Le gouvernement sri-lankais arrête un parlementaire musulman et interdit la burqa

La police sri-lankaise a annoncé mardi qu’elle prolongeait de 90 jours la détention du député musulman Rishad Bathiudeen et de son jeune frère Riyaj Bathiudeen en vertu de la loi nationale sur la prévention du terrorisme (PTA). Les hommes ont été arrêtés le 24 avril en vertu de la loi draconienne.

Le cabinet du président Gotabhaya Rajapakse a également décidé mardi d’interdire la burqa et le niqab, vêtements traditionnels portés par certaines femmes musulmanes.

Rishad Bathiudeen (Source: Twitter/rbathiudeen)

Les deux actions constituent une intensification du communautarisme anti-musulman par le gouvernement Rajapakse et ses alliés racistes, dans un contexte de crise sociale et politique croissante accélérée par la pandémie mondiale.

La police affirme que les arrestations ont eu lieu en réponse à l’attaque terroriste du dimanche de Pâques 2019 commise par un groupe fondamentaliste islamiste local et soutenue par l’État islamique. Les assaillants terroristes firent exploser trois églises et trois hôtels de luxe, tuant 274 personnes et en blessant plus de 570 autres.

Bathiudeen dirige le All-Ceylon Makkal Congress, partenaire du principal parti d’opposition parlementaire, le Samgi Jana Balawegaya, et a été ministre des gouvernements des anciens présidents Mahinda Rajapakse et Maithripala Sirisena.

Le porte-parole de la police, l’inspecteur général adjoint (DIG) Ajith Rohana, a déclaré aux médias que l’arrestation du député et de son frère était «basée sur des preuves circonstancielles et scientifiques qu’ils avaient des liens avec les terroristes kamikazes qui ont perpétré les attentats [du dimanche de Pâques]».

Ces affirmations sont fausses. Un communiqué de presse de Rushdie Habeeb, l’avocat des Bathiudeen, a déclaré que la Commission présidentielle enquêtant sur l’attaque du dimanche de Pâques «n’a trouvé aucune preuve que quelconque des Bathiudeen a aidé ou encouragé les terroristes lors des attentats du dimanche de Pâques.» Le rapport de la Commission, qui fut présenté au président Rajapakse le 1er février, n’est accessible qu’à un cercle de personnes limité, y compris parmi les parlementaires.

Riyaj Bathiudeen a été arrêté par la police en avril 2020 pour «suspicion» de liens présumés avec l’attaque terroriste. Il a toutefois été libéré en octobre, après que la police a admis qu’elle n’avait pas été en mesure de «réunir des preuves suffisantes» pour étayer tout lien avec l’attaque.

Le DIG Rohana a déclaré lors d’une conférence de presse le week-end dernier que la police avait jusqu’à présent arrêté 702 personnes en relation avec l’attaque du dimanche de Pâques. Il a déclaré que 202 d’entre eux ont été renvoyés, 83 font l’objet d’une enquête de la division des enquêtes terroristes et environ 80 sont détenus dans le cadre de la loi de la prévention du terrorisme (PTA).

Le 16 mars, la police a arrêté Azath Salley (article en anglais), un autre dirigeant politique musulman, affirmant qu’il avait commis des infractions en vertu de la PTA et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La police a déclaré qu’il faisait également l’objet d’une enquête pour des liens avec l’attaque du dimanche de Pâques.

En avril de l’année dernière, Hejaaz Hisbullah, un éminent avocat des droits de l’homme, a été arrêté pour «terrorisme» et détenu pendant 10 mois avant d’être traduit devant un tribunal. Le 12 mars, sur fond d’un tollé exigeant sa libération de la part des groupes de défense des droits de l'homme sri-lankais et internationaux, le procureur général a porté plainte contre Hisbullah pour avoir prétendument prononcé des «discours extrémistes» devant des étudiants musulmans.

Ahnaf Jazeem, un poète sri-lankais de 25 ans, a été arrêté le 16 mai de l’année dernière. Il reste en prison sans être inculpé après avoir été faussement accusé de promotion de l’extrémisme musulman.

Hormis les vagues accusations portées contre Hisbullah, aucune des autres personnes arrêtées au cours des deux années écoulées depuis les attentats terroristes d’avril 2019 n’a été inculpée.

Dans le cadre de la PTA répressive, qui a été adoptée en 1979, la police peut détenir n’importe qui pendant des mois, extraire des aveux sous la torture et utiliser cela comme preuve. La loi a été largement utilisée pour détenir des jeunes tamouls et des opposants politiques, en particulier pendant la guerre communautariste sanglante de 30 ans contre les Tigres de libération séparatistes de l’Eelam tamoul.

Conformément à sa campagne anti-musulmane qui s’intensifie, le gouvernement a interdit le 14 avril 11 organisations musulmanes, dont l’État islamique et Al-Qaïda et neuf groupes musulmans locaux. La notification au journal officiel publiée par le président déclare que toute personne liée à ces organisations peut être emprisonnée jusqu’à 20 ans.

Le gouvernement a affirmé que l’interdiction répondait aux recommandations de la Commission présidentielle sur l’attaque du dimanche de Pâques. Le régime Rajapakse, cependant, n’a pas interdit le Bodu Bala Sena (BBS), un groupe bouddhiste fasciste, même si cela avait été recommandé par la Commission. Le BBS était l’une des formations bouddhistes d’extrême droite qui ont aidé le gouvernement Rajapakse à assumer le pouvoir.

Comme indiqué précédemment, le cabinet de Rajapakse a approuvé mardi une proposition du ministre de la Sécurité publique, Sarath Weerasekera, d’interdire la burqa, le niqab et «tout ce qui couvrait le visage».

Weerasekera, un ancien contre-amiral, avait initialement appelé à l’interdiction début mars. Cela a été mis de côté alors que Colombo tentait de gagner le soutien des pays musulmans pour s’opposer à une résolution du 23 mars du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies condamnant les crimes de guerre et les attaques contre les droits démocratiques au Sri Lanka.

La résolution, qui était parrainée par les États-Unis et leurs alliés, n’avait rien à voir avec la défense des droits démocratiques mais visait à faire pression sur le régime de Rajapakse pour qu’il rompe ses relations avec Pékin et adhère pleinement aux préparatifs de guerre de Washington contre la Chine.

Les médias sri-lankais et internationaux affirment que les actions anti-musulmanes du gouvernement sont une réponse aux pressions de la hiérarchie de l’Église catholique, en particulier aux demandes du cardinal Malcom Ranjith que Colombo punisse les responsables des attentats du dimanche de Pâques. Les actions anti-musulmanes du gouvernement Rajapakse, cependant, vont dans le sens d’un tournant plus large vers un régime autoritaire.

L’attaque terroriste du dimanche de Pâques 2019 s’est produite dans des conditions d’opposition sociale croissante contre le gouvernement du président Maithripala Sirisena et du premier ministre Ranil Wickremesinghe. Selon les médias, les services de renseignement indiens avaient mis en garde les hauts dirigeants du gouvernement et de l’opposition parlementaire, ainsi que la hiérarchie militaire et policière, contre les attentats terroristes prévus.

L’élite dirigeante a permis à l’attentat de se produire et l’a ensuite utilisé pour attiser le sentiment anti-musulman, mobiliser des éléments d’extrême droite et justifier une répression étatique accrue. Rajapakse et son mouvement Sri Lanka Podujana Peramuna ont exploité les attentats pour promettre un régime fort capable de défendre la «sécurité nationale».

Après 18 mois au pouvoir, le régime de Rajapakse fait face à une crise sans précédent. Durement touchée par la pandémie de coronavirus, l’économie est en ruine avec des dettes croissantes, des exportations en baisse et une croissance économique négative. L’opposition sociale s’élève contre les suppressions d’emplois et réductions de salaire, l’inflation, les conditions de vie intolérables et l’aggravation de la pauvreté.

Inquiets de la montée des troubles sociaux, les éléments d’extrême droite autour de Rajapakse réclament des méthodes dictatoriales plus agressives. Le ministre d’ État Dilum Amunugama a donné voix à cette demande le 12 avril, appelant le président Rajapakse à «agir comme Hitler».

La semaine dernière, le cabinet de Rajapakse a approuvé un document appelant à un plus grand contrôle sur Internet et insistant sur de nouvelles lois pour freiner les «fausses informations» contre le gouvernement.

Le 22 avril, Rajapakse a également publié une gazette pour mobiliser les forces armées dans 25 districts sri-lankais et dans les eaux internationales près des districts côtiers pour le «maintien de l’ordre public».

Le but supposé est de lutter contre une nouvelle vague d’infections au COVID-19. La vraie raison est de préparer davantage l’armée à affronter la résistance sociale croissante de la classe ouvrière.

La classe ouvrière doit s’opposer aux provocations anti-musulmanes de Colombo et prendre celles-ci au sérieux. Ce n’est qu’en rejetant toutes les formes de nationalisme et de communautarisme que les travailleurs peuvent s’unir dans une lutte pour défendre leurs intérêts de classe communs sur la base d’un programme socialiste.

(Article paru en anglais le 29 avril 2021)

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