 90 personnes se sont noyées lorsqu’un transbordeur surchargé transportant des familles en excursion a coulé dans le fleuve Tigre dans la ville de Mossoul, au nord du pays.
Le World Socialist Web Site a décrit les conséquences de l’assaut de Washington sur le peuple irakien comme un «sociocide», c’est-à-dire la destruction délibérée de toute l’infrastructure d’une civilisation moderne (voir en anglais: «La Guerre et l’occupation américaines de l’Irak - le meurtre d’une société»).
L’incendie s’est rapidement propagé parce que, sans détecteurs de fumée, sans système de gicleurs ou de tuyaux d’incendie, «l’hôpital n’avait pas de système de protection contre les incendies, et les faux plafonds ont permis aux flammes de se propager vers des produits hautement inflammables», a déclaré le général de division Khadim Bohan, chef des forces de défense civile irakiennes. Il a déclaré à la chaîne publique Iraqiya TV: «S’il y avait eu des détecteurs de fumée, la situation aurait été totalement différente.»
Des responsables ont déclaré que certaines des victimes étaient des patients âgés sous respirateur qui ne pouvaient pas bouger de leur lit lorsque le feu a pris. L’agence de presse Reuters a cité un témoin oculaire qui a déclaré que des patients et du personnel médical avaient sauté par les fenêtres du deuxième étage pour échapper aux flammes.
Un témoin oculaire, qui rendait visite à son frère lorsque l’incendie a éclaté, a déclaré que des personnes sautaient par les fenêtres alors que les flammes se propageaient dans l’unité COVID-19. «Au début, il y a eu une explosion... Le feu s’est propagé, comme du carburant... La fumée a atteint mon frère. Mon frère est malade. J’ai emmené mon frère dans la rue, à côté du point de contrôle. Puis je suis revenu et je suis monté de là jusqu’au dernier étage, qui n’a pas brûlé. J’ai trouvé une fille d’environ 19 ans qui suffoquait, elle était sur le point de mourir», a déclaré Ahmed Zaki. Il a ajouté: «Je l’ai prise sur mes épaules, et j’ai couru vers le bas. Les gens sautaient... Des médecins sont tombés sur les voitures. Tout le monde sautait. Et j’ai continué à monter, j’ai pris des gens et je suis redescendu.»
L’incendie a été largement attribué à la négligence et à la corruption endémique de l’Irak. Ali al-Bayati, membre de la Haute Commission irakienne des droits de l’homme, tient le ministère de la Santé pour responsable de l’incendie et l’accuse de ne pas coopérer avec les enquêteurs. Il a déclaré au site Middle East Eye: «Je pense que la responsabilité de l’incident incombe au ministère de la Santé, car nous avons la preuve que la plupart des hôpitaux ne disposent pas d’installations de sécurité au travail ou de lutte contre les incendies, et ce n’est pas le premier cas dans une telle institution.» Il a ajouté que l’incendie était «un crime contre les patients épuisés par le Covid-19 qui ont mis leur vie entre les mains du ministère de la Santé et de ses institutions et qui, au lieu d’être soignés, ont péri dans les flammes.»
L’incendie a eu lieu au milieu d’une deuxième vague de la pandémie, avec plus de 1.000.000 de cas officiellement enregistrés, une moyenne quotidienne d’environ 8000 cas et plus de 15.200 décès, le plus élevé de tous les pays arabes. Cette situation a submergé les hôpitaux publics irakiens, qui manquent chroniquement de ressources et qui, même dans des conditions normales, ne sont pas en mesure de faire face à la situation, à tel point que les patients qui le peuvent préfèrent souvent se procurer leurs propres bouteilles d’oxygène pour se soigner à domicile.
À l’instar de ses homologues du monde entier, le gouvernement vénal de l’Irak fait passer les profits avant les vies et ne fait pas grand-chose pour limiter la propagation du virus ou pour fournir un filet de sécurité sociale aux travailleurs, dont la majorité travaille dans le secteur informel comme journaliers. Il a imputé la résurgence des taux d’infection aux Irakiens ordinaires qui n’ont pas tenu compte des précautions contre le coronavirus. Le mois dernier, le gouvernement a lancé son programme de vaccination. Il n’a reçu que 650.000 doses pour ses 40 millions d’habitants, la plupart données par la Chine ou par le programme COVAX de l’Organisation mondiale de la santé, et quelque 275.000 personnes ont reçu au moins une dose, selon les responsables du ministère de la Santé.
Dimanche, alors que l’on craignait que des émeutes n’éclatent, le premier ministre Mustafa al-Kadhimi a tenu une réunion d’urgence au siège du Commandement des opérations de Bagdad, qui coordonne les forces de sécurité irakiennes. Il a déclaré trois jours de deuil après avoir ordonné une enquête sur l’incendie, puis licencié plusieurs responsables de l’hôpital et suspendu le ministre de la Santé dans l’attente de l’enquête. Cependant, la promesse de Kadhimi de mener une enquête et de traduire les responsables en justice n’est que des paroles en l’air. Le peuple irakien attend toujours que les responsables de la mort de plus de 600 manifestants en octobre 2019 soient nommés, et surtout jugés et punis.
Kadhimi est assis sur un baril de poudre social, et il le sait. Le chômage, déjà élevé avant la pandémie, s’est aggravé, avec au moins 36 % de la population et près de 50 % des jeunes officiellement déclarés sans emploi. Les jeunes de 18 ans n’ont en moyenne que 6,2 ans de scolarité, mais seulement quatre ans en termes de résultats scolaires réels, en raison de l’état désastreux du système éducatif du pays, autrefois l’un des meilleurs du monde arabe. Quelque 3,2 millions d’enfants en âge scolaire ne sont pas scolarisés. Dans les zones touchées par le conflit, presque tous les enfants en âge d’être scolarisés ne reçoivent pas d’éducation.
Les services de base, tels qu’une alimentation régulière en électricité dans le troisième exportateur mondial de pétrole et une eau potable, sont une chimère. Les taux de pauvreté montent en flèche, avec 16 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, alors que les prix des denrées alimentaires s’envolent. L’huile de cuisson est passée de 1500 dinars à 2500 dinars la bouteille, tandis que les produits alimentaires importés sont devenus plus chers en raison de la récente dévaluation de la monnaie.
Avec l’effondrement des prix du pétrole, le gouvernement, qui dépend du pétrole pour près de 90 % de ses revenus et qui a besoin de prix d’au moins 60 dollars le baril pour survivre, risque la faillite. Il a besoin de 5 milliards de dollars par mois, soit près du double de ses revenus actuels, rien que pour couvrir les salaires des travailleurs du secteur public, une forme de mécénat essentielle pour les différents partis sectaires. C’est l’une des raisons pour lesquelles Bagdad a signé un accord avec la Chine pour obtenir une avance de fonds sur les futures ventes de pétrole.
Le Parlement irakien a récemment adopté un budget 2021 visant à obtenir le soutien de Washington pour un prêt du Fonds monétaire international. Le budget officialise la récente dévaluation de la monnaie, décrit un cadre révisé pour le partage du pétrole et des revenus entre le gouvernement fédéral de Bagdad et le gouvernement régional semi-autonome du Kurdistan à Erbil et prévoit un déficit record, ainsi que des réductions des avantages salariaux qui peuvent dans certains cas servir à doubler les salaires dérisoires des travailleurs.
Ces mesures, combinées à la dévaluation qui constitue en fait une réduction brutale des salaires, constituent une attaque massive contre la classe ouvrière irakienne. L’adoption du budget a provoqué des manifestations quotidiennes de centaines de jeunes diplômés sans emploi devant la raffinerie de pétrole de Nassiriya, réclamant des emplois et arrêtant la production, ce qui a provoqué des pénuries de carburant dans toute la province de Dhi Qar.
(Article paru en anglais le 26 avril 2021)